Christian de Perthuis, économiste spécialisé dans les questions de fiscalité écologique et climatique, dresse un calendrier des échéances pour aboutir à l'indispensable marché international du carbone.

Décideurs. Souscrivez-vous à la satisfaction générale qu'a suscité l'accord de Paris sur le climat ?

Christian de Perthuis. L'adoption de l’accord de Paris constitue un succès diplomatique que je salue bien évidemment. Nous sortons du monde bipolaire de Kyoto où seuls les pays riches avaient le devoir d'agir, tandis que les autres restaient dans l'attentisme. Cette situation était de plus en plus éloignée de la réalité géopolitique : le centre de gravité de l’économie mondiale glisse rapidement vers les pays émergents, à l’origine de l'intégralité de l'augmentation des émissions de CO2 depuis 1990. Cependant, il est difficile de se montrer totalement satisfait car on a éludé les questions qui fâchent : le prix du carbone et les modalités de financement des fameux cent milliards de dollars pour les pays en voie de développement. L'accord de Paris crée un nouveau cadre incluant tous les pays dans la négociation. Mais ce cadre est encore vide. Il convient de de le remplir avec des instruments économiques et financiers qui feront la différence.

 

Décideurs. Vous militez pour un prix unique du carbone au niveau mondial, le grand oublié de la COP21. Est-il vain de vouloir contenir le réchauffement climatique sans cet outil ?

C. de P. Je ne veux pas entrer dans la logique du tout au rien. Instituer un prix unique du carbone constitue un objectif de long terme. La négociation doit aborder de façon pragmatique la meilleure façon de s’en approcher. La réalité économique, c’est qu’il est impossible de déployer à très grande échelle les énergies renouvelables, compte tenu de la faiblesse des prix de marchés des énergies fossiles. Il convient donc de donner une vraie valeur au climat en changeant les règles du calcul économique : internaliser le coût des dommages climatiques dans les prix de l'énergie marquera un pas décisif dans la transition énergétique. De plus, il faut être réaliste : on ne financera pas cent milliards de dollars d'aide aux pays en voie de développement sans une nouvelle source de revenus. La taxation du carbone serait donc, selon moi, la meilleure solution. À titre d'exemple, en France, la taxe carbone doit rapporter environ 4 milliards d'euros en 2016. Il faudra procéder par étapes et saisir toute initiative allant dans le bon sens. Les leviers sont nombreux, à commencer par réformer le marché européen du carbone. Dans le cas de la Suède, le prix de la tonne de CO2 a progressivement dépassé cent euros, sans que le royaume connaisse une quelconque baisse de compétitivité ou une dégradation du marché du travail. Si la loi sur la transition énergétique est appliquée en ce qui concerne le prix du carbone, la France se rapprochera de la Suède.

 

L'accord de Paris crée un cadre qu'il convient de remplir avec des instruments économiques et financiers

 

Décideurs. À compter d'aujourd'hui, quelles sont les échéances cruciales qui vont permettre la bonne application de l'accord ?

C. de P. L’accord climatique de Paris ouvre un nouveau champ de négociation dans lequel il va falloir sortir de la logique du « moins-disant ». L'échéance immédiate est la ratification de l’accord par les différents gouvernements, procédure ouverte le 22 novembre au siège des Nations unies à New York. Il faut atteindre un quorum de cinquante-cinq pays représentant minimum 55 % des émissions mondiales pour que l’accord puisse entrer en vigueur en 2020. La COP22, qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016, sera l’occasion de faire un point d’étape. Une autre échéance importante sera le dialogue de facilitation prévu en 2018, pour que les contributions nationales intentionnelles se transforment en contributions effectives, les fameuses "intented national determined contribution" (INDC) qui vont constituer la nouvelle baseline qu’il faudra ensuite rapprocher suivant le calendrier quinquennal de révision d’une trajectoire plus ambitieuse. Sur le front des instruments économiques, un objectif important d’ici 2020 serait de progresser sur la voie d’un marché du carbone mondial. Pour rappel, la Chine doit lancer le sien dès 2017, et un nombre croissant d’États ou de provinces développent ce type d’instruments en Amérique du Nord. Si l'on parvient à relier ces initiatives et à relancer le système européen d’échanges de quotas de CO2, on peut progresser d’ici 2020 vers un marché transcontinental du carbone qui constituerait un puissant levier pour passer à une concurrence du « plus-disant » en matière climatique : une situation dans laquelle chaque pays a un réel intérêt économique à basculer vers les énergies renouvelables et les technologies bas carbone.

 

Décideurs. Si « l'objectif deux degrés », qui semble contenter tout le monde, est tenu, quelles seraient les conséquences ?

C. de P. Je rappelle en premier lieu que l’accord de Paris vise à descendre en dessous de 2° C et qu’un rapport spécial du Giec doit documenter les conditions d’une cible de long terme ramenée à 1,5° C. Au-delà des 2° C, la majorité des climatologues estime que nous entrons dans une zone dangereuse où des enchaînements cumulatifs risquent de se produire. C’est contre ces risques d’emballement qu’il faut se couvrir, comme pour l'assurance : lorsqu'on paye une prime d’assurance, ce n'est pas contre le risque moyen mais contre le risque extrême qu’on cherche à s’assurer. Pour le changement climatique, la situation est la même : il faut se protéger contre ce risque climatique extrême, dont on sait qu'il représenterait un point de rupture majeur dans l'économie. Et en matière climatique, la prime d’assurance, c’est le prix du carbone. C’est pourquoi il est urgent de donner un prix à nos émissions de gaz à effet de serre.

 

Propos recueillis par Boris Beltran

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