Les évolutions actuelles poussent les laboratoires pharmaceutiques à passer d’un développement produit guidé principalement par les exigences réglementaires, à l’intégration amont des enjeux externes. Anticiper pour mieux intégrer : les contraintes techniques et de pharmacopée pour réussir du premier coup, les attentes des autorités et des payeurs pour se différencier, et les besoins des patients.
L’anticipation, clef pour maximiser la valeur d’un nouveau produit
Les plans de développement des produits pharmaceutiques sont depuis toujours principalement guidés par les exigences réglementaires. La définition des profils détaillés des produits cibles, la conception des essais cliniques et la collecte des données, le design du procédé de fabrication et d’analyse du produit sont autant de décisions clefs prises sous l’influence des contraintes réglementaires. Les fonctions en contact direct avec le marché, telles que l’accès au marché et les affaires publiques, ne sont souvent impliquées que tardivement dans la phase clinique, pour optimiser la stratégie de mise sur le marché, ne leur laissant par conséquent qu’une marge de manœuvre limitée : les données cliniques, les profils des produits cibles sont déjà fixés, et la perception des autorités, des professionnels de santé ainsi que des patients est considérée comme une donnée d’entrée.
Aujourd’hui, plusieurs tendances poussent les organisations pharmaceutiques à intégrer plus fortement les perspectives externes dans les premières phases du développement du produit. Tout d’abord, le cadre législatif évolue comme en Europe avec la révision de la législation pharmaceutique et le nouveau règlement européen sur l’évaluation des technologies de la santé (HTA) qui impactent la perception de l’innovation. En outre, la sensibilité accrue des payeurs en matière de remboursement constitue une préoccupation supplémentaire pour les lancements de produits. On observe une pression sur les prix dans un contexte d’inflation à la hausse, alimentée par les perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Enfin, les entreprises pharmaceutiques opèrent dans un environnement hautement concurrentiel.
"Avec des contraintes accrues et des délais raccourcis, se garantir le droit de concourir requiert plus d’anticipation"
Aussi, le succès des lancements de produits dépend de plus en plus de l’anticipation des contraintes et opportunités externes, dans les premières phases de développement. Les contraintes réglementaires et de pharmacopée doivent être anticipées afin de réussir du premier coup et de mettre en valeur l’innovation et la différenciation dans les processus d’évaluations. Les attentes des autorités sanitaires et des payeurs doivent être anticipées pour démontrer la valeur de l’innovation au-delà de la sécurité et de l’efficacité, tandis que les besoins des patients doivent être anticipés pour obtenir un véritable avantage concurrentiel.
Se garantir le droit de concourir
Afin d’anticiper les contraintes liées à l’évolution réglementaire, technique et à la pharmacopée, les entreprises pharmaceutiques doivent créer du lien entre les fonctions et les équipes locales. Par exemple, la réforme européenne d’évaluation des technologies de santé (HTA) demande de créer une vision intégrée européenne pour anticiper les besoins locaux (différents comparateurs, populations, approches méthodologiques), afin d’engager les bonnes parties prenantes, prendre des décisions de développement adaptées et faciliter des délais de soumission plus courts. De même, les processus de fabrication et d’analyse doivent être revus de façon à intégrer des contraintes plus strictes et à optimiser l’empreinte industrielle du produit en tenant compte des exigences actuelles et futures, telles que l’utilisation minimale d’antibiotiques ou le développement de produits sans tests sur les animaux. Cette croissance des contraintes et pression sur les délais pour se garantir le droit de concourir sur un marché requièrent une anticipation plus forte, avec une configuration "glocale".
"Une compréhension des attentes dès le début du développement permet d’anticiper le remboursement"
Ce n’est que grâce à ce type d’adaptations organisationnelles que les entreprises pharmaceutiques seront en mesure de garantir des investissements ciblés et de générer des données pour prouver la valeur ajoutée des produits innovants, tout en évitant des changements industriels et analytiques, nouveaux développements, nouvelles contraintes réglementaires et nouvelles analyses en gestion de cycle de vie du produit.
Se différencier au-delà de sécurité et efficacité
Dans un contexte hautement concurrentiel, caractérisé en outre par une pression de plus en plus forte sur les budgets de santé publique, il est encore plus complexe de valoriser l’innovation. Les payeurs recherchent un accès rapide et peu cher aux médicaments, et sont de plus en plus pointilleux sur ce qui est considéré comme une innovation. Il est donc essentiel de mettre clairement en évidence la valeur ajoutée des produits innovants, de limiter le risque d’avoir une négociation des prix à la baisse et de se différencier sur le marché. Une exploration précoce de la proposition de valeur des produits, basée sur une compréhension de la valeur ajoutée pour les parties prenantes et supportée par des essais cliniques adaptés et des données de vie réelle, devra donc être intégrée dès le début du développement clinique des nouveaux produits, afin d’anticiper ces questions de remboursement. Les fabricants doivent investir davantage dans la production de données qui, outre l’impact scientifique et médical, démontrent également l’impact économique, environnemental et sociétal, comme la réduction de la charge sur le système de santé. Ces attentes intègrent aujourd’hui certains appels d’offres : par exemple, l’empreinte globale carbone d’un produit, via une analyse de son cycle de vie et de son impact global sur le système de santé peut être une piste de réflexion.
Intégrer la perspective patient
On constate une sous-exploitation constante de la perspective du patient dans les plans de développement clinique, malgré la valeur évidente que cette vision peut apporter au-delà de la sécurité et de l’efficacité. L’intégration des données patient – patient report outcomes (PROs) - dès le début du processus de développement du produit sera un facteur de différenciation de plus en plus important pour les entreprises pharmaceutiques, afin de fournir des preuves de l’amélioration des interventions sur les symptômes et la qualité de vie des patients. Par exemple, un produit améliorant la convenance pour le patient, sans impact sur les données d’efficacité ou de sécurité, sera aujourd’hui considéré comme égal par les payeurs, là où une mise en perspective de cette convenance et le design de protocoles pour démontrer, par exemple, l’amélioration de l’adoption grâce à des données patient, peuvent faire une différence au moment des décisions d’accès au marché. Il est essentiel pour les entreprises pharmaceutiques de collaborer étroitement avec les patients dès le début, afin de maximiser l’impact des données sur les résultats rapportés par ces derniers et les intégrer dans la stratégie d’accès au marché
Le mot de la fin
Dans un contexte d’exigences réglementaires de plus en plus strictes, de pression sur les remboursements et d’une compétition accrue, les entreprises pharmaceutiques doivent repenser les processus de développement des produits et retravailler leurs structures organisationnelles afin de maximiser la valeur des nouveaux produits grâce à l’anticipation. L’anticipation n’est pas simple, car elle nécessite de prendre en compte de multiples perspectives : que ce soient les contraintes de la réglementation et de la pharmacopée pour réussir du premier coup ou échouer rapidement, ou bien les attentes des payeurs et des autorités sanitaires ainsi que les besoins des patients pour se différencier réellement de la concurrence. Ces évolutions offrent par ailleurs aux entreprises pharmaceutiques une occasion exceptionnelle de prendre une longueur d’avance et de transformer substantiellement le secteur au profit des patients.
SUR L’AUTEUR
Lina Chakir est Associate Partner au sein de la plateforme "New Healthcare Services" du bureau de Paris. CVA est une boutique internationale de conseil en stratégie qui aide ses clients leaders mondiaux au travers d’une approche centrée sur la compréhension fondamentale du client. CVA jouit d’une expertise unique dans le secteur de la santé, avec plus de 100 projets réalisés ces trois dernières années dans plus de 50 pays.