M. Vaslin (Vaslin Associés) : "Tous les dossiers de contentieux fiscaux ne sont pas susceptibles de transaction"
Décideurs. Comment l’administration fiscale cible-t-elle ses contrôles ?
Benjamin Malo. Jusqu’à présent, les contrôles fiscaux étaient le plus souvent déclenchés lors d’évènements significatifs telles que cessions de titres, changement de domicile ou lors d’importantes fluctuations de revenus ou de patrimoine. L’administration opérait donc un contrôle sur la base de ses alertes en vérifiant par exemple les modalités de liquidation d’une plus-value (prix d’acquisition, de cession etc.) ou encore les estimations immobilières réalisées pour les besoins de l’ISF/IFI. Récemment, un cap a été franchi via la mise en place d’une cellule dite « de data mining, » ayant pour objet de croiser diverses informations issues de différentes sources afin de déterminer un profil type de contribuable dit « sensible » à contrôler. Initialement mise en place pour les déclarations de TVA, cette cellule a été étendue aux particuliers pour une période provisoire de test de deux ans. Il est donc désormais assez difficile de déterminer la source d’un contrôle. Cet élément a pourtant son importance car il peut permettre d’organiser au mieux la défense du contribuable. Selon les statistiques publiques, le nombre de contrôles tend à se réduire mais ils sont mieux ciblés et portent sur des enjeux plus importants.
Quels conseils donneriez-vous à un contribuable qui ferait l’objet d’un contrôle fiscal ? Comment peut-il se défendre ?
Marc Vaslin. Chaque contrôle est différent car chaque situation a ses particularités. De manière générale, nous conseillons de se faire assister le plus rapidement possible. Nous sommes trop souvent appelés trop tard. Or, entre-temps, le contribuable peut avoir donné trop d’informations à l’administration fiscale ou donné une information à mauvais escient. Par ailleurs, nous déconseillons de se placer dans une situation d’opposition systématique aux demandes du vérificateur car le dossier peut alors se tendre très rapidement et l’on risque de perdre la maitrise de la défense. Un juste milieu doit être trouvé. Dès qu’une proposition de rectification est envoyée, il convient d’identifier les éventuels vices de procédure, toujours compliqués à manier. Certains peuvent permettre de faire tomber toute la procédure et doivent être soulevés lorsque l’administration ne peut plus renotifier. D’autres vices peuvent ébranler la position de l’administration et ainsi offrir plus de latitude au contribuable pour négocier une éventuelle transaction.
"Le nombre de contrôles fiscaux tend à se réduire mais ils sont mieux ciblés"
Quelle attitude préconisez-vous avec l’inspecteur des impôts ?
B. M. Pour certaines situations, nous préconisons dans un premier temps de laisser les contribuables intervenir directement avec l’administration fiscale, tout en les conseillant en arrière-plan. Ne pas faire intervenir l’avocat immédiatement peut permettre d’aboutir à des résultats satisfaisants rapidement. Le maitre mot est de toujours communiquer avec l’administration fiscale. Lorsqu’un contrôle démarre, nous recommandons d’échanger rapidement avec l’inspecteur notamment afin d’en comprendre l’origine et lorsque celle-ci n’est pas évidente, de lui montrer que le dossier n’est pas aussi douteux qu’il pourrait le penser. Cela permet souvent d’instaurer un dialogue et d’avancer plus sereinement.
Autre point important, il est nécessaire de bien connaître les forces et les faiblesses du dossier. Il ne faut pas systématiquement chercher à se battre sur des positions indéfendables, sauf lorsque cela a un objectif stratégique. Nous pouvons être amenés à abandonner certains éléments pour obtenir gain de cause sur d’autres dont la défense n’est pas garantie. L’inspecteur étant évalué notamment sur les rectifications qu’il notifie, il peut, en effet, être préférable pour lui d’avoir un chef de rectification accepté. On constate également l’envoi de propositions de rectifications qui ne tiennent pas debout, totalement infondées dont la défense est théoriquement aisée en droit mais qu’il est difficile de faire admettre par le service de contrôle en phase précontentieuse. Face à une telle situation, il ne faut pas baisser les bras et poursuivre la procédure.
Conseillez-vous aux contribuables de saisir les voies de recours lorsqu’ils le peuvent ?
M. V. Oui, sans hésiter, pour autant bien entendu que le dossier s’y prête. La commission départementale, la commission nationale ou le comité de l’abus de droit vont juger l’affaire sous un angle a priori plus objectif que l’inspecteur des impôts. Ces avis peuvent permettre de renforcer la défense du dossier ou de tempérer les ardeurs de l’administration. Il convient également d’exploiter toutes les garanties offertes au contribuable afin de ne rater aucune étape du débat oral et contradictoire. Ce sont des sujets très techniques à manier pour lesquels la présence d’un conseil est préférable. Lorsque l’inspecteur maintien ses positions malgré les arguments présentés, nous conseillons de ne pas se priver des recours hiérarchiques. L’interlocution départementale peut permettre de débloquer certains points. Parfois cela peut permettre de gagner un peu de temps avant la mise en recouvrement.
"Le nombre de transmission automatique au parquet va croître très rapidement en principe"
Transaction vs contentieux : comment arbitrez-vous entre ces deux solutions ?
M. V. La réponse est très variable. Tous les dossiers ne sont pas susceptibles de transaction. C’est le cas par exemple d’un dossier de contentieux en matière de résidence fiscale d’une personne décédée. Est-il résident français ou non ? On ne peut pas transiger sur ce type de question, sauf sur le montant des pénalités éventuellement. D’autres dossiers peuvent faire l’objet d’une transaction, lorsqu’il y a plusieurs chefs de rectification de nature différente. On peut alors proposer une transaction globale pour réduire les rectifications et pénalités, permettant d’arriver à un entre-deux intéressant pour le contribuable. Cela dépend aussi des contribuables. Certains sont allergiques à tout contentieux. D’autres sont prêts à en supporter les coûts. Lorsque l’on dispose d’un dossier très solide, l’administration ne veut pas toujours admettre qu’elle a tort. Nous n’avons alors pas d’autres choix que d’aller au contentieux. A contrario, il n’est parfois pas souhaitable d’aller au tribunal lorsque l’on est persuadé de perdre, sauf en cas de vice de procédure.
La loi sur la fraude fiscale mise en œuvre en 2018 a fait sauter le fameux verrou de Bercy sur l'envoi au pénal. Elle prévoit notamment la transmission automatique au procureur de la République des dossiers de fraude fiscale les plus importants. Un an après son entrée en vigueur, quel bilan dressez-vous de la réforme ?
B. M. À ce jour, nous n’avons pas eu de dossier qui ait fait l’objet d’une transmission au parquet. Avec cette réforme, la transmission automatique au parquet peut cependant être facilement enclenchée. Il faut pour cela que la rectification soit d’au moins 100 000 € et assortie de la majoration de 100 %, 80 % ou de 40 % (sous réserve pour cette dernière qu’elle ait déjà été appliquée dans les six années précédentes). L’application de la majoration de mauvaise foi (manquement délibéré) est de plus en plus fréquente depuis un certain temps. Le nombre de transmission automatique au parquet va donc croître très rapidement en principe. Selon les statistiques publiées, entre 1 000 et 2 000 dossiers pourraient être transmis au Parquet. Il va falloir gérer les dossiers contentieux avec cet aspect pénal qui va beaucoup compliquer la procédure. Celle-ci prend en effet une autre dimension sur le plan psychologique pour les clients. Les incidences seront aussi importantes sur les questions de procédure pénale qui nécessiteront l’intervention de conseils spécialisés. Le parquet va toutefois devoir faire une sélection des dossiers pour éviter une situation d’engorgement.
"Le parquet va devoir faire une sélection des dossiers pour éviter une situation d’engorgement"
La loi de finances pour 2019 a élargi la définition de l’abus de droit en passant d'un but exclusivement fiscal à un but principalement fiscal. Cette réforme, applicable à partir du 1er janvier 2020, inquiète déjà un grand nombre de fiscalistes et de contribuables. Partagez-vous leur crainte ?
M. V. Comme disait la publicité « il faudrait être fou » pour ne pas s’en inquiéter. Ce texte est vague et dispose d’un champ d’application très large. La composante fiscale joue un rôle important dans un grand nombre d’opérations. Souvent, les motivations autres que fiscales sont réelles et premières mais très difficiles à quantifier. Or, la notion de « motif [fiscal] principal » implique de faire une pesée des motifs fiscaux et non fiscaux. Bien souvent, le motif fiscal est le plus facilement quantifiable. Si le texte n’est pas jugé inconstitutionnel (question qui fait débat), il faudra quelques années de jurisprudence pour déterminer comment et où placer le curseur, comme cela a été par exemple le cas en matière d’apport-cession. Une grande incertitude juridique va donc exister dans les années à venir, laquelle rend très délicat le conseil donné.
Propos recueillis par Aurélien Florin