Après plus de trente années passées au sein du groupe pharmaceutique américain Bristol-Myers Squibb, Dominique Laymand rejoint Ipsen en 2015 pour prendre les rênes de l’éthique et de la compliance. Forte de son expérience internationale dans le domaine de la santé, elle est chargée d’assurer une culture d’intégrité qui permet à l’entreprise de mener ses activités tout en respec-tant les normes éthiques les plus élevées.

Décideurs. Vous avez une expérience au sein d’entreprises américaines. Avez-vous constaté une différence d’approche de la compliance en arrivant chez Ipsen ?

Dominique Laymand. J’ai rejoint Ipsen par choix car je voulais quitter l’univers des multinationales et les valeurs de l’entreprise permettaient le développement d’une approche éthique et compliance basée à la fois sur ces valeurs et sur les fondamentaux d’un programme de compliance. Si l’on veut avoir une vision stratégique en matière de compliance, il ne faut pas limiter sa vision et intégrer la partie éthique.

Quel est le lien entre éthique et compliance ?

Une approche éthique et compliance bien intégrée va au-delà de l’application stricte des règles. Dans l’industrie de la santé, se contenter de respecter les normes n’est pas suffisant, étant donnée la dimension éthique que cela suppose vis-à-vis des patients. Il doit donc y avoir une réflexion plus poussée de ce qui est bien de faire face à ce qu’on a le droit de faire. L’éthique est le questionnement que chacun d’entre nous doit avoir sur sa façon d’exercer sa profession. C’est la racine de l’arbre et il est très difficile de la détacher de la compliance.

La fonction compliance et éthique est-elle un acteur stratégique ou un outil de contrôle et de conformité ? 

Elle doit absolument être un acteur stratégique. Si elle ne l’est pas, on peut mettre en doute son utilité au sein d’une entreprise. Chez Ipsen, l’éthique et la compliance sont indépendantes des autres fonctions et de toute l’organisation opérationnelle. Par exemple, je reporte directement au CEO, et je suis également membre du comité exécutif. C’est un signal fort lancé par la direction. Notre CEO David Meek possède une culture et une conviction très fortes sur ces sujets et y accorde une grande importance. Le conseil d’administration a par ailleurs créé, il y a quelques années, un comité d’éthique devant lequel je me rends plusieurs fois par an avec le general counsel, pour présenter la politique éthique et les contrôles mis en place mis en place.

« L’extension presqu’infinie de la possibilité de diagnostiquer des maladies posera des questions d’ordre éthique »

Quels sont les défis de demain en matière d’éthique ?

Les défis de demain sont également ceux d’hier : il suffit de relire les penseurs grecs qui posaient déjà les grandes questions. Cependant, de nouvelles discussions éthiques s’ouvrent, et notamment concernant l’intelligence artificielles. Des travaux académiques commencent à sortir sur le sujet et je souhaite m’y intéresser davantage. L’homme augmenté, l’utilisation des robots… l’extension presqu’infinie de la possibilité de diagnostiquer des maladies posera des questions d’ordre éthique. L’autre grand défi concerne la mondialisation : sur quels principes éthiques se mettre d’accord au niveau international. Il est alors important que le groupe définisse clairement les valeurs fondamentales partagées par tous ses collaborateurs à travers le monde, qui serviront de guide à toutes les prises de décisions et aux activités conduites au nom de l’entreprise. 

« L’éthique est le questionnement que chacun d’entre nous doit avoir sur sa façon d’exercer sa profession »

L’industrie pharmaceutique est confrontée à de nombreux faits de corruption. Comment éviter ce genre de pratiques ?

L’industrie pharmaceutique est très contrôlée, au même titre que la finance, depuis de nombreuses années, ce qui est normal puisque l’on touche à la santé humaine. Elle est présente partout sur la planète, y compris sur des marchés ayant un environnement extérieur complexe où la corruption est très présente. Ceci étant, beaucoup d’efforts et de changements ont été faits tant au niveau des entreprises que des États. Les ONG ont joué un rôle d’alerte, tout comme certaines autorités nationales qui ont mis en œuvre des réglementations spécifiques qui sanctionnent la corruption ainsi que les entreprises du secteur de la santé à travers les actions d’autorégulation des associations professionnelles et l’amélioration continue de leurs programmes d’éthique et de compliance. De nombreux États ont compris qu’ils n’attireraient pas les opérateurs économiques n’agissaient pas. Réglementer strictement les pratiques liées à la corruption est ainsi devenu un important enjeu économique. La France a d’ailleurs rattrapé son retard sur le sujet grâce à la loi Sapin 2. Les réglementations anti-compétition, anticorruption et sur la protection des données personnelles sont les leviers du développement économique pérenne. 

Vous êtes également présidente de l’association ETHICS (International Society of Healthcare Ethics & Compliance Professionals) fondée en 2012. Quelles sont vos objectifs ? 

ETHICS vise à être reconnue comme une association internationale indépendante de professionnels qui établit des normes éthiques et de conformité. Elle façonne également et influence les stratégies dans un environnement de la santé en pleine mutation avec pour objectif finale de servir au mieux les intérêts des patients et de la société dans son ensemble.

Nous venons de modifier notre plan stratégique à cinq ans pour le rendre plus ambitieux : partager nos expériences et renforcer les compétences dans une fonction relativement récente, être davantage visible à l’extérieur et nous étendre à travers des branches à l’étranger. Nous sommes une association internationale indépendante composée de professionnels à titre individuel, ce qui signifie que nous ne représentons pas notre entreprise.  Les organismes extérieurs nous reconnaissent comme une vraie partie prenante des débats. Nous nous réunissons périodiquement pour établir des standards et influencer les stratégies dans le secteur de l’environnement médical avec pour objectif le bien-être du patient.

 

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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