Les enceintes connectées se déploient rapidement dans les foyers au grand plaisir des Google, Amazon et consorts. Les enseignes de distribution, pour leur part, tentent de profiter de ce nouveau point de contact avec leurs consommateurs sans envahir pour autant la sphère privée.

« Il est frais mon poisson ! », « Un euro l’avocat ! » ou encore « Lisez France Soir ! ». De longue date, les crieurs publics et les vendeurs sur les marchés font entendre leur puissance vocale pour attirer le chaland. Avec l’adoption des enceintes connectées dans les foyers, le marketing de la voix ne repose plus sur l’explosion des décibels mais bien sur l’échange naturel et le sens de l’à-propos.

Un marché en pleine explosion

Au premier trimestre 2018, le marché des enceintes connectées a crû de près de 300 %*. « L’enceinte connectée est un nouveau produit qui va s’imposer sur le marché, tout comme le mobile auparavant qui est devenu incontournable », déclare ainsi Régis Chenavaz, professeur en économie à Kedge Business School. Le succès de ce gadget technologique innovant, devenu un cadeau abordable, fait miroiter aux marques un nouveau vecteur de communication dans un environnement privilégié, celui de la maison de leur cible. De nombreuses sociétés relaient avec fierté et enthousiasme les partenariats noués avec Google Home ou Amazon Echo, les enceintes stars du moment.

C’est notamment le cas de Boursorama qui a lancé en juillet 2018 son « voicebot ». Les clients de la banque disposant d’un Google Home peuvent désormais obtenir le solde de leurs comptes et solliciter un virement en dictant leurs demandes à haute voix. Selon la filiale de la Société Générale, ces opérations représentent plus de 80 % des motifs de connexion à sa plateforme habituelle. Benoît Grisoni, directeur général, affirme que ce partenariat « démontre la capacité de Boursorama à anticiper les usages et à s’appuyer sur les dernières technologies disponibles. » Le but affiché est clair : « Simplifier […] le quotidien des clients, leur faire gagner du temps ». Mais les services offerts aux consommateurs peuvent aller encore plus loin dans le parcours client, comme le démontre la Fnac. Le géant du e-commerce fait partie des précurseurs proposant à ses adhérents de consulter son catalogue de nouveautés mais aussi d’acheter le produit de leur choix via ces enceintes. Annabel Chaussat, directrice marketing et e-commerce du groupe Fnac Darty, estime que cette technologie « [a] la capacité de rapprocher toujours plus les marques de leurs consommateurs », car les interfaces vocales sont « plus simples et plus rapides que les interfaces textuelles ». D’autres marques aux profils variés sont aussi présentes sur la plateforme vocale, à l’instar du Bon Coin, du groupe L’Équipe ou encore de Guerlain. Amazon Echo n’est pas en reste et a réussi à fédérer de nombreux médias en France pour son lancement le 13 juin. Plus de cinquante titres de presse proposent ainsi leurs bulletins d’information, leurs éditos ou leurs podcasts… “Dans le monde, 30 000 “skills” compatibles avec Amazon Echo sont disponibles et 2 000 avec Google Home” précise Benjamin Gautier, expert du cabinet Wavestone interrogé par Les Échos.

La remise en question du modèle économique des moteurs de recherche

Les clients captifs pourront donc bénéficier de services qu’ils connaissent déjà, mais présentés sous un aspect ludique et épuré. Qu’en est-il des insaisissables prospects ? Depuis 2017, la majorité des investissements publicitaires en France s’oriente vers les médias numériques pour les séduire (3 328 millions d’euros selon la dernière étude Magna d’IPG Mediabrands). Les moteurs de recherche captent près de la moitié de ce budget avec 1 529 millions d’euros. Les annonces sponsorisées reposent, depuis leur création, sur la visibilité offerte à des sites partenaires, au milieu des résultats les plus pertinents selon la requête de l’internaute. Or, en misant sur le déploiement des recherches vocales, Google ne serait-il pas en train de scier la branche sur laquelle il repose ? Comment mêler les annonces commerciales avec les résultats répondant aux besoins de l’internaute sans nuire à l’efficacité du produit, et donc à sa popularité à long terme ?

Chiffre clé :

50 % : la part de requêtes en ligne qui devraient être réalisées par commande vocale en 2022 (sources Comscore)

Caroline Faillet, cofondatrice du cabinet de conseil Bolero spécialisé dans l’influence du numérique, dresse un constat sans détour : « C’est une vraie prise de risque pour Google qui devra donner une ou deux réponses au maximum aux requêtes vocales ». Elle précise que la firme de Mountain View n’a « pas de position officielle aujourd’hui sur son modèle publicitaire autour du vocal », et que « tous les scénarios restent possibles ». La suggestion sponsorisée pourrait ainsi suivre le résultat naturel, c’est-à-dire le plus pertinent pour répondre à la requête première. Par exemple, après avoir cherché les horaires d’un vol, une chaîne d’hôtels proposerait des hébergements dans la destination choisie. Autre idée : ne proposer que des résultats pertinents (sans intérêts commerciaux) mais faire payer les marques qui réalisent des transactions via la plateforme vocale. Troisième hypothèse soulevée par Caroline Faillet : faire payer les marques souhaitant proposer une interaction propre à leurs services au sein de Google Home, « un modèle enrichi qui deviendrait rémunérateur. »

L’appropriation complexe des annonceurs

Les annonceurs vont eux-aussi devoir se creuser la tête pour tirer profit de ce nouveau point de contact avec leur clientèle cible. Pour Caroline Faillet, il sera essentiel de bien identifier les situations où l’utilisateur n’a ni les mains libres, ni un écran sous les yeux pour lui proposer un service utile et pertinent. Les marques auront aussi intérêt à définir leur identité vocale, à l’image du travail effectué par la SNCF autour d’Allo Simone. Enfin, elles devront réaliser une analyse sémantique approfondie pour mieux imaginer les requêtes prononcées à l’oral, avec des phrases potentiellement plus longues et plus confuses que les mots clés tapés sur un clavier.

Si la tentation est grande de miser sur cette approche marketing promise à un bel avenir, il ne faut pourtant pas sacrifier les usages traditionnels liés aux recherches en ligne. “L’écran a un bel avenir, pour la dirigeante de Bolero. L’attractivité du visuel et son importance lors de recherches approfondies restent majeurs, notamment en matière de e-shopping.” Il y a de grandes chances que l’on souhaite juger de visu l’aspect de notre futur portable ou de notre prochaine paire de chaussures avant de les acheter. Si les enceintes connectées prennent de l’ampleur, “l’essentiel des requêtes vocales s’effectue sur mobile”, confirme la « netnologue ». Les annonceurs doivent donc continuer d’en mettre plein la vue, tout en charmant l’oreille désormais. Tout un programme sensoriel…

 

* Sources : Strategy Analytics Speaker Service

 

Thomas Bastin (@ThBastin)

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