Les métavers sont sur toutes les lèvres, mais restent pourtant sujet à de nombreux amalgames. Afin de clarifier les termes du débat, d’identifier les opportunités émergentes et d’appréhender les risques, le gouvernement français a confié une mission exploratoire à trois experts. Cet article présente une synthèse de ce rapport officiel en donnant la parole à l’un de ses coauteurs.

De quoi le Métavers est-il le nom? Première observation lors de cette mission exploratoire, une grande confusion des acteurs face au terme, qui est défini différemment par chacun ("c’est l’immersion", "c’est internet", "non ! c’est le web", "c’est un assemblage de technologies"). Face à ce constat, voici quelques points importants à préciser pour tout lecteur.

Éléments de définition

Il semble plus juste de parler des métavers au pluriel plutôt qu’au singulier. Nous sommes effectivement face à une pluralité des possibles. Certains projets se concentrent sur des applications industrielles (jumeaux numériques), d’autres sont à vocation ludiques ou éducatives. Certains sont hyperréalistes, d’autres complètement gamifiées avec des avatars sous forme de voxels (pixel en 3D). Il n’y a donc pas un métavers, avec un M majuscule, ou du moins pas encore. Les avancées technologiques permettant l’avènement d’un ensemble complètement interopérable, s’il advient, pourraient prendre encore une, deux, voire trois décennies. En attendant, nous proposons de définir les (proto-)métavers comme des services en ligne don nant accès à des simulations d’espaces 3D en temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives.

Dans ce contexte, il convient de dissiper quelques malentendus. Le métavers ce n’est pas non plus Meta ! Le nom est stratégiquement choisi, mais ne doit pas nous leurrer. Il existe de nombreuses technologies sociales de l’immersion et de modes d’accès aux métavers (par le biais des casques de réalité virtuelle, des lunettes de réalité augmentée, des smartphones, etc.).

"Les métavers constituent avant tout une nouvelle ère esthétique et donc un enjeu de soft power"

Le métavers, ce n’est pas non plus le Web3 ! Beaucoup de conférences juxtaposent ces termes pourtant différents. Le concept de "Web3" renvoie à l’idée que chacun puisse reprendre le contrôle sur ses contenus, ses données et ses identités numériques notamment par le recours de technologies de registres distribués ; par opposition au Web2 où des plateformes en position oligopolistique continuent à capter l'attention des utilisateurs. Néanmoins, les métavers ne reposent pas forcément sur des blockchains. Ainsi, certains métavers, comme The Sandbox ou Decentraland, fonctionneront avec des tokens, quand d’autres comme Roblox, Horizon n’y ont pas recours.

Enjeux juridiques multiples

Les enjeux juridiques seront différents en fonction des horizons de temps, et du type de métavers. À court terme, les métavers seront certainement au croisement des espaces de jeux vidéo immersifs et des réseaux sociaux. Mais à plus long terme, les métavers constituent avant tout une nouvelle ère esthétique, de nouveaux médias qui vous placent en immersion dans les contenus, et dont la rupture pourrait être aussi importante que celle amenée par l’émergence du cinéma. Rappelons d’ailleurs qu’à ses débuts, le cinéma était vivement critiqué, et rejeté, avant de connaître le succès qu'on lui connaît jusqu’à aujourd’hui, désormais prolongé par le streaming de contenus.

Avec les expériences immersives, la protection des identités et des actifs numériques devient centrale. Dans les prochaines années, les principaux sujets concerneront la sécurité des utilisateurs et des identités numériques. Il s’agira alors d’encadrer non seulement des contenus mais également des comportements, et ce, en temps réel.

Avec l’arrivée du DSA (Digital Services Act), une nouvelle forme de compliance va voir le jour: la Trust & Safety, à savoir l’ensemble des mesures techniques et organisationnelles que devront documenter les parties prenantes, en particulier les plateformes, pour montrer comment ils protègent leurs utilisateurs. Tout comme l’arrivée du RGPD a promu la conformité en matière de données personnelles, avec un fort développement des DPO (Data Protection Officer), les métavers inciteront les entreprises à se doter davantage de compétences internes pour gérer les contenus et comportements problématiques et litigieux.

"Avec les expériences immersives, la protection des identités et actifs numériques devient centrale"

Les modes d’identification et d’authentification pour accéder aux métavers soulèveront aussi des débats épineux. Aujourd’hui des plateformes comme Fortnite ou Roblox comptent plus de 250 millions d’utilisateurs chacune, avec une majorité de joueurs de moins de dix-huit ans. Ce qui pose des défis pour accéder à certains contenus (voir à ce sujet les récents contentieux opposant l’Arcom et les éditeurs de sites pornographiques), mais également les achats in-game [achats intégrés, Ndlr]. À ce sujet, pour les métavers reposant sur des blockchains notamment, l’un des défis réglementaires majeurs sera la création d’un cadre de régulation adéquat et adapté aux spécificités du Web3 (voir à ce titre les récents échanges entre l’ANJ [Autorité de régulation des jeux en ligne, Ndlr] et Sorare). Le régime des jeux d’argent et de hasard est, en l’état, strictement encadré par le Code de la sécurité intérieure, du fait des enjeux sous-jacents relatifs à la lutte contre le blanchiment, ou encore à la protection des utilisateurs face à certaines pratiques considérées comme addictives.

Questions en quête de réponses

Comment permettre d’avoir plusieurs identités en ligne ? Comment autoriser de rester un pseudonyme tout en étant redevable de ses actes? Comment empêcher des comportements déplacés de certains avatars? Quid de la responsabilité si ces avatars sont des personnes non jouées, autrement dit des personnages qui n’incarnent pas de joueurs à cet instant, répondant à des instructions purement algorithmiques? Ce qui est proscrit dans le monde "réel", doit-il l’être dans les métavers? Autant de questions sensibles et loin d’être simples. Certains thèmes connus (la vie privée, le droit de pratiques anticoncurrentielles, par exemple) continueront à se poser, et ce, de manière sans doute exacerbée. À titre d’illustration, les casques de réalité virtuelle sont de nature à collecter un volume encore plus important de données (full-body tracking) afin, par exemple, de restituer un avatar photoréaliste reproduisant les intentions des visages, de nos voix, et les scans de la totalité de l’environnement des utilisateurs. Des pays, comme le Chili, ont pris sur ces aspects une mesure d’avance en consacrant des "neuro-droits". Une approche plébiscitée par certains chercheurs qui considèrent comme fondamental l’encadrement d’une innovation responsable des métavers, contre la captation de données cognitives.

"Des pays, comme le Chili, ont pris sur ces aspects une mesure d’avance en consacrant des "neuro-droits" "

Enfin, les enjeux de propriété intellectuelle sont fascinants. À commencer par la potentielle violation de certains droits d’auteur par les développeurs de modélisation 3D d’œuvres protégées, ou encore la création de NFT sans autorisation de les lier avec les œuvres sous-jacentes (pour mémoire, bien qu’encore timide, on en a un début d’illustration avec le procès Hermès vs MetaBirkin), sans oublier des questions soulevées par les technologies d’intelligence artificielle génératives où une interrogation centrale relève d’éventuelles autorisations préalables nécessaires à obtenir selon le type de données d’apprentissage et qui ont alimenté ces algorithmes apprenant (là aussi, un début d’illustration avec le contentieux entre Getty Image contre Stable Diffusion).

Dès lors, entreprendre dans les meilleures conditions pour la France dans le métavers signifiera avant tout, entreprendre dans les meilleures conditions environnementales et sociétales : dans le respect à la fois des exigences climatiques, de santé publique, et d’acceptabilité sociale, ainsi que pour la protection des utilisateurs.

SUR L’AUTEUR

Avocat au barreau de Paris, Adrien Basdevant est spécialiste des enjeux de data, propriété intellectuelle, cybersécurité et blockchain. Il a fondé un cabinet de pointe, particulièrement reconnu dans l’écosystème et récemment primé par le Trophée d’Or au Sommet du Droit 2023. Diplômé de l’Essec, il accompagne grands groupes et start-up dans leurs projets innovants, aussi bien en contentieux qu’en compliance. Auteur de plusieurs ouvrages, dont L’Empire des données, essai sur la société, les algorithmes et la loi ou encore du média en ligne "Coup Data", il enseigne l’éthique des technologies et la régulation des données à l’Essec CentraleSupélec. Par ailleurs, membre du Conseil national du numérique (CNNum), il a été désigné par les ministres de l’Économie, de la Culture, et du Numérique pour réaliser une mission exploratoire sur les métavers, dont il nous livre ici certaines orientations.

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