Ignorant les critiques et poursuivant la dynamique du « hub » européen Armonia (1), la France s’est enfin adaptée aux nouveaux usages d’écoute de musique en ligne tout en s’efforçant de préserver les titulaires de droits par la réforme de la gestion collective.

Par Danielle Elkrief, avocat associé, et Manon Feydel, avocat. Elkrief Avocat

 

Transposant la Directive 2014/26/UE du 26 février 2014, la France par son Ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 et le Décret d’application n°2017-924 du 6 mai 2017, acte l’extinction d’une logique nationale par souci de pragmatisme économique, de fluidité, et en formant le vœu d’une plus grande diversité culturelle. Le contexte concurrentiel de plus en plus exacerbé, décloisonné et dominé par de nouveaux usages commandait cette nécessaire évolution2. Les plateformes musicales sont cependant seules à être concernées, la fragmentation territoriale des droits persistant a contrario dans l’audiovisuel.


Une logique paneuropéenne pour la seule musique en ligne


La musique en ligne représente en 2016 selon le SNEP 41 % du marché, le streaming par abonnement qu’il soit gratuit ou payant portant à lui seul +32 % de cette économie mondiale renaissante3.
Les aspirations du public et la viabilité des opérateurs dont le modèle économique repose sur un volume d’écoute, une diversification de leur catalogue et des droits étendus à l’échelle internationale, rendraient donc inconciliables les restrictions territoriales admises jusqu’alors. La multiterritorialité, doublée d’un processus allégé d’identification et de négociation auprès des titulaires de droits pays par pays, devrait en effet renforcer la rentabilité espérée en diminuant les coûts de transaction. À cet effet, les organismes habilités à conférer les licences multiterritoriales, doivent satisfaire une « capacité suffisante » tant dans l’identification des droits et leur gestion (à titre d’exemple, la Sacem a reçu en 2015, 286 milliards de données d’actes de consommation pour 50 millions de droits collectés sur Internet…4) que sur la redistribution efficiente des redevances. Ceux n’ayant pas la capacité de traiter de telles licences, devront conclure avec les organismes collectifs ou indépendants habilités, un mandat de gestion de leur répertoire, tout refus étant exclu en vertu du principe de « must carry ». Le déséquilibre quant aux modalités de répartition des richesses issues des exploitations numériques, et la concentration sur les droits les plus « rentables », déplorés par les ayants droit devraient être tempérés par la faculté de résilier à tout moment leur adhésion et le renforcement de la transparence à la charge des organismes. Outre la diversité culturelle prônée, les délais de répartition de leurs redevances ont été réduits à échéance de neuf mois (à compter de la fin de l’exercice de l’année de perception des revenus issus des exploitations donnant lieu à répartition5). Surtout, quand bien même la licence serait paneuropéenne, les organismes de gestion collective pourraient ne disposer que de droits restreints et précaires sur un répertoire divisé au choix des ayants droit au bénéfice d’organismes de gestion indépendants nationaux ou internationaux. La commission de contrôle existante jouera enfin un rôle de médiateur pour résoudre les litiges plus rapidement entre organismes de gestion et leurs membres, les titulaires de droits ou les utilisateurs.
Cette défragmentation qui se veut protectrice au bénéfice de toutes les créations n’est cependant pas d’actualité dans l’audiovisuel.
Les spécificités liées à la chaîne des droits, à la chronologie des médias, à un équilibre économique d’autant plus précaire qu’il s’oppose à une barrière linguistique (24 langues officielles dans l’Union Européenne) contrariant l’homogénéité du marché, n’ouvrent pas une voie dégagée aux licences multiterritoriales. À la différence des États-Unis par exemple qui de surcroît jouissent de conditions souples de transfert de données personnelles, cette diversité induit des coûts de création, de production et de distribution spécifiques à chaque territoire restreignant les économies d’échelle espérées d’une multiterritorialité. Si la Directive précitée prévoyait d’ailleurs la multiterritorialité pour les « services connexes et accessoires » en ligne tels que la catch up (ou télévision de rattrapage), les plateformes SVOD en étaient exclues et ni l’Ordonnance ni le Décret n’en retiennent le principe. Rejetée fermement du reste par les chaînes historiques encore récemment6, la multiterritorialité supposerait un assouplissement de leurs obligations de financement de la production d’œuvres françaises et européennes et de la chronologie des médias. Sans préventes pour des œuvres plus confidentielles, aucun distributeur ne prendrait par ailleurs de risques. Ainsi, la licence paneuropéenne engendrerait une perte de valeur et nuirait finalement à l’emploi et la diversité culturelle en autorisant l’ultra concentration des acteurs clés du secteur. 
Reste à savoir cependant si la seule recherche d’une meilleure portabilité et interopérabilité transfrontière permettant aux consommateurs d’utiliser leurs abonnements en ligne afin d’accéder aux contenus audiovisuels lorsqu’ils sont hors de leur pays d’origine, suffira à consolider le développement des plateformes SVOD et à parer à la concurrence déloyale des Gafa et au piratage endémique.
À croire Günther H. Oettinger, commissaire européen pour l’économie et la société numérique, la réforme attendue de la directive sur le droit d’auteur pour le marché unique numérique permettrait de concilier ces impératifs : « Nos industries de la création bénéficieront de ces réformes qui relèvent les défis de l’ère numérique tout en offrant aux consommateurs européens le loisir de choisir parmi un large éventail de contenus. Nous proposons un cadre pour le droit d’auteur qui est à la fois stimulant et juste et qui récompense l’investissement7. »
La libéralisation réglementaire, la lutte contre le piratage appelées par les diffuseurs audiovisuels français et la modernisation de la gestion collective, qui se doit désormais d’être transparente, dynamique, fluide et efficiente, sont dès lors à consolider pour que l’adaptation transfrontière soit véritablement efficiente. 

 

1 Portail créé dès 2012 par la France (Sacem), l’Espagne (SGAE) et l’Italie (SIAE), rejoint par la Belgique, la Suisse, 
la Hongrie, la Hollande.
2 “L’ouverture à la concurrence entre sociétés de gestion collective et la création de licences paneuropéennes en matière de musique en ligne » Elkrief Avocat- Guide Marketing E-Commerce Distribution 2015 - Décideurs
3 www.zdnet.fr/actualites/chiffres-cles-le-marche-francais-de-la-musique-sur-internet-39790982.htm
4 www.lagbd.org/index.php/La_Sacem_face_aux_d%C3%A9fis_du_num%C3%A9rique_(fr)
5 Art. L. 324-12.- I. de l’Ordonnance n°2016-1823 
du 22 décembre 2016
6 Colloque NPA – Le Figaro du 16 Mai 2017
7 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-3010_fr.htm

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