Si la crise actuelle est sanitaire, le secteur financier n’est pas épargné. Comment le capital-investissement gère-t-il cette période trouble ? Comment travaille-t-il, notamment avec ses participations, qui sont le cœur de son activité ? Entretien avec Christophe Deldycke, président du directoire de Turenne Groupe.

Décideurs. Avez-vous effectué des opérations depuis le début de la crise ?

Christophe Deldycke. Nous ne posons pas le crayon. Les opérations dans les tuyaux avant le début du confinement se sont déroulées comme prévu. Nous avons déjà réalisé quatre investissements et deux cessions. Le travail à distance n’est pas un handicap pour notre métier. Nous en tirerons d’ailleurs les leçons pour demain, à savoir que nous pouvons télétravailler et closer des opérations sans être tous présents physiquement dans un cabinet d’avocats. 

Y a-t-il des différences de dynamiques au sein de vos activités ?

Le portefeuille de Turenne est un bon laboratoire de l’environnement économique global puisque nous accompagnons aussi bien des start-up innovantes que de grosses ETI familiales. Nous gérons 260 participations en tout avec des opérations de capital-innovation, de capital-développement et de capital-transmission qui ont pour but de faire grandir ces sociétés. En ce qui concerne le capital-innovation et le capital-développement, nous recevons toujours autant de dossiers. Seules les nouvelles opérations de capital-transmission, en particulier pour les entreprises familiales, sont décalées.

Pourquoi ?

Les dirigeants qui réfléchissaient à céder leur activité appuient sur pause. Le marché repartira quand ils auront une meilleure vision de leur budget 2020. Vendeurs, comme acheteurs, anticipent des résultats à la baisse pour cette année. Par ailleurs, nous investissons en fonds propres dans ces entreprises mais avons également recours à un effet de levier, c’est-à-dire à un complément en dette bancaire qui est une avance sur recettes octroyée par les banquiers. Actuellement, ils traitent des demandes massives de prêts garantis par l’État. Il faut être raisonnable et attendre la fin de la crise pour lancer de nouvelles demandes et nous assurer que nos thèses d’investissement restent valides.

Comment accompagner la croissance dans un tel contexte ?

Nous pensons que la crise va créer des opportunités. La capacité des entreprises à générer de la croissance interne sera être limitée mais elles vont pouvoir aller chercher des parts de marché existantes chez des sociétés moins solides. Toutes les crises mènent à de grandes phases de rapprochements.

Toutes les crises mènent à de grandes phases de rapprochements

Le capital-investissement pourrait-il être lui-même concerné ? Turenne Groupe compris ?

Tous les secteurs cherchent à grandir. Notre équipe de 63 personnes gère 1 milliard d’euros. Cela a été rendu possible par de la croissance interne mais aussi par des mariages, comme notre rapprochement avec Innovacom l’an dernier. Nous continuons de regarder les opportunités qui nous permettent d’acquérir de nouvelles expertises sectorielles ou géographiques. Nous réfléchissons actuellement à l’ouverture d’une sixième antenne Turenne dans l’ouest de la France par exemple.

Cette crise change-t-elle votre rapport à vos participations ?

Cette période de contacts quotidiens, dans une ambiance particulière, avec les dirigeants de nos participations nous permet de créer des liens encore plus forts avec eux. Les patrons accompagnés par des actionnaires professionnels sur lesquels ils peuvent s’appuyer sortiront mieux armés que les autres. Nous avons travaillé avec les entreprises dans lesquelles nous avons investi sur de nombreux sujets prioritaires pour eux : leurs trésoreries, les mesures d’hygiène pour la reprise du travail des salariés, etc. Nous avons également mis en place des conférences avec des avocats en droit social afin d’éclairer nos participations sur la législation en matière de télétravail ou de chômage partiel.

Cela pourrait-il avoir un impact positif sur votre secteur ?

Actuellement, 7 000 entreprises ont ouvert leur capital au private equity. Je crois que la crise met en lumière l’utilité des actionnaires professionnels comme véritables « compagnons de route » des dirigeants d’entreprise et va probablement créer un appel d’air. Davantage de sociétés auront besoin de fonds propres et accueilleront des actionnaires minoritaires, justement parce que nous n’apportons pas uniquement de l’argent. En acceptant d’ouvrir leur capital, les entreprises s’offrent un soutien qui s’avère précieux en période de crise notamment. Le marché du capital-investissement va forcément accélérer.

Comment vos investisseurs réagissent-ils ?

Nous avons pris les devants afin de leur donner une information qualitative sur l’ensemble de nos participations dans chacun des fonds, à l’aide de documents support présentant l’impact du Covid-19. Des entretiens individuels avec nos LPs ont été menés. Ils sont ravis de ce niveau de communication. Nous avons deux levées de fonds en cours qui se poursuivent en santé, Capital Santé 2, et en innovation technologique, technocom3. Nous offrons des performances moins volatiles et plus régulières que le marché boursier, surtout dans cette période de crise et de taux bas durables. Les investisseurs vont aussi s’interroger sur l’immobilier de bureau, qui pourrait devenir moins attractif du fait du développement du télétravail et se tourner davantage vers le non-coté. 

Comment anticipez-vous la reprise pour vos participations ?

Pour le moment, aucune des entreprises dans lesquelles nous sommes investis ne nous a demandé de fonds propres complémentaires. Ce mouvement pourrait toutefois arriver à la fin de l’année lorsqu’elles auront besoin de financer leur prochaine croissance. Toutes attendent de pouvoir redémarrer à plein. Dans le secteur du BtoC, type hôtellerie et distribution, nous tablons sur une reprise plutôt lente jusqu’à fin 2020. Pour les PME généralistes BtoB, les impacts seront très variables.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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