En avril 2019, le groupe de défense et d’électronique, Thales, rachetait le spécialiste des cartes à puces. Si depuis, la crise est passée par là, l’intégration de Gemalto a été bénéfique pour les deux groupes.

Entre l’annonce d’un deal et son closing, le chemin s’avère parfois tortueux : batailles boursières, rétractations, "cadavres" dans le placard… L’histoire des fusions-acquisitions n’est pas un long fleuve tranquille et fait régulièrement la Une des journaux économiques. Si la phase amont des rapprochements est un sujet des plus intéressants, il en est un dont on entend moins parler : celui des intégrations, surtout quand elles fonctionnent. Quels ingrédients sont nécessaires à la réussite d’une opération de M&A ? Que peut-on apprendre des cas passés ? Pour Décideurs, Philippe Vallée, ancien directeur général de Gemalto et vice-président exécutif identité & sécurité numériques chez Thales revient sur l’acquisition de son ancienne société par le groupe de défense et d’électronique.

Une nouvelle business unit

Pour mémoire, fin 2017, alors qu’Atos proposait de fondre sur Gemalto, Thales surgissait tel un chevalier blanc avec une offre amicale. Prix d’achat proposé : 4,8 milliards d’euros. Le tout, en cash. Le projet séduit le fabricant de cartes à puces qui, en avril 2019, scellera son union avec le groupe emmené par Patrice Caine. Si les deux sociétés se sont très vite dessiné un destin commun, c’est que leurs complémentarités étaient évidentes : Thales profitait de l’arrivée de Gemalto pour accélérer sa transformation digitale quand Gemalto accédait à une plateforme globale et solide qui lui permettait de faire rayonner ses activités de sécurité numérique.

L’une des clés de la réussite de l’opération aura été d’avoir accueilli Gemalto comme une entité à part entière

L’une des clés de la réussite de l’opération aura été d’avoir accueilli Gemalto comme une entité à part entière. "Thales, qui comptait six divisions, en a créé une supplémentaire [identité & sécurité numériques, DIS, Ndlr] pour ses nouveaux métiers, explique Philippe Vallée. Ce qui a permis à Gemalto de s’intégrer et de collaborer avec le reste du groupe, tout en restant sur ses bases." Concrètement, la partie commerciale, l’offre produits et la R&D de l’ancien Gemalto font partie intégrante de DIS. En revanche, lorsqu’un marché le nécessite, Thales répond aux appels d’offres que DISI livrera ensuite. "C’est une organisation en mode projet, résume le dirigeant. Nous utilisons les capacités de gestion locales le temps de celui-ci."

Des groupes complémentaires

Le nouveau leader peut se targuer d’avoir décroché des marchés grâce à sa fusion. En Australie, où la présence de Thales est significative, DIS a obtenu la confiance de l’État du Queensland pour digitaliser les permis de conduire. "La présence géographique de Thales a permis de convaincre", estime Philippe Vallée. A contrario, le groupe – jusque-là peu présent en Amérique latine – a déjà triplé ses effectifs grâce à Gemalto.

Cette répartition par business units n’empêche pas les jeunes mariées de travailler main dans la main en combinant leurs savoir-faire. Par exemple, celui de Thales en matière de trafic aérien tandis que l’ex-Gemalto tire son épingle du jeu de la gestion des identités et de la sécurité. "On travaille à des synergies potentielles, rapporte Philippe Vallée. Nous réfléchissons à la manière d’allier les techniques d’identification avec la capacité de Thales à superviser les flux aériens. Les premiers déploiements de ces synergies sont déjà en cours." Des projets pilotes sont lancés, comme au Dakota où les entrées et sorties de drones pourraient être contrôlées grâce à l’alliance de ces compétences.

Toujours du côté aérien, les passagers pourraient disposer d’une identité numérique éphémère créée au moment du check-in via une application sur smartphone, leur permettant de s’identifier « biométriquement » à chaque étape clé en aéroport, sans avoir à sortir son billet ou sa carte d’identité. "Cette solution offrirait une expérience utilisateur fluide, sécurisée, sans couture, depuis la dépose bagage, le passage aux frontières jusqu’à l’embarquement, où cette identité numérique serait alors détruite au décollage", explique Philippe Vallée.

De l’importance du tempo

De quoi stimuler les ingénieurs du groupe et leur ouvrir des perspectives, alors que la guerre des talents, qui plus est dans le digital, fait rage. En tout, le groupe compte 80 000 collaborateurs dont 15 000 arrivés de l’ex-Gemalto. Afin de les accueillir au mieux, un comité d’intégration a été mis en place dès le début de la fusion. Mais, Philippe Vallée, – qui avait déjà opéré des rapprochements lorsqu’il était patron de Gemalto – l’assure : les objectifs mis en place par ce comité ne valent que si le tempo est respecté. "L’important c’est plus le rythme qu’un sujet en particulier."

"L’important c’est plus le rythme (de l’intégration) qu’un sujet en particulier"

Si Gemalto est devenu une business unit, les deux fiancées disposaient chacune d’une activité de protection des données qui ont dû, elles, fusionner. "Nous ne pouvions pas garder deux offres concurrentes. Dans ce cas de figure, il faut décider le plus tôt possible et annoncer aux équipes et aux clients les choix qui doivent être faits."

Le rapprochement porte-t-il ses fruits ? La crise est passée par là depuis l’annonce des objectifs. Cependant, les synergies de coûts promises sont au rendez-vous (120 millions d’euros). Quant à la croissance, 300 à 500 millions d’euros de revenus supplémentaires d’ici 2023 étaient attendus. Pour la seule année 2019, la nouvelle DIS affichait un résultat opérationnel brut de 264 millions. Une performance qui a contribué au chiffre d’affaires annuel de Thales en hausse de 16,1 % à 18,4 milliards d’euros. Et pour la suite ? Un groupe en croissance est un groupe aux aguets. "On continuera à travailler notre portefeuille d’activités", affirme Philippe Vallée. De quoi disposer de nouveaux cas d’école dans les années à venir.

Olivia Vignaud

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