Plusieurs universités françaises ont enclenché la dévolution de leur patrimoine immobilier, comme le prévoit la LRU. Successivement consultant « finances » au sein de l’Agence de mutualisation des universités, directeur financier ou DGS dans des universités et écoles, chef du département de la stratégie patrimoniale du ministère de l'Enseignement supérieur, et de puis à la région Île-de-France, Simon Larger est un expert des enjeux économiques de l’ immobilier et du foncier des campus. Avec Décideurs, il nous livre son avis sur la dévolution du patrimoine immobilier universitaire.

Décideurs. Comment les universités peuvent-elles valoriser leur patrimoine immobilier ? Quels sont les obstacles ?

Simon Larger. Si les universités possèdent depuis 2018 cette compétence pleine et entière, du point de vue législatif, les compétences techniques sont encore un sujet d'interrogation pour les universités :elles doivent faire les choix qui lui permettront de se doter de professionnels de la valorisation.

Il ne faut pas négliger le nerf de la guerre : l’autonomie universitaire ne peut être effective que si elle est accompagnée d'un renforcement de l’autonomie financière. Un des obstacles souvent mis en avant par la CPU porte sur la capacité à emprunter librement sur le marché bancaire (ndlr : les universités ne peuvent plus y emprunter depuis 2010). Or les universités restent des organismes d’Etat ! En effet, la dévolution permet aux universités d'acquérir une autonomie dans la gestion de leur patrimoine, mais elles obtiennent toujours une subvention de l’Etat (en moyenne 80% de leurs ressources). Dans ce cadre, il n’est pas étonnant qu’elles respectent les engagements internationaux de l’Etat, notamment en matière de dette. Si, en revanche, elles renforcent leur autonomie financière vis-à-vis de l’Etat, notamment en valorisant leur patrimoine mais aussi en se mettant davantage à l’écoute des besoins économiques et sociaux et des attentes des territoires en matière de formation professionnelle et continue, de développement économique et de soutien à l’innovation, cette diversification pourrait leur ouvrir les portes d’emprunt non consolidé avec celui de l’Etat…

Les universités qui obtiennent leur indépendance doivent-elles racheter ces terrains à l’Etat ?

Non, les universités ne doivent rien à l’Etat à ce titre. Lorsqu’elles obtiennent leur dévolution, elles deviennent automatiquement propriétaires des biens immobiliers de l’Etat transférés, les bâtiments comme le foncier qui lui sert d’assiette. Ces transferts sont tous opérés à titre gracieux !

Quels sont les avantages de la dévolution pour les Universités ? Pour l’Etat ?

La dévolution doit avant tout être vue comme un levier pour augmenter l’attractivité des campus. Aujourd’hui les universités françaises subissent la concurrence interne des grandes écoles et la concurrence internationale des universités mondiales disposant de campus intégrés extrêmement pourvus en services digitaux, en commerces, en tiers lieux et en hôtels d’entreprises. Alors que les campus universitaires français se limitent souvent aux « trois U » : Cité U, Resto U et BU. Et encore, les résidences étudiantes sont régulièrement loin des campus, par effets d’aubaine locale, et il y a rarement des solutions d’hébergement sur place pour les professeurs invités...

La dévolution va permettre aux universités de mieux affronter cette concurrence grâce à trois leviers. Le premier est un changement de rapport avec le territoire : les échanges seront directs et non plus sous consultation de l’Etat. L'université devenant un acteur immobilier de plein exercice, le président pourra discuter, par exemple, un échange foncier avec l'hôpital, la ville ou la Région, sans devoir demander l’avis de l’Etat. L’université en sort crédibilisée dans ses rapports territoriaux stratégiques. Le deuxième est la possibilité de percevoir directement le prix de la vente (ndlr : hors dévolution, en cas de cession immobilière, l’université ne perçoit que 50 % de cette vente de la part l’Etat propriétaire, sous réserve de son accord express). Enfin, la dévolution permet à l'université de réaliser ses opérations de valorisation immobilière sans avoir besoin de l'aval étatique, comme actuellement. Selon moi, il n’y a pas à hésiter, cela ne présente que des avantages !

Quels sont les potentiels freins ?

Les universités ont peur qu'après leur dévolution, l'Etat leur coupe les subventions dont elles ont besoin pour leur fonctionnement. Alors même que le ministère le dit - et le redira sans doute dans les conventions qui accompagnent la dévolution : l’Etat s’engagera au maintien de ses financements de l’immobilier des campus, qu’il s’agisse des CPER (ndlr : contrats de plan Etat région) ou d’une autre forme de contractualisation. Il y a dès lors pour moi un choix économique très simple : soit rester dans l’impasse actuelle, avec le sous-financement qu’on sait, soit garder cette assurance minimale de l’Etat et s’activer pour aller chercher « du plus » dans un partenariat avec les territoires.

Il y a également une différence d’engouement selon la localisation : bien que les universités parisiennes possèdent parfois de très beaux fonciers, leur développement est extrêmement limité. A l'inverse, les universités de province ou extra-muros affichent un enthousiasme bien plus marqué. La moyenne couronne, par exemple, pourrait présenter de très belles opportunités, avec l’avancée des grands chantiers de transports et d’infrastructure sportives en Ile-de-France. 2019 marquera à coup sûr une année charnière pour les universités. Le Ministère et les Universités poussent, en tout cas, dans ce sens.

La dévolution requiert un certain nombre de prérequis

Qu'est-ce qui pourrait freiner les prochaines vagues de dévolution ?

La dévolution requiert un certain nombre de prérequis qu'il faut pouvoir assumer. La mise en place de la stratégie immobilière peut constituer un point bloquant si l’établissement n’assume pas une politique d’optimisation de ses surfaces et de valorisation des excédents qu’une telle politique révèle. Il en va de même pour la gouvernance en charge de ces thématiques, l’organisation interne du service immobilier, les outils de pilotage et de programmation adéquats...

Propos recuellis par Boris Beltran

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