Les chatbots, ou assistants personnels, se déploient en entreprise pour libérer du temps aux téléconseillers, services RH et autres gestionnaires de la relation client. Cyril Texier décrit l'évolution de ce marché à travers le prisme de sa propre société, Do You Dream Up.

Décideurs. Pourquoi avez-vous décidé de créer Do You Dream Up ?

Cyril Texier. Nous avons lancé la société en 2009 avec mes deux associés aux profils complémentaires. L’un était ingénieur produit spécialisé en traitement automatique du langage, l’autre disposait d’une expérience en gestion de projet et je m’occupais pour ma part des aspects commerciaux. À l’époque, alors que la mode n’était pas encore à la création de start-up tous azimuts, nous avions envie d’entreprendre en créant un produit technologique, utile et efficace. Il nous fallait vite signer un grand compte pour rassurer nos autres clients potentiels et accélérer notre développement commercial. Quelques années plus tard, nous gérons 500 millions de conversations automatisées en 2018.

De 2009 à 2011, votre start-up travaillait sur ses produits avant son lancement commercial. Comment avez-vous vécu cette période ?

Il y avait du stress, mais aussi de la persévérance et un sens de l’écoute important entre les membres de l’équipe, et avec nos interlocuteurs extérieurs. Nous avons choisi assez tôt de ne pas lever de fonds, pour prendre sur nous et essayer d’aller le plus vite possible pour proposer un produit fini convaincant à notre réseau. EDF, PSA et Oui.sncf nous ont fait confiance rapidement et nous sommes heureux de les compter encore parmi nos clients aujourd’hui. Avec les premiers bons de commande et l’argent qui commence à arriver dans les caisses, le produit continue d’avancer en parallèle, et s’améliore.

Quelle est la genèse du nom de votre société ?

Do You Dream Up est un néologisme. En posant une question, nous voulions interpeller nos interlocuteurs et capter ainsi leur attention. La traduction de l’anglais pourrait être “Peux-tu imaginer ?”. En 2009, nous cherchions à savoir si nos clients étaient prêts à se projeter dans l’ère des assistants personnels. Le nom était en outre différent de ceux adoptés par les autres start-ups nées aussi à la fin des années 2000, avec un double “e” ou un double “o” récurrent ! Aujourd’hui, les sociétés qui se créent évoquent les “bots” dans leur nom car c’est une appellation moderne et médiatique. À l’époque de la création de Do You Dream Up, personne ne savait ce qu’était un chatbot, c’était l’assistant virtuel qui était le vocable en vogue pour désigner la même technologie, le même sujet.

"Nous cherchons ensuite à créer un dialogue, une conversation, un “chat” intelligent."

Comment décririez-vous votre mission principale auprès de vos clients ?

Notre métier consiste à comprendre la question de l’internaute ou de l’utilisateur d’une application quand bien même il ferait des fautes d’orthographe, de syntaxe ou de vocabulaire pour ensuite lui répondre de manière automatique. C’est pour cela que nous sommes des éditeurs de logiciels spécialisés dans le traitement automatique du langage naturel. Nous cherchons ensuite à créer un dialogue, une conversation, un “chat” intelligent.

Comment vos clients s’appuient sur vos solutions pour développer leurs activités ?

Leurs usages se concentrent d’abord sur la relation client. Lorsqu’une personne navigue sur le site internet d’une marque, en avant-vente ou en après-vente, et qu’elle souhaite se renseigner sur un article ou un service de la société en question, elle pourra obtenir une réponse satisfaisante grâce à nos outils. “Est-ce que le magasin est ouvert aujourd’hui ?”, “Quand recevrai-je ma facture ?”, “Puis-je échanger mon article ?”... De nombreuses questions peuvent d’ores et déjà être traitées par notre assistant pour faciliter la vente. Au-delà de la relation client, notre chatbot est aussi utilisé pour la bonne gestion des ressources humaines, c’est ce que nous appelons la relation salariée. Un utilisateur peut ainsi obtenir une réponse rapide lorsqu’il s’interroge sur son solde de jours de congés ou le protocole à suivre pour louer une voiture, récupérer ses tickets restaurants etc. Ce sont des questions simples, qui peuvent être traitées de manière automatique. Mais ce n’est pas tout, nos clients s’appuient également sur nos solutions dans le support informatique, juridique ou encore dans les supports de métiers spécifiques.

Estimez-vous que le marché est prêt à utiliser vos solutions à grande échelle ?

Les consommateurs sont rivés à leurs smartphones mais ils ne passent que très peu d’appels. Les canaux d’échanges sont textuels et non vocaux. Les marques avec qui l’on travaille ont besoin de s’adapter à cet état de fait. Comment répondre aux interrogations de mes clients de manière automatique et précise ? Nos outils sont alors perçus comme d’indispensables leviers de satisfaction. Aujourd’hui, les chatbots, l’intelligence artificielle, le machine learning : tout ça, c’est un peu la tarte à la crème. Toutes les sociétés portées sur les nouvelles technologies affichent ces mots clés sur leur site en pensant en faire, car c’est à la mode et que c’est de bon goût de nos jours. Cependant, l’enjeu principal qu’il faut mettre en avant est celui de la compréhension des messages émanant d’un utilisateur lambda. Si le chatbot ne comprend rien ou répond à côté de la plaque, cela ne servira à rien.

Quelles sont les premières étapes à suivre avant l’installation de vos solutions ?

Les entreprises sont confrontées à une population toujours plus digitale. Nous recevons déjà de nombreuses demandes de sociétés souhaitant opérer cette mutation de leurs systèmes. Lorsqu’on nous dit : “je voudrais un chatbot”, nous leur répondons “pour quoi faire ?”. Cela ne sert à rien d’installer coûte que coûte une technologie si la finalité stratégique ne le justifie pas. Nous leur demandons ensuite des précisions : “sur quel périmètre ? sur quelle cible ? avez-vous déjà imaginé des questions à faible valeur ajoutée dont vous aimeriez automatiser la réponse ? ” Sans réponse claire à ces différentes questions, la société ne pourra pas tirer le meilleur de nos technologies. Les appels et les mails entrants concernent souvent les mêmes sujets, et un sondage rapide de ses collaborateurs permet d’une part d’isoler les interrogations récurrentes des parties prenantes de la société et d’autre part d’identifier les réponses les plus pertinentes. Comme il est compliqué et onéreux de disposer d’un service client capable de répondre 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, nos solutions sont des alternatives séduisantes.

"Cela ne sert à rien d’installer coûte que coûte une technologie si la finalité stratégique ne le justifie pas."

Qui sont vos interlocuteurs privilégiés en entreprise ?

Notre société se différencie de ses concurrents car elle s’adresse aux gens du métier. Pour créer un chatbot avec Do you dream up, nul besoin d’avoir des notions techniques, des compétences en développement informatique ou en code. Notre outil s’adresse à tous types de population (métier relations clients, RH, juridique…) qui vont apporter leurs connaissances dans notre outil. Notre moteur de dialogues va faire le reste. Ce n’est pas pour autant une solution “plug & play”, et un suivi sera nécessaire pour atteindre tous les objectifs initiaux. Certaines questions, qui n’ont pas été identifiées au départ, pourront ainsi être incorporées dans nos algorithmes. De même, lorsqu’une réponse évolue avec le temps, il nous sera possible de la modifier pour être toujours à jour. On rend le bot plus cultivé, plus riche en connaissances.

Est-ce que l’installation de vos chatbots est synonyme de destruction d’emplois dans les entreprises concernées ?

Aucun client n’est venu nous annoncer des suppressions de postes à la suite d’une collaboration. Et de notre côté, nous investissons en R&D et recrutons en permanence ! Nos chatbots intelligents sont aussi capables de réorienter son interlocuteur vers un téléconseiller quand le besoin le justifie. Par exemple, lorsque le client d’un opérateur téléphonique souhaite résilier son contrat et qu’il s’adresse à un chatbot, ce dernier connaît la bonne réponse à lui fournir. Toutefois, il n’est pas dans l’intérêt de l’opérateur que la résiliation sans contre-offre soit si simple. À ce moment-là, le client est réorienté, à une étape décisive de sa démarche, vers un conseiller humain, capable de converser avec lui pour tenter de lui faire changer d’avis.

Quels sont vos prochains axes de développement ?

Nous sommes aujourd’hui très bien positionnés sur les échanges écrits. Cependant, il est évident que certaines catégories de personnes continueront à appeler les services clients par téléphone. Aujourd’hui, lorsqu’on appelle sa banque ou son assureur, une voix robotisée nous oriente. C’est ce que l’on appelle un SVI, ou serveur vocal interactif. Il nous énonce un chemin de navigation (tapez sur 1 si vous souhaitez telle chose, sur 2 pour telle autre, dîtes votre nom clairement…). Ce système ne fonctionne pas très bien, et on finit bien souvent redirigés vers un plateau de téléconseillers offshores, pour redonner les mêmes informations qu’au SVI. Les technologies ont évolué et permettent aujourd’hui de parler en langage naturel dès les premiers échanges avec l’entreprise. Demain, nous pourrons relier notre moteur de dialogues à l’écrit sur une technologie de réponse vocale qui conversera avec le client. Notre solution deviendra alors omnicanale, aussi efficace à l’écrit qu’à l’oral. Nous avons investi en R&D et certains POC sont déjà en cours d’implémentation chez quelques clients. Par ailleurs, nous développons un « callbot » déjà fonctionnel. C’est un chatbot intelligent offrant une expérience conversationnelle riche et naturelle. Il répond à la voix puis met en relation interlocuteurs (clients) et conseillers en cas de besoin. Par sa technologie, le Callbot est capable de comprendre le langage naturel humain, ses spécificités, sa grammaire et le sens des requêtes, grâce à une analyse sémantique pour une expérience utilisateur optimisée. L’entreprise offre ainsi un meilleur service client piloté par des conseillers qui peuvent se concentrer sur les actions à valeur ajoutée et laisser l’IA gérer les taches chronophages. Nous réfléchissons d’ailleurs aussi à nous développer hors de France. Dans l’Hexagone, nous sommes très connus et fiers de nos succès, mais d’autres marchés nous tendent les bras. Notre technologie peut déjà prendre en charge des dialogues dans plusieurs langues étrangères. Il suffit de se lancer et de trouver les bons partenaires locaux, les bonnes ESN, pouvant faire connaître notre solution, puis la distribuer sur leurs marchés.

Les PME sont-elles aussi intéressées ?

Aujourd’hui, on travaille avec 60 % du CAC 40 et d’autres grands comptes. Pourquoi ? Car ce sont les sociétés qui ont beaucoup de flux entrants à gérer, que ce soit par e-mail, par téléphone, par chat, par des formulaires, des forums communautaires… Dans ce contexte, le chatbot fait sens. Comme les technologies se démocratisent, il devient de plus en plus pertinent de proposer nos services à des PME. Certaines sociétés de taille intermédiaire peuvent avoir des besoins comparables à ceux des grands groupes, alors qu’elles disposent de moyens limités. Je pense notamment aux e-commerçants à succès. Il leur faut alors un produit agile et facile à mettre en place, que les PME pourront adopter de manière autonome. Les demandes provenant de ces acteurs se multiplient et il faut leur apporter des réponses à la hauteur de leurs exigences.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)

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