Alors que la vaccination contre la Covid-19 commence à prendre son envol en France après un début quelque peu chaotique, se pose aujourd’hui la question de la mise en place d’un passeport vaccinal.

Une disposition du projet de loi du 21 décembre 2020 instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires permettant au Premier ministre, pendant l’état d’urgence sanitaire, de"subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transports ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités […] au suivi d’un traitement préventif, y compris l’administration d’un vaccin ".

Cette proposition gouvernementale a ravivé le débat entre les "pro-vaccins" et les "antivax". Sa mise en œuvre équivaudrait à créer, de facto, un passeport vaccinal, sorte de laisser-passer conditionnant l’accès à certains lieux ou services à la vaccination. Généralisée au cours du XXe siècle, la vaccination a massivement contribué à la lutte contre certaines maladies graves.

Ainsi, le droit français prévoit déjà une mesure similaire pour onze vaccins dont la réalisation est obligatoire pour tous les jeunes enfants avant leur entrée à l’école maternelle. Vaccin obligatoire, passeport vaccinal, quels en sont les enjeux y incluant les problématiques en termes d’atteinte aux libertés individuelles ?

Le conflit entre libertés individuelles et exigences de santé publique 

Depuis 1957, la vaccination des enfants contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite est obligatoire, huit autres vaccins étant par ailleurs fortement recommandés. En 2018, la ministre de la Santé, Mme Marisol Touraine étendait l’obligation de vaccination à ces autres vaccins, soit onze vaccins obligatoires. En réaction, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations (LNPLV), un des principaux acteurs de la société civile opposé à la généralisation de la vaccination, avait saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation pour excès de pouvoir.

"La protection des libertés individuelles requiert leur mise en balance avec d’autres libertés ou avec des mesures qui transcendent le seul individu pour bénéficier à l’ensemble de la société"

L’analyse de la décision rendue le 6 mai 2019 par le Conseil d’État permet d’éclairer utilement le débat qui anime aujourd’hui le monde quant à la vaccination et l’éventuelle mise en place d’un passeport vaccinal. La LNPLV mettait en avant l’atteinte à plusieurs libertés individuelles protégées par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment le droit à la vie privée (article 8) et la liberté de conscience (article 9). L’association invoquait également l’article 5 de la Convention d’Oviedo du 4 avril 1997, lequel conditionne "les interventions dans le domaine de la santé" au recueil préalable du "consentement libre et éclairé" de la personne concernée.

La protection des libertés individuelles requiert leur mise en balance avec d’autres libertés ou avec des mesures qui transcendent le seul individu pour bénéficier à l’ensemble de la société. En opérant cette mise en balance, le Conseil d’État constate que les restrictions apportées à ces libertés, par l’obligation vaccinale, sont justifiées et proportionnées à l’objectif poursuivi d’amélioration de la couverture vaccinale pour "atteindre le seuil nécessaire à une immunité de groupe au bénéfice de l’ensemble de la population".

La conciliation entre les risques et bénéfices de la vaccination

Pour instaurer une obligation de vaccination, il doit exister un "rapport suffisamment favorable entre la contrainte et le risque présentés par la vaccination, et d’autre part le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier". Ainsi, la possibilité de rendre obligatoire la vaccination contre une maladie implique de prendre en compte la gravité et la mortalité de celle-ci, le taux d’efficacité du vaccin envisagé et ses effets indésirables, ainsi que la couverture vaccinale d’oreset-déjà existante. Dans sa décision de 2019, le Conseil d’État considère ce rapport suffisant, eut égard à l’ancienneté des vaccins et à l’existence de données statistiques abondantes les concernant. La situation est tout autre dans le cadre des vaccins contre la Covid-19. Outre la faible létalité du virus, et l’impossible recul sur de potentiels effets secondaires, des inconnues existent encore, notamment quant à la durée d’efficacité des vaccins, ainsi que la possibilité d’être contaminant malgré la vaccination.

En outre, les différents vaccins Pfizer, Moderna, Astra Zeneca, Spoutnik, etc. n’aurait peut-être pas, tous, la même efficacité. Il apparait dès-lors juridiquement incertain de rendre obligatoire la vaccination contre la Covid-19. À l’échelle internationale ou communautaire, le conditionnement de la mobilité transnationale à la présentation d’un passeport de vaccination est une idée qui peut apparaître justifiée tant que le virus circule activement. Elleest pourtant inégalitaire et discriminante puisque tous les États ne disposent pas des mêmes capacités d’accès au vaccin.

Ce caractère inégalitaire existe également à l’échelle nationale : certains ont eu ou auront accès prochainement à la vaccination : personnes âgées et/ou présentant des comorbidités, personnels soignants ou exposés, etc. A contrario, d’autres populations et notamment les étudiants, devront certainement attendre plusieurs mois avant de pouvoir accéder à la vaccination. S’ajoute à cet étalement du processus de vaccination les nombreuses interrogations qui demeurent quant aux capacités de production et d’acheminement d’un vaccin impliquant une logistique exigeante. 

Le débat qui s’opère aujourd’hui quant à l’implémentation d’un passeport vaccinal expose le caractère prématuré d’une telle mesure. De surcroît, celle-ci ne pourrait faire pleinement sens qu’à condition que les personnes vaccinées ne puissent pas propager le virus, ce qui, pour le moment, reste à confirmer.

Passeport vaccinal : une idée juridiquement et politiquement difficile à soutenir

Certaines propositions vont plus loin encore et proposent de conditionner l’accès à certains lieux ou activités, au sein d’un État, à la présentation d’un certificat de vaccination. Israël est d’ores-et-déjà en train d’implémenter un tel dispositif, dit "passeport-vert". Prenant la forme d’une application, il serait valable 6 mois après la vaccination ou 72 h après un test négatif. À l’international, ce dispositif permettra de voyager vers certains pays étrangers, à condition qu’ils soient dotés d’un dispositif semblable. De nombreux États ont déjà signés avec Israël des traités en ce sens ou s’y disent favorables, à l’instar de l’Italie, de l’Espagne, de la Suède ou encore du Danemark. Au sein des territoires israéliens, ce passeport numérique sera prochainement indispensable pour accéder à certains lieux publics, tels que les restaurants, les bars ou les salles de sport.

"L’éventuelle création d’un passeport vaccinal n’est pas sans créer des difficultés juridiques particulières, notamment en matière de protection des données personnelles"

En France, le risque d’atteinte aux libertés est trop important. Une telle obligation pourrait-elle exister pour certaines professions ? Soit qu’elles soient particulièrement exposées à un risque de contamination, soit que leur hypothétique rôle contaminant puisse avoir des conséquences particulièrement délétères. Il pourrait notamment s’agir des personnels de santé, des personnels soignants travaillant au contact de personnes âgés, des enseignants, professions médicales et paramédicales libérales, etc. Enfin, l’éventuelle création d’un passeport vaccinal n’est pas sans créer des difficultés juridiques particulières, notamment en matière de protection des données personnelles. La CNIL travaille déjà en collaboration avec le ministère de la Santé pour garantir la conformité du système informatique dédié "Vaccin Covid", lequel permet l’identification des personnes éligibles au vaccin, ainsi que le recensement de celles ayant été vaccinées.

Toutefois, la mise en œuvre effective d’un passeport vaccinal nécessiterait que ces données de santé – par essence sensibles et très protégées pissent être consultées par un grand nombre de personnes devant s’assurer du caractère effectif de la vaccination d’un individu : commerçants, administrations, cinémas et salles de spectacles, etc.

Un tout autre défi en termes de protection des données personnelles, ainsi que, à bien des égards, une mesure très risquée et controversée d’un point de vue politique et sociétal. 

Article co-écrit avec Matthieu Almeras, stagiaire, élève avocat 

SUR L'AUTEUR. Maître Julie JACOB intervient principalement en matière de protection des données personnelles, en droit de la propriété intellectuelle et en droit des médias, tant au niveau du conseil que du contentieux. Elle dispose d’une expertise unique notamment dans le domaine des technologies et des enjeux liés aux datas.

Elle est enregistrée auprès du Barreau de Paris en tant qu’avocat correspondant à la protection des données à caractère personnel.Maître JACOB participe et anime de nombreuses formations, notamment à l’École de formation professionnelle des Barreaux de Paris sur la protection des données personnelles.

Fondatrice de la legaltech LAWFLEX : plateforme dédiée à la mise en relation entre les avocats/juristes, les cabinets d’avocats, les entreprises, permettant aux métiers du droit d’évoluer avec plus d’agilité.

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