Les médias en sont persuadés : leur salut viendra de la qualité des contenus. À l'heure où les porte-voix digitaux sont mis à la portée du plus grand nombre, les journalistes professionnels cherchent à se démarquer par leurs analyses critiques et leurs travaux de vérification. Suffisant pour contrer l'irrésistible ascension des sites à sensation et des fake news dans la société ?

L’expression « Fake News » est devenue en peu de temps la nouvelle arme de disqualification massive adressée aux propagateurs d’informations équivoques. Popularisée pendant les élections présidentielles américaines de 2016, la formule suggère des pratiques séculaires sur lesquelles les défenseurs d’analyses objectives tentent depuis toujours de jeter le discrédit. Renaudot, père du journalisme français, écrivait déjà dans sa préface de 1631 des Anciennes relations des Indes et de la Chine : « Les gazettes empêchent plusieurs faux bruits […]. » Deux cent cinquante ans plus tard, dans l’article 27 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, c’est « la publication, la diffusion ou la reproduction […] de nouvelles fausses […] faite de mauvaise foi » qui est condamnée. Cette crainte des cancans, de la diffamation ou du ragot a ainsi traversé les siècles pour connaître depuis quelques mois une seconde jeunesse. Pourquoi les fake news, que l’on pourrait traduire par « informations fallacieuses », parviennent-elles à faire autant parler d’elles aujourd’hui ?

Des caisses de résonance sans précédent

La principale raison tient au sacre d’Internet comme catalyseur des nouvelles formes d’expression décomplexée. Certains éditeurs controversés comme Breitbart ont profité de cette aire de jeux pour déployer leurs titres racoleurs, générer du trafic et accumuler des revenus publicitaires. Publiés sur des plates-formes aux allures professionnelles, les articles à l’origine de fake news donnent une première impression de sérieux même si leurs auteurs ne sont ni journalistes, ni reliés à la déontologie des titres de presse. Plus ou moins discrètement, la ligne éditoriale réfute toute idée de neutralité et souhaite délibérément abuser de la crédulité du lecteur. Si certains sites, à l’instar du Gorafi, ont des visées essentiellement humoristiques, d’autres ont pour but d’influencer leurs lecteurs et d’introduire des idées déviantes, voire mensongères dans les débats publics afin de servir des intérêts partisans. À la suite des élections présidentielles françaises, les sites Sputnik et Russia Today ont ainsi été sévèrement dénoncés par Emmanuel Macron lors de la visite de Vladimir Poutine à Versailles. Les mouvances d’extrême droite sont aussi accusées d’utiliser ce type de stratagème pour gonfler leur audience.

À partir d’une simple navigation sur le Net, les internautes ont un accès aisé à ces plates-formes. L’avocat Jean-Baptiste Soufron précise l’importance de ce canal : « Personne ne songerait à hurler dans la rue qu’Hillary Clinton est un assassin d’enfants. Et pourtant, sur Internet, on le fait. La décence disparaît sur ce terrain particulier. » Patrick Eveno, universitaire français spécialiste de l’histoire des médias, abonde dans le même sens : « Depuis qu’il y a des hommes, il y a de la désinformation. Aujourd’hui, ce qui change la donne, ce sont les réseaux sociaux, caisses de résonnances inédites dans l’histoire. » Le propre des fake news tient aussi à cette viralité qui les rend incontrôlables et difficiles à tracer. À l’heure où 73 % des 18-24 ans déclarent accéder à l’actualité par les réseaux sociaux*, il est grand temps de tirer la sonnette d’alarme.

L'arroseur arrosé : à chacun ses fake news

La presse historique s’est d’abord emparée de l’expression « fake news » pour désigner les sites publiant un contenu partial et cristalliser la différence fondamentale entre ce traitement douteux de l’information et les travaux des journalistes professionnels. Très vite cependant, les accusés ont repris à leur compte ces termes dans un basculement rhétorique inattendu. On évoque désormais les fake news pour esquiver le débat et critiquer les porteurs d’attaques. Donald Trump incarne mieux que quiconque ce retournement de situation. Si les médias traditionnels ne cessent de décortiquer ses prises de paroles pour démêler le vrai du faux et les exagérations des exactitudes, le président américain affirme être la victime de calomnies permanentes. Sur Twitter, il a publié début juillet un message dans lequel on pouvait lire ce passage laconique : « Pour les élections de 2016, je devais battre les #fakenews et je l’ai fait. Nous continuerons à gagner ! » Dans une moindre mesure, Najat Vallaud-Belkacem s’est aussi réfugiée derrière le bouclier des fake news dans l’émission « On n’est pas couché » lorsque Vanessa Burggraf pointait les conséquences des évolutions orthographiques entérinées durant le quinquennat Hollande. La crise de confiance vis-à-vis des professionnels de l’information s’avère ici déterminante.

Dans les grandes rédactions, les réponses ne se sont pas fait attendre. Ainsi, Le Monde, après avoir lancé la rubrique des Décodeurs pour vérifier les informations relayées dans la sphère publique, a développé le « Décodex » permettant aux internautes de contrôler le sérieux des sites qu’ils consultent. Adrien Sénécat, journaliste au sein des Décodeurs, précise sa démarche : « On donne toujours plus la possibilité aux lecteurs d’évaluer l’article en citant les sources et en insérant les liens vers l’information brute. Au lieu de démentis catégoriques, nous offrons des éléments de réflexion. » Les réseaux sociaux sont encore pointés du doigt pour expliquer les difficultés rencontrées par les détenteurs de l’information vérifiée souhaitant se faire entendre. Guillaume Brossard, fondateur du site Hoaxbuster, le confirme : « Sur Twitter, un journaliste professionnel et un internaute lambda peuvent s’opposer sur une question de fond et jouir de la même crédibilité devant un lecteur tiers, spectateur de leur passe d’armes. » Que ce soit à travers des posts Facebook ou des gazouillis en 140 caractères, les fake news constituent un contenu suscitant l’intérêt et encourageant les internautes à passer du temps sur les réseaux. Cette liaison dangereuse est soulignée par Guillaume Brossard : « Les fake news engendrent beaucoup de partages et de likes. Il est difficile pour Facebook et consorts de supprimer ces articles générant du trafic. » Avec les applications CrossCheck et CrowdTangle, Google et Facebook tentent malgré tout d’apporter les outils permettant à leurs utilisateurs de vérifier ou de signaler des contenus douteux. Leur but : éviter la rémunération publicitaire des éméteurs de fake news. En attaquant ces pages web à la source de leurs revenus, les géants de l’Internet pourraient obtenir des résultats probants.

Une influence minime à réguler au plus vite

Selon deux chercheurs américains, Hunt Allcott, de l'université de New York, et Matthew Gentzkow, de l'université de Stanford, l’influence des fake news est à relativiser malgré le ramdam créé autour de ce concept. Selon leur enquête, seulement 1,14 % des Américains sondés se rappelaient effectivement avoir vu et retenu une fausse information diffusée lors des élections US. Malgré cela, le dispositif législatif s’adapte pour ne pas laisser pulluler la désinformation sur le Net. Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, a soumis une proposition de loi visant à sanctionner les fake news fin mars 2017. Pour cette élue, une peine d’un an de prison et 15 000 euros d’amende pourraient ainsi sanctionner l’émission et la diffusion volontaire de fausses nouvelles. 

* Source : Observatoire du webjournalisme

 

Thomas Bastin (ThBastin)

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