Le mode de rémunération des professionnels de santé est un levier efficace pour transformer la pratique médicale et l’organisation des soins. C’est pourquoi, nous observons en France une évolution des modes de rémunération qui tend à s’accélérer depuis 2018 avec l’expérimentation de financements innovants, tels que le paiement au forfait. Mais quelles sont ces évolutions ? Quels seront les impacts pour les patients et les acteurs de santé ? Ces évolutions vont-elles modifier le système de remboursement des frais de santé ?

En France, les professionnels (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, etc.) et les établissements de santé bénéficient de deux principaux modes de rémunération. Le paiement à l’acte, lié à la réalisation d’un acte (consultation, acte technique, etc.) pour un patient. Le montant de la rémunération des professionnels varie selon la nature et le volume des actes effectués. Et le paiement au forfait, généralement destiné à rémunérer un ensemble d’actes et de soins réalisé par un ou plusieurs professionnels de santé travaillant de façon coordonnée pour des groupes de patients déterminés.

Si la rémunération à l’acte reste grandement majoritaire en France, la répartition entre ces deux modes de rémunération varie entre la ville et l’hôpital, entre le secteur public et privé et entre les professionnels de santé. Les médecins généralistes sont rémunérés à 87 % à l’activité et les spécialistes à 100 %1.

Le paiement à l’acte ou à l’activité vise à renforcer la productivité et la réactivité du système de santé. Néanmoins, ce modèle peut engendrer des dérives (Ex. actes redondants ou non pertinents au regard de l’état de santé du patient). De plus, il ne favorise pas la coordination des soins entre établissements et professionnels de ville, l’innovation organisationnelle ou numérique, ni la prévention qui ne peuvent être mesurés en volume d’activité.

Le paiement au forfait, ou rémunération forfaitaire, est aujourd’hui utilisé pour financer certains services hospitaliers et en ville (Forfait Patientèle Médecin Traitant, etc.). Le paiement au forfait cherche ainsi à valoriser les efforts de prévention et à inciter les médecins et les établissements à s’inscrire dans une démarche de qualité et de pertinence des soins, pour améliorer la coordination des parcours de soins des patients. Ce type de rémunération s’applique généralement pour le suivi des personnes âgées ou souffrant de pathologies chroniques nécessitant l’intervention de plusieurs acteurs autour du patient. Toutefois, ce modèle peut aussi conduire à un rationnement des soins voire à une sélection des patients.

Les paiements à l’acte et au forfait ont donc des atouts différents et répondent de manière complémentaire aux besoins de santé publique.

Une évolution nécessaire des modes de rémunération

La transition démographique et épidémiologique engendre de nouveaux besoins en termes de soins et d’organisation du système de santé. Les modes de rémunération des professionnels et des établissements ont un impact logique sur la pratique médicale et l’organisation des soins, et sont donc un levier identifié par les pouvoirs publics pour moderniser le système de santé.

Ainsi, depuis 2009, les gouvernements successifs ont cherché à développer les rémunérations forfaitaires des médecins en complément ou en substitution du paiement à l’acte (ROSP, Forfait Patientèle Médecin Traitant, etc.).

Cette dynamique s’est accélérée en 2018 avec le Plan « Ma Santé 2022 » et le rapport Aubert2 qui souhaitent transformer le financement des dépenses de santé et renforcer la qualité et la pertinence des soins. Dans cette optique, il a été décidé d’expérimenter 3 modalités de financement forfaitaire (par l’article 51 de la LFSS 2018). À ce jour, plus de 100 structures se sont engagées dans ces expérimentations (hôpitaux, maisons de santé pluriprofessionnelles, centres de santé).

Trois modalités sont expérimentées au plan national. La rémunération pour un épisode de soins (EDS) qui est un paiement collectif forfaitaire pour un ensemble d’acteurs mobilisés autour d’un épisode d’hospitalisation chirurgicale et pour l’ensemble des prestations définies dans cet épisode3. ­L’Incitation à une Prise En charge Partagée (IPEP) qui vise à tester un nouveau modèle de financement collectif incitatif à la mise en place d’organisations pluriprofessionnelles sur un territoire, notamment pour la prise en charge des patients en situation complexe. La troisième : Le Paiement à l’Équipe de Professionnels de Santé (PEPS) qui est un paiement forfaitaire destiné aux équipes de professionnels de santé intervenant en ville.

Le gouvernement souhaite augmenter la part des rémunérations forfaitaires et proposer ainsi un modèle de financement des soins mixte.

L’expérimentation PEPS a pour objectif de mettre en œuvre un paiement collectif forfaitaire, substitutif à l’acte, pour les soins de premiers recours réalisés par une équipe pluriprofessionnelle pour la prise en charge et le suivi de tout ou partie de leur patientèle : l’ensemble des patients ayant leur médecin traitant au sein de l’équipe PEPS, ou seulement les patients diabétiques et/ou âgés. La rémunération PEPS, allouée par l’Assurance Maladie, doit être répartie entre les membres de l’équipe soignante. Elle tient compte des caractéristiques de la patientèle, des éventuels pics ou baisse d’activité, de la qualité de la prise en charge et du taux de précarité du territoire.

Au travers de ces expérimentations, qui dureront entre 3 et 5 ans, le gouvernement souhaite augmenter la part des rémunérations forfaitaires et proposer ainsi un modèle de financement des soins mixte, à l’acte et au forfait, à même de répondre aux besoins de santé publique.

Un profond changement de paradigme

Le développement des rémunérations forfaitaires aura des impacts, à la fois sur les parcours de soins, l’expérience des patients et sur la pratique des professionnels de santé.

Au-delà, c’est aussi le positionnement des organismes d’Assurance Maladie et les logiques de financement du système de santé français qui pourraient en être transformées.

Du côté des patients, les rémunérations forfaitaires qui ont pour objectif de favoriser la coordination des acteurs en leur donnant des rémunérations collectives à partager ou attribuées sur un objectif commun, devraient contribuer à améliorer la prise en charge et le suivi des patients atteints de pathologies chroniques (35 % de la population française4) et des personnes âgées. Parce qu’une multiplicité d’acteurs de santé intervient auprès d’eux, rendant leur parcours de soins complexe, un accompagnement sur la durée pour limiter les complications et les ruptures serait bénéfique à plus d’un titre.

Concernant le paiement des professionnels de santé, leur rémunération est calculée et versée directement par l’Assurance Maladie pour tenir compte de critères de qualité et de performance. Les soins sont donc dispensés sans avance de frais pour les patients. Les patients n’ont ainsi pas à régler leur consultation, les prestations étant financées directement. Ce modèle questionne les modalités de contribution des patients envisagées dans l’hypothèse d’une généralisation.

Du côté des professionnels de santé, si ce mode de financement peut être assez naturel pour des structures travaillant déjà de manière coordonnée (Ex. maisons ou centres de santé), il apparaît néanmoins plus complexe à mettre en place pour des professionnels libéraux en exercice isolé car il nécessite trois conditions préalables. La première concerne l’intégration de ces médecins dans une démarche de coordination. Au-delà des structures d’exercice collectif, des CPTS (Communautés Professionnels Territoriales de Santé) sont, par exemple, conçues pour aider les professionnels à mieux structurer leurs relations et à se coordonner sur un même territoire.  Le deuxième préalable implique l’usage d’outils adaptés pour partager en toute sécurité des données sensibles sur les patients. Si des Services Numériques d’Appui à la Coordination commencent à être déployés dans les territoires pour faciliter ces échanges, la généralisation des usages pourrait prendre du temps. Le troisième et dernier préalable fait référence à la répartition des sommes à l’équipe soignante à partir d’un versement forfaitaire et global de leurs honoraires, calculés et réglés par l’Assurance Maladie. Des structures intermédiaires, chargées de percevoir et de distribuer les sommes, pourraient être créées à l’image des ACO5 (Accountable Care Organizations) aux États Unis dont le développement s’est accéléré après l’Obamacare. Quelles seront l’acceptation et la capacité des professionnels de santé pour la mise en place d’un tel système ? La question mérite d’être posée.

Les rôles des différents organismes d’assurance maladie obligatoire et complémentaire restent à définir.

Enfin, pour le Système de protection sociale, le changement dans les modalités de calcul et de versement des forfaits par l’Assurance Maladie questionne le positionnement des complémentaires santé dans le financement du système de santé.

En effet, en cas de généralisation, comment sera déterminée la part des forfaits payée par les organismes complémentaires ? Comment pourront-ils identifier leurs assurés et calculer leur participation dès lors que ces forfaits rémunèrent l’activité d’un collectif de professionnels autour du médecin traitant pour un ensemble de patients ? Et comment les organismes complémentaires vont-ils informer leurs assurés des sommes réglées pour leur compte directement aux professionnels de santé ? Les rôles des différents organismes d’assurance maladie obligatoire et complémentaire restent à définir.

La combinaison des modes de financement, à l’acte et au forfait, est un levier clé pour améliorer la qualité, la pertinence et la coordination des soins. Le développement des rémunérations forfaitaires devrait donc se poursuivre et aura de multiples impacts sur l’organisation du système de santé et sur la protection sociale. 

Sur l’auteur

Véronique Lacam-Denoël : associée fondatrice de Proxicare, cabinet de conseil en stratégie dédié à l’innovation en santé et protection sociale. Proxicare dispose d’expertises sur l’organisation des soins, le numérique en santé et l’assurance santé lui permettant d'appréhender globalement les réformes systémiques du système de santé. Avant de créer sa structure, Véronique a assuré la Direction générale adjointe de Viamedis, leader de la gestion des flux de paiement. Elle a ensuite rejoint le Groupe Malakoff Humanis en tant que Directrice e-santé et Directrice Générale de Vigisanté, programme de télésurveillance mené dans le cadre du 2ème appel à projet national e-santé. Véronique accompagne désormais les acteurs dans leurs choix stratégiques et leurs projets de déploiement de solutions innovantes en santé.

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