Emmanuel Lulin a rejoint L’Oréal en 1999 au poste de directeur juridique des relations humaines avant de devenir le premier directeur général de l’éthique du groupe en 2007. Son rôle ? Soutenir les directeurs et managers dans leurs prises de décisions ainsi que promouvoir les principes éthiques et les bonnes pratiques auprès de tous les collaborateurs.

Décideurs. Vous avez été nommé le premier directeur de l’éthique de L’Oréal en 2007. Quels sont vos domaines d’intervention ?

Emmanuel Lulin. Mon rôle est de m’assurer que les quatre principes éthiques de L’Oréal que sont l’intégrité, le respect, le courage et la transparence soient connus, compris et appliqués au quotidien par l’ensemble de nos collaborateurs. Pour ce faire, notre démarche éthique utilise plusieurs leviers. Nous assurons dans un premier temps la promotion et l’intégration des meilleures pratiques au sein du groupe par le biais de nombreuses actions de pédagogie et de communication. Nous sommes également souvent consultés sur la prise de décision éthique et c’est la raison pour laquelle nous avons développé plusieurs guides pratiques venant préciser notre position éthique sur des sujets spécifiques en complément de notre charte éthique. Nous assurons par ailleurs la formation des salariés afin qu’ils puissent identifier et traiter les dilemmes éthiques. Bien entendu, nous consacrons du temps à mesurer l’effectivité de notre démarche dans l’ensemble des pays et à en restituer les résultats, y compris sous la forme de plans d’actions pratiques. Les collaborateurs peuvent également me saisir directement pour me signaler un comportement contraire à l’éthique, le principe étant que toute allégation exprimée de bonne foi puisse faire l’objet d’un examen détaillé et que les mesures adéquates soient prises le cas échéant. Enfin, je supervise le respect des droits de l’Homme dans le groupe, un sujet amené à prendre de plus en plus d’importance dans les années à venir. Nous travaillons également avec de nombreux services tels que celui des achats, les relations humaines, la finance, ainsi qu’avec nos divisions opérationnelles. C’est la meilleure façon de s’assurer que nos principes éthiques sont pris en compte non seulement dans les politiques et les procédures de l'entreprise, mais aussi dans les pratiques quotidiennes.

Quelles sont les principales évolutions de votre métier ?

Au cours des dernières années, nous avons été amenés à intervenir sur des situations liées non seulement à des comportements individuels mais de plus en plus à l’activité stratégique du groupe. À l’avenir, le rôle de directeur de l’éthique s’orientera davantage vers l’identification des questions de demain, dont celles liées au big data, au transhumanisme ou encore au rôle que peuvent jouer les entreprises dans le monde.

L’Oréal est l’une des premières entreprises en France à s’être dotée d’une charte éthique. Qu’est-ce qui vous distingue des autres entreprises en la matière ?

La démarche éthique de L’Oréal a la particularité de se concentrer notamment sur le multiculturalisme et le multilinguisme, la proximité, le dialogue ouvert et le développement du leadership éthique. Par exemple, concernant la proximité, je consacre depuis 2013 une grande partie de mon temps à visiter régulièrement les entités du groupe à travers le monde afin d’aller sur le terrain et de rencontrer les collaborateurs à tous les niveaux de l’entreprise. Dans ce cadre, je me suis rendu dans plus de soixante-dix pays, ce qui m’a permis d’être en contact avec des milliers de salariés. Aller à leur rencontre et échanger avec eux directement sur l’éthique dans leur quotidien est une démarche très appréciée. L’attention particulière portée au multiculturalisme et au multilinguisme se retrouve notamment dans la charte éthique de L’Oréal qui est disponible en quarante-cinq langues mais également éditée en braille en anglais et en français afin que chacun puisse la lire dans sa langue maternelle. C’est pour nous un signe de respect vis-à-vis de nos collaborateurs à travers le monde. Cette charte se veut un document à la fois vivant et partagé, qui couvre des sujets essentiels à une culture de loyauté, de confiance et de solidarité dans l'entreprise. Son but est d’aider les salariés à comprendre, dans un langage simple et intelligible, ce que l’entreprise attend d'eux, en énonçant les principes généraux mais aussi à travers de nombreux exemples pratiques. Rendre l'éthique pertinente dans leur travail de tous les jours est crucial, et c’est la raison pour laquelle notre charte éthique s’intitule : « l’éthique au quotidien ».

« Nous assurons la formation des collaborateurs afin qu’ils puissent identifier et traiter les dilemmes éthiques »

Quelles initiatives concrètes avez-vous lancées ?

Elles sont multiples. Nous avons lancé en 2009 l’ « Ethics Day », une journée durant laquelle les collaborateurs du monde entier peuvent adresser leurs questions sur l’éthique directement à notre président-directeur général, Jean-Paul Agon, auxquelles il répond lors d’un webchat en direct. La proximité avec les salariés et la démonstration d'ouverture sur ce sujet de M. Agon sont très appréciées, à tel point que la journée de l’éthique est devenue un événement annuel et une date clé dans l'agenda du groupe. Depuis 2012, ce dialogue s’est étendu à tous les directeurs généraux des filiales du groupe qui organisent également un échange sur l'éthique avec les salariés de leur pays mais également depuis cette année aux membres du comité exécutif du groupe. C'est une excellente occasion pour les cadres dirigeants de faire preuve de leadership et de courage en répondant à des questions parfois difficiles.

Une autre récente initiative concerne la publication de la politique de L’Oréal sur les droits de l’Homme qui a permis de faire part de notre engagement auprès de nos consommateurs, des parties prenantes et de la société civile, mais aussi de présenter plus clairement la façon dont nous respectons notre engagement en pratique. Nous sommes d’ailleurs actuellement en train de mettre en place le comité de pilotage des droits de l’Homme au sein du groupe.

Quels programmes avez-vous mis en place pour vos employés dans le cadre de votre politique éthique ?

Permettre aux collaborateurs de s’exprimer et de faire remonter en toute confiance les éventuels comportements contraires à l’éthique est l’un des piliers essentiels de la culture d’intégrité de notre groupe. Il existe d’ailleurs une façon très simple de connaître le niveau de la culture d’intégrité d’une entreprise. Il suffit de poser la question « vous sentez-vous à l’aise dans votre entreprise de faire remonter une préoccupation sans crainte de représailles ? » à ses collaborateurs. Si la réponse est négative, vous avez alors probablement affaire à une société avec une faible culture d’intégrité. Sur ce point, L’Oréal a développé très tôt sa politique d’ « Open Talk » (« Parlons-en ensemble ») qui permet de garantir un environnement de travail dans lequel les salariés sont encouragés à exprimer toute préoccupation, avec la certitude que le sujet sera traité de manière professionnelle et respectueuse, sans s’attirer d’ennuis. Cette politique fait partie de la charte éthique du groupe et inclut, dans le cas où une préoccupation ne pourrait être traitée par les voies normales, un site internet sécurisé permettant de me contacter directement. Pour compléter ce programme, nous constituons depuis 2009 un réseau mondial de correspondants éthiques, des collaborateurs de haut talent qui sont aussi des ressortissants locaux. Ce réseau comprend aujourd’hui soixante-quatorze correspondants et permet désormais à l’ensemble des salariés du groupe de disposer d’un interlocuteur de proximité.

La mission des correspondants éthiques est également d’assister les directeurs généraux des filiales ou des entités dans la mise en œuvre de la démarche éthique locale. Il permet également une meilleure proximité et une meilleure compréhension des attentes de nos filiales à l’étranger.

« Aller à la rencontre des salariés et échanger avec eux directement sur l’éthique dans leur quotidien est une démarche très appréciée »

Quel est le lien entre éthique et compliance ?

Même si l’éthique et la compliance sont des notions similaires, un certain nombre d’éléments les distinguent. La conformité, en français, consiste à s’assurer du respect des règles légales ou propres à l’entreprise. L’éthique quant à elle est l’application des principes éthiques à la conduite des affaires qui guident les décisions et les comportements. Elle intervient ainsi avant et après la conformité, à chaque fois qu’une décision discrétionnaire doit être prise. Autrement dit, d’un point de vue éthique, ce n’est pas parce que l’entreprise a le droit de faire quelque chose qu’elle doit nécessairement le faire. Bien entendu, une société qui ne s’assurerait pas du respect de la loi ou de ses propres règles ne serait pas crédible. La conformité joue donc un rôle important, mais sans culture éthique, un programme de conformité seul est inefficace.

L’éthique est-elle un avantage compétitif ?

Dans une vision à court terme, éthique et performance ont souvent été opposées. Cette vision a toutefois été démentie par de nombreuses recherches montrant l’existence d’une corrélation positive entre la performance et l’intégrité de l’entreprise. Il n’est plus besoin de convaincre que des valeurs fortes et des standards éthiques élevés donnent aux entreprises un avantage concurrentiel. Au XXIe siècle, seules les sociétés ayant intégré l’éthique dans leur culture, leur stratégie et leurs pratiques quotidiennes seront pérennes. Une démarche éthique robuste et une culture saine d'intégrité sont une garantie pour les marchés, tout en protégeant la réputation et les actifs de l'entreprise, en atténuant les risques et en améliorant la gouvernance et la gestion de l'entreprise. Ce sont des éléments de différenciation forts, porteurs de sens, qui génèrent de la confiance en créant l'engagement des collaborateurs ainsi qu’en attirant et en retenant les talents.

Quel a été l’impact de la loi Sapin 2 pour votre groupe ?

Notre groupe a mis en place un dispositif robuste de recueil des signalements avant l’évolution amenée par la loi Sapin 2. Nous avons par ailleurs déployé en 2013, en partenariat avec le service du risk management et conformité, un guide pratique éthique sur la prévention de la corruption au quotidien, venant compléter notre politique de lutte anticorruption. Nous prévoyons des mises à jour sur ces documents afin de nous aligner à la nouvelle réglementation, mais l’essentiel restera inchangé.

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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