Devenu le deuxième homme le plus riche de Chine avec une fortune personnelle estimée à 35,6 milliards de dollars, l’ancien professeur d’anglais connu sous le nom de Jack Ma fascine. De son petit appartement à Hangzhou il a créé en 1999 un véritable empire du numérique : Alibaba. Retour sur son fabuleux destin.

C’est l’histoire d’un homme, né deux ans avant le lancement de la Révolution culturelle par Mao, à Hangzhou, ville chinoise ancienne, de parents ouvriers. Peu doué en mathématiques, il échoue à deux reprises à l’examen d’entrée à l’université et finit par en sortir avec une simple licence d’anglais en poche. Un fardeau dans un pays où la réussite scolaire est une priorité culturelle. Ses débuts professionnels ne seront pas très glorieux non plus : une trentaine d’entreprises, dont le groupe KFC, refuseront de lui ouvrir leurs portes. Pour arrondir ses fins de mois, il s’improvisera guide de sa ville pour les touristes étrangers et tentera de lancer son entreprise de traduction avant de devenir enseignant. L’histoire veut même que son dossier fut refusé une dizaine de fois à Harvard. Aujourd’hui pourtant, Ma Yun, plus connu sous le nom de Jack Ma, est devenu une véritable légende vivante en Chine.  

Le modernisateur de l’économie chinoise

Un séjour aux États-Unis (1995) marquera un tournant dans sa vie. « C’était mon premier voyage aux États-Unis, et, pour la première fois de ma vie, je touchais le clavier d’un ordinateur et j’allais sur Internet » confiera-t-il. « Ce fut également le moment où je décidais de quitter la vie d’enseignant pour fonder mon entreprise ». Après plusieurs tentatives infructueuses, comme la création d’un annuaire en ligne d’entreprises chinoises, Jack Ma et une vingtaine d’amis eurent comme une vision dans son petit appartement à Hangzhou : le prochain portail en ligne sera destiné non pas au grand public, mais aux petites entreprises pour les aider à atteindre plus facilement leurs consommateurs. C’est la naissance du site d’e-commerce Alibaba (1999), dont la valorisation est aujourd’hui estimée à 231 milliards de dollars. Le milliardaire et 2e fortune chinoise explique le choix de ce nom : « Alibaba était quelqu’un d’aimable et d’intelligent qui aidait son peuple. Facile à prononcer et ça ouvre des portes ». Un symbole pour l’homme dont les origines sont modestes et dont l’objectif est de desservir au mieux les classes moyennes chinoises. En 2005, Yahoo investit un milliard de dollars dans Alibaba ; ce dernier rachète la moitié de cette participation pour 7,6 milliards de dollars en septembre 2012. Deux années plus tard, Alibaba fait une entrée remarquée à la bourse de New York en levant près de 25 milliards de dollars. L’engouement pour la pépite chinoise est total, alors que son fondateur n’a pourtant eu de cesse de répéter que les investisseurs n’étaient pas sa priorité. « Les clients en premier, les employés en deuxième et les actionnaires en troisième », a-t-il même asséné au Financial Times. Alibaba est devenu en quelques années l’un des plus gros groupes mondiaux et a transformé son site internet en un gigantesque empire du numérique. Jack Ma a su surfer sur la vague Internet et sur la forte croissance économique chinoise impliquant l’émergence d’une classe moyenne avide de consommation. Jamais sous la République populaire de Chine un homme n’a été aussi puissant en dehors du parti et du gouvernement. Ce constat ne semble pas effrayer les autorités chinoises qui voient plutôt en lui un allié, à l’heure où la Chine passe d’un modèle tourné vers l’exportation à un modèle fondé sur la consommation interne. « Jack Ma participe à cet effort, même s’il le fait de manière indépendante », explique Duncan Clark, auteur du livre L’incroyable histoire de Jack Ma, le milliardaire chinois. La société contrôlerait déjà 90% du marché chinois de la vente en ligne entre particuliers, grâce à sa plateforme Taobao.

Sésame, ouvre-toi !

Pourtant, depuis le lancement d’Alibaba, le businessman le plus connu de Chine ne cache pas ses ambitions internationales et se l’était même promis : Alibaba sera mondial ou ne sera pas. Jack Ma a récemment fait le pari que la part de l'international passerait de 5 % à 40 % du chiffre d'affaires d'ici à dix ans. En s’appuyant sur la diaspora chinoise d’une part, et l’ouverture de filiales à l’étranger d’autre part. Jack Ma espère à terme toucher deux milliards de consommateurs à travers le monde, soit un terrien sur quatre ! Alibaba a déjà lancé un site de vente en ligne aux Etats-Unis, 11 Main. Le groupe s’est également ouvert une nouvelle fenêtre vers l’international en 2016 en prenant le contrôle de Lazada qui exploite des sites marchands dans six pays d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Singapour et Vietnam). Un marché extrêmement prometteur selon les dirigeants du groupe, la majorité des foyers n’étant pas encore équipée en Internet. L’Afrique pourrait bien être son prochain terrain de jeu. Jack Ma s’y est récemment rendu pour annoncer la création d'un fonds de 10 millions de dollars pour les jeunes entrepreneurs africains.

Alibaba est en quelques années devenu une véritable nébuleuse qui se décline sous plusieurs marques essayant de se faire un nom à l’international. Tmall Global par exemple, créé en 2014, est dédié aux marques internationales sans présence en Chine. La plate-forme compte notamment 350 marques françaises, dont LVMH, l’Oréal, Danone, Evian...À voir cependant si les marques continuent d’accorder encore longtemps leur confiance à la marketplace chinoise alors que le groupe est englué dans plusieurs affaires de contrefaçon. Pire, Jack Ma a récemment proclamé à la presse internationale : « Le problème des faux produits aujourd’hui, c’est qu’ils sont de meilleure qualité, avec un meilleur prix que les originaux des vraies marques. » Une déclaration étonnante au vu des multiples promesses auprès de l’Occident de mettre un terme à ce fléau.

Parmi ses autres services, Alibaba compte AliExpress qui cible les entreprises chinoises vendant aux consommateurs internationaux et qui a fêté en 2016 ses 100 millions de clients depuis sa création en 2010, et Taobao (eBay chinois) qui rassemble les ventes entre particuliers avec un système de réseau social. Il y a aussi Alibaba.com, le site de vente entre professionnels, Alibaba Cloud, l’offre technologique, Alitrip, renommé fin 2016 Fliggy (deuxième site de voyage en Chine), et Alipay, Paypal chinois, désormais le système de paiement en ligne le plus important au monde en nombre d'utilisateurs. Ce dernier service est contrôlé par la filiale financière d’Alibaba Group, Ant Financial, qui a annoncé en janvier 2017 l’acquisition du spécialiste américain de transfert d'argent MoneyGram pour 880 millions de dollars. L’annonce est une nouvelle preuve de la volonté du chinois de se renforcer à l’international et notamment aux États-Unis, alors qu’il est confronté sur son propre marché à une concurrence croissante de WeChat, le système de paiement rival de Tencent Holdings.

Le premier ambassadeur de Chine à l’étranger

En janvier 2017, Jack Ma était le premier businessman chinois à s’afficher aux côtés du président américain fraîchement élu, Donald Trump, grillant ainsi la priorité au président chinois lui-même. Et contre toute attente (Donald Trump ayant fustigé la Chine tout au long de sa campagne), les échanges furent plus que cordiaux. « C'est un grand entrepreneur. Il aime les Etats-Unis et il aime la Chine. Jack et moi allons faire des choses formidables pour les petites entreprises. (...) C'est un homme de grande qualité » a confessé Donald Trump à l’issue de leur rencontre d’une quarantaine de minutes dans sa Trump Tower, à Manhattan. Un million d’emplois créés aux États-Unis grâce à Alibaba, « en aidant les petites entreprises à vendre leurs produits en Chine et sur d'autres marchés asiatiques ». C’est la promesse faite par son fondateur et qui lui vaut tant d’éloges. Quelques jours plus tard c’est à Davos qu’il se fait remarquer, lors du Forum économique mondial du 20 janvier 2017. Il ne manque pas de rappeler ses rapports francs avec Donald Trump, son amour pour le cinéma hollywoodien et scelle un partenariat avec le Comité international olympique. Il n’en fallait pas plus pour à nouveau voler la vedette au président chinois, aussi présent à l’événement. Porte-drapeau de l’ouverture de son pays au monde, Jack Ma multiplie les poignées de mains de haute volée et les sommets internationaux. Argentine, Australie, Israël, Malaisie, Pakistan, France… Jack Ma n’hésite pas à traverser les frontières pour aller à la rencontre des preneurs de décision, en clamant haut et fort les effets positifs de la mondialisation sur l’économie et les classes moyennes. Une façon d’assoir chaque jour un peu plus sa position de leader sur la scène internationale. Dans la même veine, Jack Ma souhaite qu’Alibaba, à l’image d’un État, ait sa propre Nasa et veut créer une Organisation mondiale du commerce électronique. Son ambition, et pas des moindres : sauver l’économie mondiale, en permettant aux PME du monde entier d’entrer en contact les unes avec les autres, sans se soucier des traités gouvernementaux, facilitant ainsi leur expansion. L’objectif est de rendre au commerce toute sa liberté. « Si la mondialisation était enceinte et avait des garçons jumeaux », a déclaré Michael Zakkour, consultant pour Trompkins International, « ils seraient Jeff Bezos et Jack Ma »

Alibaba vs Amazon

Régulièrement comparé au site d’e-commerce américain Amazon, les deux géants s’affrontent pourtant autour de deux visions du commerce très différentes. Avec un chiffre d’affaires de 136 milliards de dollars en 2016 (contre 23 milliards de dollars pour Alibaba), Amazon fonctionne sur une logique de retailer. Le groupe achète et revend des stocks et fabrique même certains produits (liseuses, tablettes, smartphones…). Amazon détient de nombreuses infrastructures logistiques pour ses livraisons. Alibaba n’a pas prétention à faire cela. Pure marketplace, le groupe chinois met en relation acheteurs et vendeurs. C’est un intermédiaire. « La différence entre Amazon et nous, c’est qu’Amazon est plus un empire qui contrôle, achète et vend lui-même », affirmait Jack Ma lui-même en janvier dernier sur la chaîne TV CNBC, « notre philosophie est que nous voulons être un écosystème ».

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Crédit photo: Les Échos START

 

L’écosystème Alibaba

 

Avec déjà près de 400 millions de clients présents chaque année sur ses sites de commerce en ligne, Alibaba a le vent en poupe. Le géant du numérique estime que ses revenus augmenteront de 45 % à 49 % au titre de l’exercice 2018. Des perspectives de croissance ambitieuses dans un contexte de décélération de l’économie chinoise. Mais le groupe compte sur la diversification de ses activités, entamée après avoir affiché de bons résultats sur son exercice 2016-2017 (une hausse de 56 % de son chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente), pour maintenir voire accélérer sa croissance. Son activité de cloud computing, qui représente encore une faible part du chiffre d’affaires global (4 %) a vu ses revenus augmenter de 121 % sur l’année et la branche digitale media et divertissement (9 % des revenus du groupe) a elle aussi connu une croissance fulgurante à hauteur de 271 %. Le mastodonte de l’e-commerce a même osé franchir un nouveau cap : passer de l’économie virtuelle à l’économie réelle en faisant l’acquisition à 100 % du distributeur chinois Intime. Coté à Hong Kong, le groupe détient 17 centres commerciaux et 29 grands magasins en Chine. Alibaba peut ainsi offrir aux marques la possibilité d’être présentes physiquement en Chine, dans des magasins qui se voudront aussi des points de retraits pour les achats en ligne. Les boutiques quant à elle auront accès aux milliards de données enfermées dans la caverne d’Alibaba. Une mine d’or d’informations, qui offre au groupe des marges de progression infinies. Une perspective dont on ne sait si elle réjouit ou non le fondateur, ce dernier ayant déclaré lors du forum économique de Saint-Pétersbourg : « Ma plus grande erreur a été de créer Alibaba […] Je voulais simplement gérer une petite entreprise. Mais elle a tellement grossi qu’elle m’a apporté trop de grandes responsabilités et de nombreux soucis ».

 

Marion Robert (@Marion_rbrt)

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