Les lieux chargés d’histoire et les chantiers plein de promesses sollicitaient jusqu’à présent l’imagination des passants pour délivrer tous leurs secrets. Avec les bornes de réalité virtuelle conçues par Timescope, il suffit d’ouvrir les yeux pour s’immerger dans un environnement a priori imperceptible. Adrien Sadaka, cofondateur de la start-up parisienne, nous explique comment il fait revivre le passé et entrevoir le futur.

Décideurs. Comment vous est venue l’idée de créer Timescope ?

Adrien Sadaka. Nous avons lancé Timescope avec Basile Segalen, un ami depuis le lycée. Ensemble, nous avons beaucoup voyagé à travers l’Europe et notamment à Pompéi en 2010. Sur les sites historiques, l’expérience nous a déçus. Alors que nous y allions plein d’enthousiasme pour être transportés dans le temps, les files d’attente et les échafaudages des travaux ne nous permettaient pas véritablement de nous évader ou de retrouver l’Empire romain. Il fallait se lancer dans un projet innovant pour changer la donne.

Quelles étapes ont ensuite rythmé votre développement ?

La première question que nous nous sommes posée concernait le choix des outils pertinents pour bâtir une offre divertissante et pédagogique. Mettre en valeur ces lieux à travers le mobile pouvait sembler être une bonne idée. Toutefois, lorsqu’on se balade sur un site, ou lorsqu’il pleut, la qualité de l’expérience peut vite se révéler médiocre. En 2014, nous avons essayé pour la première fois des casques de réalité virtuelle et nous étions convaincus que les qualités immersives de cette technologie pouvaient révolutionner notre approche. Chaque personne ayant testé un tel casque se souvient de son expérience car l’impact est maximal. Forts de ce constat, nous avons tous les deux quitté nos emplois dans le conseil et le digital pour nous impliquer dans le développement de notre outil.

« Ces bornes sont disponibles en libre-service et les curieux font la queue pour tenter l’aventure »

Quelles sont les caractéristiques de vos bornes ?

Ce sont des machines à voyager dans le temps. Grâce à des jumelles à hauteur adaptable, les passants, grands et petits, se plongent dans une réalité virtuelle représentant à des époques différentes le lieu physique dans lequel ils se trouvent. Pendant deux minutes en moyenne, l’immersion est totale. Comme ces bornes sont disponibles en libre-service et que les curieux font souvent la queue pour tenter l’aventure, les formats courts sont privilégiés. Même si notre technologie est très sophistiquée, la simplicité d’utilisation distingue cette offre et permet à nos clients de ne pas déployer de personnel.

Vous êtes-vous appuyés sur des partenariats pour accélérer la progression de votre start-up ?

N’ayant pas de formation d’ingénieur, nous avons adopté le point de vue de l’utilisateur final pour imaginer le produit de nos rêves. Très vite, les rencontres se sont multipliées et les meilleurs experts nous ont entourés. L’Usine IO, un atelier de prototypage, a développé la partie hardware et électronique. Ensuite, l’accent a été mis sur la composition de l’équipe pour recruter des profils de grande qualité dans des domaines variés : designers industriels, graphistes et une équipe technique indispensable pour la partie mécanique et logicielle. Nous avons misé sur eux avec nos moyens de jeunes sociétés en les intéressant aux résultats de l’entreprise et en promouvant certains au statut d’associés. Le 4 juillet 2016, nous avons bouclé une levée de fonds de 400 000 euros. Cette somme a été investie prioritairement dans l’équipe, composée aujourd’hui de dix personnes, ainsi que dans la R&D.

La Mairie de Paris a été votre premier client. Comment l’avez-vous convaincue de vous faire confiance ?

À l’époque où nous sommes entrés en contact avec la Mairie de Paris, nous n’avions ni maquette ni prototype. À travers un jeu de slides, il nous fallait exposer les forts besoins de la collectivité et les solutions que nous avions imaginées pour y répondre. Comment mettre en valeur les lieux historiques ? Comment animer les parcours du patrimoine local ? Nos interlocuteurs se sont vite montrés intéressés et ils nous ont donné leur accord pour installer une première borne face à la place de la Bastille. Le maire du XIe arrondissement a joué un rôle moteur dans cette première initiative concrète permettant aux passants de visualiser ce lieu tel qu’il était en 1416 et en 1789.

500 : c’est le nombre moyen d’utilisateurs journaliers pour les bornes connectées de Timescope

Comment se compose votre clientèle après deux ans d’existence ?

Timescope s'adresse aux acteurs qui gèrent des espaces accueillant du public, en leur permettant d'offrir à leurs visiteurs une expérience de réalité virtuelle sur-mesure, en plein air comme à l'intérieur. Nous avons comme clients des villes tel que Paris et Le Havre, des acteurs culturels, mais aussi des enseignes du luxe et du retail ayant un riche patrimoine que nous mettons en lumière à travers nos installations. Nous comptons aussi parmi nos clients des acteurs du tourisme comme les Aéroports de Paris, les Aéroports de Lyon et le Comité Régional du Tourisme d’Île-de-France, auprès de qui nous offrons des expériences de téléportation 360° contextualisées s'inscrivant dans le parcours de voyage. Nous signons également des accords avec des acteurs de l'immobilier public ou privé, comme le Grand Paris, à qui nous permettons de projeter les passants dans le futur attendu et artistique de lieux en chantier.

Qu’en est-il de la véracité historique des expériences que vous proposez ?

Tout ce que nous montrons au public a été vérifié par des experts qui apportent leur caution scientifique. L’historienne Héloïse Bocher, spécialiste de la Bastille, nous a ainsi prêté main forte pour notre première borne. Au Havre, nous nous sommes associés avec les archives municipales, la communauté d’agglomération et la maison du Patrimoine qui nous ont fourni les documents historiques indispensables à notre création de contenus. Ce sont tous des passionnés de très haut niveau qui tirent l’expérience vers le haut par leur exigence.

Est-ce qu’une concurrence s’est déjà formée sur votre segment d’activité novateur ?

Le marché émerge. Beaucoup d’offres émanent pour le moment d’agences de publicité ou d’agences digitales. Ces acteurs peuvent produire des contenus très intéressants mais ne disposent pas d’un produit physique innovant pour les diffuser. Nous sommes donc concurrents dans certains aspects mais surtout complémentaires. Là où les tablettes et mobiles montrent leurs limites, notre produit immersif et simple d’utilisation nous différencie.

400 000 euros : c’est le montant des fonds levés par la start-up en juillet 2016

Quels bilans peuvent aujourd’hui tirer vos clients de leurs bornes ?

Mise à part la première borne de Bastille qui est payante, toutes les autres sont gratuites pour répondre à l’appétence de nos clients. Cela crée une animation sur les lieux qui deviennent plus fréquentés qu’auparavant. En moyenne, ce sont cinq cents personnes par jour qui utilisent chacune de nos bornes connectées. Nous avons remarqué également que dans les files d’attente, l’ambiance est bon enfant et que les publics très divers sont réunis par une sorte d’excitation avant de tenter l’expérience.

Quelles ont été les difficultés à surmonter pour mener à bien ce projet ?

La phase de recrutement a été critique mais aussi très chronophage. Nous nous sommes beaucoup investis sur la formation de notre équipe. Hormis cela, nous avons pu souffrir un temps du manque de « culture start-up » des banques françaises. Ces dernières étaient rarement sur la même longueur d’ondes que nous, notamment lors de notre levée de fonds. Les augmentations de capital relèvent encore du mystère pour certains établissements financiers traditionnels.

Au contraire, qu’est-ce qui a bien fonctionné ?

Entreprendre à Paris ne relève plus du fantasme grâce aux nombreuses structures d’accompagnement qui ont vu le jour comme l’Usine IO ou encore le 104, notre incubateur. Il est assez simple de se constituer un réseau et de rencontrer les bonnes personnes pour son projet.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour l’avenir ?

Dans quelques années, lorsque l’on visitera un lieu historique ou touristique et que l’on ne trouvera pas de borne Timescope, il faudra que cela soit une source de déception. Cela impliquerait que notre outil soit devenu incontournable dans la mise en avant des territoires. Tous les lieux qui méritent d’être mis en exergue devraient s’équiper de nos produits qui apportent une expérience unique en proposant la réalité virtuelle à la portée du grand public.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)

 

 

 

 

 

 

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