Créée en 2008, l’entreprise familiale Smoove vient de remporter le marché du Vélib’ face au géant industriel JC Decaux. Une connaissance aigue de la concurrence est en partie à l’origine de ce succès. De Montpellier à Paris en passant par les bords de la mer noire et Moscou, Laurent Mercat, fondateur et président de la nouvelle star du vélo à assistance électrique en libre-service, nous offre un tour du monde du marché du vélo partagé.

Décideurs. Start-up d’une cinquantaine de salariés, vous venez de remporter le marché parisien du Vélib’ face au géant JC Decaux. Qu’est ce qui a fait la différence ?

Laurent Mercat. La Ville de Paris a fait le choix de séparer la publicité de son système de vélos en libre-service – le modèle de JC Decaux et son concurrent américain Clear Chanel – et d’innover vers l’électrique, le connecté et des fonctionnalités nouvelles. Smoove répondait à ces critères. Mais nous avons surtout gagné grâce au positionnement économique de nos produits. Dans un contexte de métropolisation de la ville de Paris, la sensibilité au coût était importante. Pour répondre à l’appel d’offres, nous avons formé un consortium, Smoovengo, qui associe des structures telles que Mobivia, notre actionnaire, Indigo et une entreprise de transports espagnole : Moventia. 63 communes de la métropole de Paris ont aujourd’hui adhéré au volet Vélib’ Métropole. Notre structure fabless intéresse car nous concentrons des brevets, un bureau d’études et une chaîne de distribution à laquelle est associée une offre industrielle d’économie secondaire traditionnelle. Intégrée, l’offre est maîtrisée de bout en bout par notre start-up. Nous sommes des « activateurs » de l’industrie française en évoluant à la fois dans le monde du digital et de l’industrie. Aujourd’hui l’entreprise compte 48 salariés. En parallèle, nous sommes coactionnaire de Smoovengo. Le consortium exploitera le Vélib Métropole, grâce à une équipe de plus de 300 personnes, dont la majorité viendra du sortant JCDecaux. 

À quoi va ressembler le nouveau Vélib’ Smoovengo ?

Smoove détient un brevet qui porte sur un verrou mécatronique, aussi appelé « fourche cadenas », permettant une meilleure sécurisation des vélos. L’ergonomie de nos cycles est également différente : nous avons choisi d’embarquer une électronique dans la potence du vélo qui communique. L’utilisateur pourra présenter le pass Navigo directement sur le vélo et faire un code transmis par son smartphone. Notre flotte est unique, nos vélos seront hybrides. Ils auront la même structure et le même look, mais peuvent devenir électriques par un simple passage en atelier. La batterie sera intégrée dans le cadre du vélo et le moteur placé dans la roue avant. La connectivité de nos vélos permettra de remédier au problème des stations saturées : avec le boîtier intégré, il sera possible de le rendre et de clore la location en surcapacité.

« Dans le petit secteur du vélo en libre-service, nous sommes, parmi les structures mondiales, celle qui connaît le mieux la concurrence. »

Comment vous différenciez-vous sur un marché du vélo ultraconcurrentiel ? 

Dans le petit secteur du vélo en libre-service, nous sommes, parmi les structures mondiales, celle qui connaît le mieux la concurrence. Avec le groupe Transdev à notre capital, nous avons commencé par répondre aux appels d’offres de villes françaises moyennes, telles que Montpellier, Avignon, Valence, Grenoble, Saint-Étienne ou encore Lorient. JC Decaux ayant déjà raflé la presque totalité du marché français, grâce à un business model très performant. Nous avons donc fait le pari de l’international. Nous avons tenté les marchés anglais, italien, grec, chypriote … Forts de bons succès, nous avons installé 400 vélos sur les bords de la mer Noire, en Géorgie, ce qui nous a valu d’être repérés par les Moscovites. En découvreurs, nous avons participé à l’appel d’offres de cette mégapole de 12 millions d’habitants. Après de multiples négociations nous avons remporté le marché en 2014, face notamment à JC Decaux, pour un projet de 3 750 vélos et 350 stations. Ce fut pour Smoove une étape essentielle de notre développement : nous avons pu racheter des parts de notre capital à Transdev et refaire un tour de table. Mobivia, une entreprise travaillant dans les services automobiles, est entrée à notre capital, nous avons décidé qu’à l’heure du renouvellement des marchés français, il fallait aussi revenir en France.

Quelle est votre stratégie de développement à long terme ?

Notre projet ne se limite pas à Vélib’ puisque nous avions anticipé notre besoin de croître avec ou sans Paris. Nous avions déjà embauché, refondu notre offre industrielle et travaillé sur des projets de R&D avec comme objectif d’être en capacité de faire du gros volume dans des temps courts. En parallèle de l’appel d’offres lancé par la Ville de Paris, nous ciblons plusieurs marchés traditionnels comme le Luxembourg, Barcelone, Nantes, Stockholm... qui constituent des opportunités de renouvellement en Europe.

Qu’est-ce qui vous différencie de vos homologues implantés en Chine, en pointe sur ce marché ?

La France évolue dans un contexte différent de la Chine. L’empire du Milieu a créé un système low cost, dit « en freefloating » ou sans station fixe. C’est intéressant d’un point de vue économique car il ne repose pas sur des subventions. Il pose cependant de nombreux problèmes. Les usagers ne payant qu’une somme infime pour se déplacer, leur modèle ne vit actuellement que grâce à des investisseurs qui injectent des centaines de millions de dollars. Résultat : une quinzaine d’entreprises lancent leurs propres vélos de manière anarchique. Ce désordre, couplé au problème des vélos qui s’amassent sur les trottoirs et les voiries (les utilisateurs peuvent les prendre et les déposer n’importe où), n’est pas compatible avec la demande des villes à l’international dont les modèles sont beaucoup plus régulés. Les Chinois découvrent donc le besoin de structures d’exploitation qui augmentent leurs coûts. En complément, un vélo sans station fixe est plus sensible au vol qui est malheureusement une vraie problématique en France.

Propos recueillis par Marion Robert (@Marion_rbrt)

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