Ancien Premier ministre et actuel président de la Fondation Prospective et Innovation, Jean-Pierre Raffarin est également professeur à l’ESCP Europe sur « le leadership ». Il revient sur les différentes composantes qui en font un levier de performance au sein d’entreprises aujourd’hui plus sensibles à l’influence qu’à l’autorité.

Décideurs. Quelle est votre définition d’une entreprise libérée ?

Jean-Pierre Raffarin. L’entreprise libérée est une structure où les liens humains dominent les liens administratifs ou juridiques. La décentralisation, le leadership, le coworking, l’externalisation, la connectivité et la culture interne y sont des principes de management. Dans l’entreprise libérée, le projet et la conscience des responsabilités remplacent l’architecture structurelle traditionnelle pour encadrer les équipes. Le plus souvent, ces entreprises « marchent à l’affectif ».

 

Quels sont les avantages mais également les limites de ce type d’organisation « horizontalisée » ?

L’entreprise libérée est plus dynamique, plus créative, plus responsable, au fond plus audacieuse. Elle est en revanche plus désordonnée, moins hiérarchique, moins structurée. L’entreprise libérée est plus souple et plus flexible mais également très consommatrice de temps. À la fois poussée par le libre-échange et les pays libéraux, mais aussi freinée par les pays plus nationalistes et protectionnistes.

 

Quelle forme prend le pouvoir dans une entreprise libérée ?

La hiérarchie est périphérique à l’action. Pour agir, chacun pilote son projet, mais pour programmer et contrôler, la hiérarchie doit être repositionnée, elle reste importante pour la gestion du temps et notamment la planification. Forcée de l’amont (recrutement, stratégie, calendrier…), la hiérarchie est aussi une force de l’aval (résultats, évaluation…).

 

Le leadership peut-il s’exprimer hors structure hiérarchisée ?

En général, on reconnaît plusieurs types de leadership : l’autocratique, le paternaliste, le coopératif, le libéral… Hors de la structure hiérarchisée, le leadership s’exerce par l’influence – notamment culturelle –, la performance – autrement dit les résultats –, l’expérience – le savoir-faire –, la conscience – la morale, la stratégie –, la référence… Dans ce domaine, il faut cependant tenir compte des différences culturelles selon les continents. Ainsi aux États-Unis, le leader est un professionnel qui a appris à maîtriser les techniques du leadership (prise de parole en public, animation des équipes, relations médias…). En Europe, le leadership est un talent et le leader un artiste au charisme affirmé. En Asie, le leader est discret. Il n’incarne pas le projet, il en est le chef d’orchestre. Au point qu’il n’est pas toujours évident d’identifier le véritable leader au sein d’un groupe chinois. Preuve que le management reste une discipline culturelle.

 

Quelles doivent être les qualités essentielles d’un leader dans ce type d’organisation ?

La première qualité d’un leader dans ce type d’organisation est la sobriété. Mieux vaut être une référence qu’une incarnation. Le leader n’est pas la star. Il assume la proximité et se méfie de la distance. La disponibilité et l’accessibilité sont des qualités, dans ce cas, majeures. Sa devise : une force discrète qui va et qui sait où elle va ! La culture asiatique est plutôt bien adaptée à cette exigence de sobriété.

 

Propos recueillis par Caroline Castets

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