Alors que le secteur des travaux publics commence enfin à sortir de l’ornière, alors que se dessinent de nouvelles orientations gouvernementales en matière d’infrastructures. Bruno Cavagné, président de la FNTP, nous éclaire sur l’avenir de la filière.

Décideurs. Comment se porte le secteur des travaux publics aujourd'hui ?

Bruno Cavagné. Faisant suite à neuf années de crise, le secteur des travaux publics montre enfin des signes d’inflexion de l’activité en 2018. Si de nombreuses fragilités persistent, à savoir une activité erratique, de fortes disparités, un creusement du fossé entre zones  rurales et urbaines… la reprise est perceptible et les perspectives d’activité pour cette année (ndlr : + 4% en valeur) laissent entrevoir un avenir plus serein que les années précédentes.  Le chantier du Grand Paris Express est, à cet égard, une locomotive pour l’ensemble du secteur. Tous les métiers devraient continuer d’accélérer. Il boostera encore l'activité et participera à hauteur de 1,2 % à la reprise. De manière générale, les zones urbaines et les métropoles seront les plus dynamiques, contrairement au monde rural qui continue de nous inquiéter. Ce dernier réinvestira un peu, certes, mais si nous voulons qu'il se porte vraiment mieux, il est nécessaire de l'aider. La cohésion territoriale est un sujet essentiel : les Assises de la mobilité ont mis en lumière le besoin de désenclavement de certains de ces territoires, et les futures Assises de l'eau devront aussi mettre au débat les questions de fracture territoriale et réfléchir à des systèmes de péréquation.

Dans ce contexte, le sujet du recrutement revient en force pour de plus en plus d’entreprises. En ce début d’année, 40 % des entreprises déclarent être limitées par une insuffisance de main-d’œuvre, contre 15 % en moyenne sur longue période. Cette part augmente continûment depuis avril 2017 et atteint en janvier 2018 son plus haut niveau depuis avril 2008. Evidemment, l’Île-de-France a un effet « aspirateur » pour la main d’œuvre de régions limitrophes mais des difficultés de recrutement remontent désormais de multiples régions, en particulier pour leurs grandes métropole). Aujourd’hui, 270 000 salariés travaillent dans les entreprises de travaux publics dont 35 000 intérimaires. Pour attirer des jeunes dans nos métiers, nous allons lancer une grande campagne de communication dans le courant de l’année.

Tous les métiers devraient continuer d’accélérer

 

Où se situent aujourd'hui les principaux besoins en infrastructures en France ?

Il y a, en France, un problème de dégradation des infrastructures : celles-ci vieillissent car nous entretenons trop peu notre patrimoine. Ainsi, notre pays accumule des dettes grises, c’est-à-dire celles que l’on transmet aux générations futures en n’investissant pas suffisamment pour maintenir en état les infrastructures indispensables aux territoires.  La dégradation de nos infrastructures a d’ailleurs été pointée du doigt par le forum économique mondial qui a été rétrogradé la France de la quatrième place en 2008 à la dixième place en 2015, à l’occasion de son classement sur la qualité de ses infrastructures. Un tel message devrait entraîner une vraie prise de conscience de la part des pouvoirs publics. Au-delà de la question de l’entretien de notre patrimoine d’infrastructures, qu’il s’agisse de la mobilité de demain, de l’aménagement et de l’attractivité des territoires, de la transition énergétique, du déploiement du numérique, les besoins sont immenses.

Le  monde rural continue de nous inquiéter

 

Vous avez longtemps milité pour la création d'un Conseil d'orientation des infrastructures. Maintenant que celui-ci existe et que vous en faîtes partie, quelles sont les prochaines échéances ?

Je me réjouis que les trois mois de travail collectif du Conseil aient permis de définir les scénarios de ce que doit être une politique publique d’infrastructures qui réponde aux ambitions  du  Président de la République, Emmanuel Macron, en matière de mobilités. S’il est clair que le scénario 1 ne répond à aucune des priorités définies comme urgentes, à savoir l’amélioration de la qualité de service pour les populations et pour l’économie, la réduction de la pollution, celle des inégalités territoriales, je défends le scénario 3 car c’est celui qui insuffle une réelle ambition à notre politique de mobilité et qui répond à l’urgence des attentes de nos territoires et aux besoins des populations. Le scénario qui sera retenu par l’exécutif servira de base à la loi d’orientation sur les mobilités, prévue pour le printemps. Avec la volonté de réaliser un texte « historique », à l’image de la loi d’orientation des transports intérieurs de 1982, plus connue sous le nom de loi Loti, qui donne une vision claire d’une politique d’infrastructures, assorti d’un échéancier pour son financement. Ce sera la première loi de programmation en France en matière d’infrastructures de transport.

 

Quelles sont aujourd'hui les manques existant en matière financement des infrastructures ? Comment y remédier ?

Pour rendre possible ce scénario, la loi d’orientation des mobilités devra faire des choix en matière de financement. S’il est important de réaffecter des recettes complémentaires en faveur de la politique des mobilités, via la TICPE et/ou un rééquilibrage entre la part payée par les contribuables et celle payée par les usagers, je rappelle qu’il est fondamental d’accorder aux collectivités locales la liberté d’innover dans le financement de leurs politiques d’infrastructures en leur permettant de dégager de nouvelles recettes, à travers les péages urbains par exemple. Pour réussir la politique d’infrastructures de la France, je suis convaincu que l’on ne pourra pas faire l’impasse, ni sur une réflexion sur le rôle que doivent jouer les partenariats public-privé, ni sur une réforme des procédures.

Propos recueillis par Boris Beltran

 

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