Médecin épidémiologiste, biostatisticien, chercheur et spécialiste en santé publique, Yves Charpak conseille l'Organisation mondiale de la santé dans les années 2000. Il fut également directeur des affaires internationales de l'Institut Pasteur et des études et prospectives à l'Établissement français du sang. Vice-président de la SFSP, la Société française de santé publique, il revient pour Décideurs sur la gestion de la crise par l’OMS.

Décideurs. En quoi cette pandémie est-elle différente des autres grandes crises sanitaires ?

Yves Charpak. Contrairement à d’autres virus, celui-ci a réussi à passer toutes les barrières, se propageant dans le monde entier extrêmement vite. L’être humain est en contact permanent avec des micro-organismes viraux ou bactériens, le risque est donc omniprésent. Il est même étonnant qu’il n’y ait pas eu plus de pandémies de ce type. Quand la crise du Sras a eu lieu en 2003, elle a provoqué un choc car cette maladie s’est vite propagée en Asie mais aussi au Canada, causant de nombreux décès, mais elle s’est arrêtée assez rapidement. Puis la crise de la grippe aviaire (H5N1) est arrivée en 2005. Un virus qui touchait les volailles et se transmettait à l’homme mais, fort heureusement, pas d’homme à homme.

Qu’a entrepris l’OMS à la suite de ces crises sanitaires ?

À la suite de la crise du H5N1 en 2005, les États membres de l’OMS ont pris la décision de demander aux équipes de l’organisation de réviser le Règlement sanitaire international (RSI) qui est devenu une loi internationale, obligeant désormais les États à se préparer aux crises de manière collégiale. Ce RSI a été activé pour la première fois en 2009 lors de la grippe H1N1 et l’OMS, à l’époque, a été vivement critiquée car ce règlement était considéré par les États comme trop strict et contraignant à mettre en place. Pour les pays développés, donc les plus riches, laisser la main à une organisation telle que l’OMS implique de perdre une partie de sa souveraineté ; cela reste très compliqué.

"À la suite de la crise du H5N1 en 2005, les États membres de l’OMS ont pris la décision de réviser le Règlement sanitaire international (RSI)"

Une autre action notable, depuis la crise d’Ebola en 2014, a été la mise en œuvre du "Programme de sécurité et d’urgence sanitaire" de l’OMS directement rattaché au directeur général pour permettre à l’organisation d’être plus réactive. Ce programme pilote des outils et notamment le GOARN, un réseau mondial d'alerte et d'action en cas d'épidémie [dispositif technique de collaboration entre des institutions et des réseaux mettant leurs ressources humaines et techniques en commun pour identifier et confirmer rapidement les épidémies de portée internationale, et y répondre dans les meilleurs délais, Ndlr]. Ce moyen de surveillance multi-outil va bien au-delà de ce que déclarent les États puisqu’il analyse également la presse et les réseaux sociaux. Cette usine à collecter de l’information permet de gagner un temps précieux pour détecter les signaux faibles et agir en conséquence ; les États étant généralement lents à réagir.

Lenteur et/ou volonté de cacher ou minimiser ?

Les pays ne se rendent souvent pas compte tout de suite de l’étendue du problème. Prenez le cas du Chikungunya [un virus transmis à l'homme par la piqûre du moustique tigre, Ndlr] à la Réunion par exemple. L’OMS ne parvenait pas à obtenir d’informations de la part de la France qui affirmait qu’il ne se passait rien, jusqu’à ce que le ministre de la Santé décide de se rendre sur place et découvre l’ampleur de ce virus transmis à l’homme. Il n’est pas toujours facile d’identifier les problématiques.

Cela a été le cas pour la Covid-19 en Chine ?

Tout a commencé par une épidémie de pneumopathies graves, qui est montée en puissance à Wuhan et pour laquelle il n’y avait aucun diagnostic fin 2019. De la même façon que lorsque le sida a émergé aux États-Unis, les autorités, à l’époque, ont mis un an à comprendre qu’il se passait quelque chose de grave sur la côte californienne. Quand le signal est nouveau, rares sont les personnes capables de le détecter et de le comprendre rapidement. En Chine, il n’aura fallu qu’un mois avant de comprendre le problème, après que le virus a pu être séquencé et que l’on découvre cette nouvelle forme de coronavirus fin décembre. Un mois, c’est très court ! Nous ne sommes jamais allés aussi vite, au regard des autres épidémies, pour mettre en lumière un nouveau virus. Par conséquent, dire que la Chine a volontairement caché des choses, je ne le crois pas.

"Nous ne sommes jamais allés aussi vite, au regard des autres épidémies, pour mettre en lumière un nouveau virus"

Quid des États moins coopératifs ?

Peu de pays sont prêts à jouer le jeu à 100 % car on touche à leur souveraineté. La France a d’ailleurs du mal à s’y prêter au sein de l’Union Européenne Alors que, rappelons-le, la protection des citoyens contre les menaces est un mandat de l’Union européenne. Il existe par ailleurs un comité d’urgence sanitaire au sein de l’UE dont on n’a pas entendu parler au début de cette crise...

L’OMS a-t-elle été suffisamment réactive selon vous ?

Pour examiner la flambée de ce nouveau Coronavius, le directeur général de l’OMS a convoqué, le 22 janvier, son comité international composé des États membres. Ce même comité qui avait essuyé de nombreuses critiques sur sa lenteur et connivence supposée avec la Chine. Pour mémoire, le président de ce comité, le professeur français Didier Houssin, avait pointé le manque d’informations sur cette épidémie. Cette première réunion n’a pas donné lieu au déclenchement d’une situation d’urgence internationale car il n’y a pas eu de consensus. En revanche, la semaine d’après, tous les pays étaient au diapason pour déclarer l’état d’urgence. Une décision qui a déclenché le RSI de façon massive.

Comprenez-vous les critiques formulées à l’encontre du directeur général de l’OMS qui ont été d’une extrême violence ?

L’OMS est une organisation qui, par définition, ne peut pas être aimée. Lors d’une épidémie, elle est critiquée, soit pour son manque de réactivité soit pour son extrême réactivité et sa prudence en matière de prévention. C’est le parfait bouc-émissaire.

"L’OMS est une organisation qui, par définition, ne peut pas être aimée"

L’OMS s’est fait détester par le monde économique et industriel lorsqu’elle a commencé à s’intéresser aux maladies chroniques et aux facteurs de risques – tabac, alcool, alimentation, pesticides, environnement général, chimie, etc. Elle est devenue une menace dans les années 2000, lorsque la norvégienne Gro Harlem Brundtland était à sa tête, car elle ne s’embarrassait pas de méthodes diplomatiques.

Budget, allocation des ressources,.. : que faudrait-il réformer selon vous ?

L’OMS est en réforme permanente depuis longtemps. La question est plutôt de savoir quelle réforme les États membres sont disposés à avoir. Le fait qu’elle compte 193 pays membres montre que cette organisation est l’exemple même de la démocratie, même si certains pays – les plus riches – pèsent plus que d’autres.

Côté budget, il est équivalent à celui des Hospices de Lyon, donc oui il faut un budget plus élevé. Le problème vient surtout de la manière dont les fonds sont apportés par les États. Il faudrait que tous les financements soient mis en commun et non plus attribués à un programme en particulier. C’est la destination du financement et l’utilisation par l’organisation qui pose question. Il faut trouver le bon mécanisme.

Pour ce qui est du bilan de cette crise, quelles sont les grandes erreurs ? Y a-t-il eu négligence de la part du gouvernement français ?

Plus que des erreurs, je préfère pointer des négligences. Fin janvier, on savait déjà qu’il s’agissait d’une épidémie mondiale. Le président du comité international de l’OMS étant français, la France ne pouvait pas ignorer le problème. Il y a donc clairement eu négligence de la part de nos gouvernants face à cette menace qu’ils ont refusé de voir et de croire, pensant que nous passerions à travers.

"La France ne pouvait pas ignorer le problème"

Puis ils ont commencé à s’agiter et à vérifier les équipements dont nous disposions, mettant ainsi en lumière que sur les dix dernières années, les différents gouvernements avaient tout simplement démantelé ce qui avait été fait en matière de préparation jusque-là. Que dans un pays comme la France, nous manquions de gel hydroalcoolique, dû en particulier à une pénurie d’alcool, on a peine à le croire !

Qu’attendez-vous de la commission d’enquête Covid ?

Pas grand-chose car la vraie question ne sera pas posée. Chaque année, nos députés votent une loi de financement de la sécurité sociale relative au financement du système de santé. Pas une fois, l’un d’entre eux n’a soulevé la question d’un budget prévisionnel pour se préparer à des crises de cette ampleur. On était mal préparé car notre pays ne considère pas qu’il soit important de se préparer à une crise sanitaire, de la même manière qu’il est important de se préparer à une crise militaire. Nous acceptons un programme Rafale à 40 milliards d’euros par an mais l’idée de dépenser 500 millions d’euros pour des masques paraît exorbitant. Se préparer à un tel événement est un sujet de citoyenneté au sens large et il est grand temps de s’y mettre. De même que réfléchir au fait que le premier vecteur de maladie aujourd’hui, c’est l’avion…plus que le moustique. Et qu’il est grand temps d’y réfléchir.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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