De plus en plus de projets d’aménagement et de renouvellement urbains incluent des propositions d’agriculture urbaine. Peut-on encore parler de phénomène de mode ? Quels acteurs en sont à l’origine ? A quelles questions de fond sur la ville cette pratique renvoie-t-elle ? Éclairage.

Fraises cultivées sur les toits, champignons se développant dans des sous-sols de parkings, fermes verticales… De plus en plus de projets d’aménagement et de renouvellement urbains incluent des propositions d’agriculture urbaine. Les annonces médiatiques de projets gigantesques en la matière impressionnent. Avec la terrasse de 7 000 mde Chapelle International, futur hôtel logistique parisien, la start-up Cultivate va se retrouver à la tête, dans le courant de l’année, de la plus grande ferme urbaine d’Europe ayant vocation à produire près de cinquante tonnes chaque année. Au printemps 2020, une exploitation de 14 000 m2 surplombera le parc des Expositions (15e arrondissement). Son objectif ?  La production d'un millier de fruits et légumes par jour. À côté de ces ambitions XXL figurent de très nombreuses initiatives de potagers urbains. « Le nouvel urbanisme sera agricole ou ne sera pas », a même déclaré Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l'urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, lors de l’ouverture de l’exposition « Capital agricole – chantier pour une ville cultivée », créée en octobre 2018 par le Pavillon de l’Arsenal à Paris. Si la municipalité est déjà reconnue pour son goût récent de la végétalisation (appels à projets urbains depuis 2015), elle est également très proactive en matière d’agriculture urbaine. Le plan local d'urbanisme (PLU) révisé en 2016 oblige les constructions neuves à végétaliser les toits terrasses de plus de 100 mètres carrés, encourage les retraits d'alignement des immeubles pour enraciner des plantes grimpantes et facilite la création de serres agricoles en étage. D'ici 2020, la ville ambitionne le développement de 100 hectares de fermes urbaines sur son territoire, à travers les appels à projets nommés les Parisculteurs, qui rassemblent autour d’eux agriculteurs, jardiniers, paysagistes ou entrepreneurs bien décidés à remettre la nature en ville. Mais la capitale est loin d’être la seule à impulser cette dynamique. Lyon a intégré en 2016 dans son PLU un coefficient de végétalisation de 30 % pour toutes les nouvelles constructions. À Marseille, la fondation Veolia et l'association Heko vont créer une ferme sur un hectare de friche. L'agriculture urbaine se développe en fait dans toutes les métropoles françaises.

Une certitude, l’agriculture fait respirer la ville
 
Les arguments à cet engouement sont nombreux : rafraîchissement de l'air et dépollution, lutte contre les inondations, captation d'azote, économies d'énergie.  Concernant l’alimentation, le constat est plus mitigé. « On ne nourrira pas les Parisiens grâce à l’agriculture urbaine, admet Jean-Patrick Scheepers, fondateur de Peas&Love. Mais nos potagers ont un rôle pédagogique et permettent de reconnecter le citoyen à l'agriculture. » (1) L'entreprise belge Peas&Love a installé 250 parcelles individuelles sur le toit de l’hôtel Yooma, à deux pas du centre commercial parisien Beaugrenelle. Si chiffrer précisément en France le potentiel de production alimentaire de l’agriculture urbaine reste difficile, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), cette dernière fournit actuellement de la nourriture à un quart de la population urbaine mondiale et cette tendance devrait évoluer considérablement d'ici à 2030. Pour autant, il ne faudrait pas céder à un idéalisme vert et éluder les contradictions et questionnements qui se font jour. France Nature Environnement (FNE) défend  la préservation de la biodiversité dans des quartiers très denses avec des espaces de respiration pour les citadins et la nature. Et dans certains cas, cette agriculture des villes suscite des tensions quand elle vient s’installer à la place de ces espaces. FNE a d’ailleurs saisi le tribunal administratif sur plusieurs projets en cours…

Une grande diversité d’acteurs, un modèle économique à trouver

À l’évidence, l’agriculture urbaine est une réalité diverse qui se cherche encore avec des acteurs différents aux orientations contrastées. Grégoire Bleu, le cofondateur d’Upcycle, une entreprise hyper innovante dont l’ambition est de nourrir la ville avec des biodéchets, distingue trois typologies d’acteurs :  les nouveaux entrepreneurs, « urbains, souvent bac+5, ils ont grandi dans la culture digitale, la bouffe industrielle et désirent remettre du bon sens dans notre alimentation ainsi que de la nature en ville », le mouvement associatif qui « œuvre et observe avec joie, mais non sans inquiétude, cette déferlante technologique, marketing et commerciale », enfin les « maraîchers périurbains qui travaillent plus de 50 heures par semaine pour un salaire en moyenne inférieur au SMIC. Ceux qui, dans les faits, remplissent nos marchés, nos AMAP, nos “Ruches Qui Dit Oui” ! de produits de qualité. » Selon lui,  ces mouvements sont profondément complémentaires. « Chiche d’essayer de voir ce qui nous rassemble ? », propose-t-il. (2)
« Les modèles économiques de l’agriculture urbaine ne sont pas encore avérés mais beaucoup d’acteurs très diversifiés s’y intéressent. C’est un sujet majeur de la fabrique de la ville de demain. Nous sommes en train d’observer cette émergence de près, afin d’identifier des modèles qui soient viables dans le temps », confirme Valérie Petitbon, directrice communication, marketing et RSE chez Bouygues Immobilier.

Repenser la relation nature et ville

Sujet majeur de la fabrique de la ville demain… et peut-être même pièce maîtresse ? C’était en tout cas le propos de l’exposition « Capital agricole – chantier pour une ville cultivée ». Emmenée par Augustin Rosenstiehl, architecte au sein de l’agence SoA architectes, celle-ci dévoile une histoire méconnue de la métropole francilienne, En 1891, 81 % des produits frais vendus aux Halles de Paris provenaient d’un territoire équivalant en surface à celui de la métropole d’aujourd’hui. Au début du XIXe siècle, Paris et sa proche banlieue étaient les champions du recyclage des déchets, recyclage qui a permis d’enrichir les sols et de favoriser le développement de cultures de proximité. La planification d’après-guerre et les restructurations urbaines de la deuxième moitié du XXe siècle ont altéré ce modèle. L’exposition engage à repenser l’espace de production agricole comme une composante pleine et entière des villes et de leur évolution. Si la dimension environnementale de l’agriculture urbaine est avérée, la dimension sociale est cruciale. Cette pratique favorise l’insertion et est créatrice d’emplois. Elle restaure également les relations entre les habitants, si indispensables dans la ville d’aujourd’hui.
 « On a hérité d’une ère utopique qui a voulu ranger la nature. Il faut clore cette parenthèse qui tue les sols et la biodiversité. La ferme est la porte d’entrée de l’urbanisme agricole de demain, pointe Augustin Rosenstiehl. On propose une vraie stratégie inspirée du passé et qui, avec les connaissances d’aujourd’hui, pourrait aller très loin. Tout le monde trouve ça très bien mais personne ne s’en empare. Je pense qu’aujourd’hui on vit dans un monde de déni. » L’exposition ouvre néanmoins le champ des possibles avec des exemples très variés d’urbanisme agricole, une foule d’initiatives qui réconcilient l’agriculture des champs et agriculture des villes et inventent un nouveau modèle. Un manifeste.

Par Laetitia Sellam @Klaetitias

(1) Actu et environnement, Agriculture urbaine : nouveau potager sur un toit parisien, mai 2018
(2) Libération. Tribune de Grégoire Bleu. 19 février 2019

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