Un mois après la violente confrontation entre la direction d’Air France et son personnel, si le syndicat des pilotes SNPL est revenu à la table des négociations, la solution est encore loin d’émergée.

« Mille postes seront bien supprimés en 2016 », a confirmé Frédéric Gagey, le P-DG d’Air France, au comité central d’entreprise le 22 octobre. Dans la foulée, il souligne cependant que les mesures pour 2017 peuvent encore être aménagées. Une précision en forme d’ultimatum à destination des syndicats de pilote revenus à la table des négociations après la violente altercation survenue début octobre et les images du DRH escaladant un grillage pour fuir les manifestants, chemise déchirée. Si la tension est redescendue, aucun des différends soulevés par le plan Perform 2020 n’est résolu. La compagnie aérienne a par ailleurs vu son chiffre d’affaires reculer de 2,4 % (à périmètre et taux de change constants et hors grève) mais son bénéfice augmenter sur les neuf premier mois de l’année : les négociations qui s’achèveront en janvier promettent d’être tendues.

 

Un plan d’attrition qui ne passe pas

 

Présenté en septembre 2014, le plan Perform 2020 cristallise l’opposition du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), habitué à co-gérer Air France depuis la création de la compagnie. À la suite d’un mouvement de grève historique qui aurait coûté 425 millions d’euros au groupe, le SNPL avait obtenu l’abandon du volet low cost de ce projet. Ce dernier visait à étendre les activités de sa filiale à bas coût Transavia - présente uniquement en France et aux Pays-Bas - à l’ensemble de l’Europe et à unifier les contrats des pilotes des compagnies historiques avec celui des pilotes de cette filiale. Cela n'a pas suffi à faire redecscendre la tension. Pour l’état-major d’Air France, les pilotes n’ont pas tenu les engagements pris dans le cadre du plan d’économies précédent, Transform 2015, là où les hôtesses, stewards et le personnel au sol ont atteint leurs objectifs.

Jugeant les nouveaux efforts à fournir excessifs, le SNPL pratique alors la politique de la chaise vide au cours des nouvelles négociations. Le 30 septembre 2015, date butoir, la direction décide d’imposer unilatéralement son plan B faute d’accord. Et la pilule est amère. Quelque 2 900 postes seront supprimés avant 2017, le nombre de lignes sera réduit de 10 % et la flotte, amputée de quatorze appareils. L’objectif est de réaliser des gains de productivité de 10 %, pour un tiers dès 2016 et pour le reste, l’année suivante. Le jour de la présentation, les salariés manifestant laissent éclater leur colère et interrompent dans la violence la réunion du comité central d’entreprise.

 

Des legacies en panne de business model

 

Si le transport aérien connaît une croissance soutenue (+ 5,8 % en 2014), les compagnies historiques sont sous pression. Au niveau mondial, le prix des billets a baissé de 3 % en moyenne l’année dernière. Et en Europe, la concurrence reste féroce. Alors qu’il représentait moins de 5 % de l’offre il y a vingt ans, le low cost – Easyjet et Ryanair en tête – a depuis capté près de la moitié du transport aérien. Les legacies, les compagnies historiques, sont aussi contestées sur leur terrain par celles du Golfe (Etihad, Emirates et Qatar Airways) et par Türkish Airlines. Leader européen, Lufthansa peine à s’adapter. Comme son homologue français, la compagnie allemande est engagée dans un plan de restructuration et d’économies auquel s’oppose son personnel. Début novembre, le syndicat UFO engageait le quatorzième mouvement de grève au sein de la compagnie bleue et jaune en moins de dix-huit mois.

 

Des trois mastodontes européens, seule International Airlines Group (IAG) tire réellement son épingle du jeu. Sur les neuf premiers mois de 2015, la maison mère d’Iberia et British Airlines affiche une marge de 16 % (Ebitda), quand celles de Lufthansa et Air France-KLM s’établissent respectivement à 12 % et 9,6 %. La holding dirigée par Willie Walsh a même revu à la hausse ses objectifs de croissance pour la période 2016-2020. « Nous démontrons les bienfaits de la consolidation », se félicitait le P-DG en février. La combinaison de compagnies historiques, British Airways et Iberia, et d’une compagnie low cost, Vueling, a permis au géant d’optimiser son business model. IAG articule en effet ses vols long-courriers avec ses liaisons d’apport pour attirer les passagers vers ses hubs internationaux de Londres, Madrid et Barcelone. Une organisation qu’Air France-KLM ne répliquera pas avec un Transavia qui opère exclusivement sur le territoire national.

 

Un déficit proche de 20 %

 

Les efforts consentis par la compagnie franco-néerlandaise commencent toutefois à porter leurs fruits. Négative en 2014, la marge d’exploitation est désormais positive, atteignant 2,8 % du chiffre d’affaires. Pour Alexandre de Juniac, il faut encore aller plus loin. « Le plan Transform était un plan de restructuration. Le plan Perform est un plan de retour à la croissance », a-t-il expliqué au Monde le 16 octobre. L’enjeu ? Retrouver une marge suffisante pour investir et préparer l’avenir du groupe qui a dû renoncer à sa dernière commande à Boeing.

 

Du côté des syndicats et des salariés, une autre urgence se profile : la pérennité de la CRPN, la caisse de retraite du personnel navigant. Avec quatre plans sociaux chez Air France depuis 2011, le nombre de cotisants à cette caisse sectorielle par répartition s’est considérablement érodé. Déjà en 2013 – derniers chiffres disponibles –, il lui manquait 102 millions d’euros pour couvrir la totalité de ses prestations. Un déficit proche de 20 % qui se creuse d’année en année et que les nouveaux départs ne peuvent qu'aggraver.

 

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

 

Si le dialogue social paraît indispensable pour assurer l’avenir d’Air France-KLM, les conditions de sa mise en place ne sont pas aisées. En interne, la pratique est encore à la négociation en silos. Personnel au sol, hôtesses et stewards, pilotes… chaque corps est représenté par des organisations syndicales diverses et défend indépendamment ses intérêts. Et avec l’État, actionnaire de référence de la compagnie avec 17,5 % du capital, les rapports sont aussi tendus. Direction et syndicats pointentainsi  la responsabilité du gouvernement dans les difficultés financières de la compagnie. La pomme de discorde : les taxes. Le transport aérien serait onze fois plus taxé en France qu’aux Pays-Bas selon la Fédération nationale de l’aviation marchande. Particulièrement visée par Air France-KLM, la redevance de 645 millions d’euros versée annuellement à Aéroports de Paris dont l’État détient 50,6 % du capital. Jugée élevée, elle doit encore augmenter de 1,25 % de plus que l’inflation chaque année jusqu’en 2020, conformément au contrat de régulation économique (CRE).

 

Outre ce conflit d’intérêt, le parachutage de l’un des conseillers de Manuel Valls à la direction des ressources humaines d’Air France arrive comme un cheveu sur la soupe. Spécialiste des questions sociales pour le Premier ministre, Gilles Gateau est déjà connu des syndicats de la maison pour avoir représenté l’exécutif pendant les manifestations de septembre 2014. Le SNPL n’a d’ailleurs pas hésité à qualifier la nomination prévue depuis l’été de « politique », comme celle d’Alexandre de Juniac à sa sortie du cabinet de Christine Lagarde. Interrogé par Le Monde, l’intéressé souhaite toutefois « amener l’apaisement et aider à décrisper ».

 

Dans un rapport pour France Stratégie paru en 2013, l’ancien directeur de l’aviation civile, Claude Abraham, posait cette question : « Les compagnies aériennes sont-elles mortelles ? ». En partie reprises par le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, dans un nouveau rapport présenté fin 2014, les pistes de réforme du secteur sont pour l’instant restées lettre morte. Il semble donc de moins en moins certain que l’État veuille donner des ailes à l’aviation civile française.

 

 

JHF

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