La commissaire européenne à l’économie et à la société numérique Mariya Gabriel est en première ligne dans la construction d’une stratégie européenne sur le numérique. Entre soutien financier de la recherche et protection de la souveraineté numérique des citoyens, la députée bulgare décrypte les principales initiatives de la Commission en matière de numérique.

 

Décideurs. Six mois après, pouvez-vous tirer un premier bilan de l’entrée en vigueur du RGPD en Europe ?

Mariya Gabriel. Il est encore un peu tôt pour établir un bilan complet. Nous avons noté que, depuis le 25 mai dernier, les autorités de protection des données privées et publiques (CNIL en France) ont reçu un nombre de plaintes plus élevé que les années précédentes. Beaucoup d’organisations indiquent également avoir reçu des demandes accrues d’exercice des droits, en particulier pour l’accès aux données personnelles, ou à la rectification ou encore à l’effacement de leurs données. Les autorités de protection des données ont également reçu un nombre élevé de notifications de failles de sécurité depuis l’entrée en application du RGPD, ce qui démontre que nombre de responsables de traitement ont mis en place des mesures pour détecter de telles failles.

Une étude a récemment montré que l’Europe était le premier acteur en matière de publications scientifiques sur l’intelligence artificielle. Comment transformer ce potentiel scientifique en réalité économique ?

Un montant de 100 millions d'euros devrait être mobilisé pour la première fois en 2020 par la Commission, qui pourrait être complété par la participation des banques de développement nationales et d'autres institutions intéressées. À partir de 2020, dans le contexte du prochain cadre financier pluriannuel de l'UE (2021-2027), le futur programme « Europe numérique » (« Digital Europe Programme ») prévoit 2,5 milliards d'euros pour contribuer à la propagation de l'IA dans l'ensemble de l'économie et de la société européennes. La Commission veut également soutenir l'adoption de cette technologie. Avec cette plateforme d'intelligence artificielle à la demande (AI-on-demand platform), il s’agit de développer des « bibliothèques européennes » d'algorithmes qui seraient accessibles à tous, afin d'aider les secteurs public et privé à identifier et à acquérir les solutions les mieux adaptées à leurs besoins. Enfin le développement d’un réseau de pôles d'innovation numériques (Digital Innovation Hubs) axés sur l’IA facilitera les tests et l'expérimentation ainsi que la transformation digitale des entreprises.

« Avec AI-on-demand platform, il s’agit de développer des "bibliothèques européennes" d'algorithmes » 

Début décembre, la Commission a publié un plan visant à coordonner les recherches sur l’IA en Europe. Quels sont ses principaux axes ?

Ce plan repose sur trois piliers : renforcer les capacités technologiques et industrielles de l'Europe en IA, anticiper les changements sur le marché du travail grâce à l’éducation et la formation, et assurer un cadre éthique et juridique approprié. Cette stratégie nécessite des investissements importants. La Commission augmentera son effort à environ 1,5 milliard d'euros d'ici la fin de 2020, soit une augmentation de 70 %. D'ici à 2020, l'Union Européenne dans son ensemble, secteurs public et privé, devrait investir 20 milliards d'euros.

L’IoT est en train de bouleverser nombre de secteurs... augmentant d’autant la vulnérabilité numérique des équipements. Quels sont les axes pour améliorer la sécurité des objets connectés ?

Le 10 décembre 2018, le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sont parvenus à un accord politique concernant l’acte législatif qui renforce le mandat de l’Agence européenne pour la cyber-sécurité (ENISA), en établissant également un cadre européen de certification de cybersécurité. Ce cadre vise à intégrer des éléments de protection dès les premières phases de conception et de développement technique. Il permet également aux utilisateurs de déterminer le niveau de sécurité et garantir que les différents éléments sont vérifiés de manière indépendante.

Les élections européennes approchent, et la Commission européenne a décidé d’agir contre les fake news. Quel est le plan de l'exécutif pour lutter contre ces fausses informations ?

Nous devons protéger nos systèmes démocratiques et nos débats publics, en particulier dans la perspective des élections européennes de 2019. C’est pour cela que nous avons présenté le 5 décembre dernier un plan d'action. Le budget de la communication stratégique du Service européen pour l’action extérieure, destiné à la lutte contre la désinformation, devrait plus que doubler et passer de 1,9 million d’euros en 2018 à 5 millions d’euros en 2019. Un système spécifique d'alerte rapide sera créé entre les institutions de l'UE et les États membres afin de riposter plus rapidement et de signaler les menaces de désinformation en temps réel. Notre travail avec les plateformes et le secteur de la publicité s’intensifie également. Ces acteurs se sont accordés sur le principe d’un un code de bonnes pratiques contre la désinformation.

« L’approche européenne est en train d’être copiée par le Japon » Mariya Gabriel

La Commission, à votre initiative, a décidé d’apporter davantage de transparence sur les conditions d’utilisation des plateformes numériques, notamment celles des GAFA. Le quasi-monopole de ces entreprises sur certains marchés ne demande-t-il pas des actions plus fortes ?

Depuis 2014, la Commission européenne a pris un nombre d’initiatives pour encadrer les grandes plateformes en ligne. Nous espérons aujourd’hui doter l’Union européenne d’une législation sur les droits d’auteurs adaptée à l’ère numérique, afin de mieux positionner les créateurs et la presse de qualité face à elles. Nous avons également proposé des mesures contre les pratiques abusives à l’égard des vendeurs en ligne qui en dépendent maintenant de plus en plus : par exemple, selon Facebook, 18 millions d’entreprises européennes les utilisent pour le commerce. Nous devons nous assurer que la relation entre plateformes et vendeurs en ligne reste équitable. Je note par ailleurs que l’approche européenne est en train d’être copiée par le Japon, quasiment à l’identique. Les Japonais sont en train de vivre sur leur marché l’entrée des plateformes chinoises, qui finiront aussi sans doute par s’établir chez nous. Cela nous montre que nous sommes sur la bonne voie.


Propos recueillis par Florent Detroy (@florentdetroy)

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