Avec un budget estimé à près de trois milliards de dollars, Daech est l’organisation terroriste la plus riche au monde et la plus puissante. Ses 30 000 djihadistes contrôlent environ dix millions d’habitants. Daveed Gartenstein-Ross, président de Valens Global, une société de conseil spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, revient sur les moyens utilisés par les pays occidentaux pour paralyser l’économie du califat.

Décideurs. Contrairement à Al-Qaïda, Daech est parvenue à construire une véritable force financière grâce à son califat. Est-ce cela qui lui a permis d’avoir une telle influence à l’échelle mondiale ?

Daveed Gartenstein-Ross. Selon moi, l’économie de Daech est surestimée. Le fait qu’elle ait baissé les revenus de ses effectifs en est la preuve. Cela dit, les moyens financiers du groupe constituent l’un des facteurs qui a contribué à sa montée en puissance. Mais d’autres, tels que l’alliance avec les anciens baasists, qui a permis au groupe de rapidement obtenir une structure administrative sur les territoires sous contrôle, ou encore sa maîtrise des médias, qui a servi à une mobilisation sans précédent des groupes de partisans, ont joué un rôle important. De plus, Daech ne se cache pas, contrairement à Al-Qaïda qui préfère rester dans l’ombre.

 

Décideurs. Si l’argent est leur principale force, comment limiter leurs revenus ?

D. G.-R. Pour limiter leurs revenus, la stratégie que nous mettons actuellement en place semble impacter l’organisation. Les États-Unis ont commencé par bombarder leurs raffineries en septembre 2014. Ce qui a grandement réduit leur revenus basés sur la vente du pétrole, dû à la forte différence de prix entre un pétrole raffiné et celui qui ne l’est pas. Les estimations d’octobre 2014 ont laissé penser que cette série d’attaques aériennes a détruit 50 % de leurs capacités à raffiner en moins d’un mois. Cependant, même en détruisant ces infrastructures, Daech a continué à percevoir des revenus grâce au pétrole puisqu’elle a gardé la mainmise sur ses moyens d’extraction. Les hommes de Daech et les citoyens sous leurs ordres ont fabriqué de nouvelles raffineries mobiles.  Remplacer celles qui avaient été détruites leur a à peine coûté 20 000 dollars. C’est pourquoi nous avons récemment commencé à cibler les camions transporteurs de pétrole. Une démarche importante car elle permet de changer la physionomie du marché du pétrole : si vos camions sont détruits alors que vous faites affaires avec Daech, vous pourriez avoir envie de mettre un terme à  votre collaboration. Au minimum, vous leur en ferez payer le prix. En plus de tenter de diminuer les ventes de pétrole de Daech, l’autre solution consiste à localiser le marché des antiquités, arrêter les acheteurs et faire baisser les prix exigés par le groupe.

 

« L’économie de Daech est surestimée »

 

Décideurs. Les pays occidentaux ont du mal à trouver un terrain d’entente sur ce point. D’après vous, qu’est ce qui peut l’expliquer, sachant que les enjeux sont importants ?

D. G.-R. Je ne suis pas sûr de voir des divergences de points de vue là-dessus. Les pays occidentaux partagent les mêmes intérêts, mais doivent faire face à l’importance du marché noir. Comme le rapport sur les armes de destructions massives en Irak de Charles Duelfer le précise, c’est sous le régime de Saddam Hussein que le gouvernement a commencé à exporter du pétrole brut grâce à des hommes d’affaires privés. Cela intervient juste après les sanctions imposées lors de la guerre du Golfe en 1991. Si les marchés noirs existaient déjà depuis longtemps dans la région, le phénomène a pris une ampleur sans précédent grâce à l’influence de l'État. En exploitant les marchés noirs de 1991 à 1998, le régime de Saddam Hussein a gagné 439 millions de dollars par an. Le pétrole n’était pas la seule ressource à être écoulée de la sorte.

 

À l’époque des sanctions, une grande partie de l’Irak était dépendante de ces marchés. La contrebande, à la fois punie et encouragée par le gouvernement, est alors devenue une profession courante, et particulièrement présente dans les régions d’Anbar et Ninewa, majoritairement sunnites. Même après la chute du régime de Saddam Hussein, le gouvernement irakien a continué à la tolérer. Le phénomène ne risquait donc pas de diminuer. Le trafic de contrebande était plus fiable que l’État lui-même, particulièrement dans les régions sunnites, très impactées par l’insurrection. Par conséquent, quand Daech a pris le contrôle de ces territoires pétroliers, l’organisation a naturellement tiré profit de ces marchés noirs.

 

Décideurs. Les possibles donations des États du Moyen-Orient font souvent les premières pages dans les médias. Pensez-vous que ces informations soient justes ?

D. G.-R. Je ne pense pas que les gouvernements des États du Moyen-Orient aident cette organisation terroriste, même si il y a sûrement certains donateurs individuels dans cette région. Daech, en opposition à Al-Qaïda, s’est rendue complètement incontrôlable, ce qui effraie même les gouvernements qui comptent pourtant des individus pro-djihadistes dans leurs rangs. Je ne crois pas que les gouvernements soient assez fous pour penser qu’ils peuvent faire basculer Daech du bon côté.   

 

Propos recueillis par Vincent Paes.

 

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