Entité connexe à l'AP-HP, le Digital Medical Hub accompagne les porteurs de projets en santé. Son directeur stratégique, Lucas Thiery, revient sur les réflexes à adopter pour que chaque innovation contribue à l’intelligence collective.
L. Thiery (Digital Medical Hub) : "Au moindre faux pas, une innovation de santé peut retourner sur l’étagère et y rester"
Décideurs. En quelques mots, pouvez-vous nous présenter le Digital Medical Hub ?
Lucas Thiery. Le Digital Medical Hub est une société spin-off émise par l'AP-HP, qui se consacre à l’accompagnement d’innovations numériques dans le domaine de la santé. Son savoir-faire et ses compétences se concentrent sur le market access, l’évaluation et la validation scientifique de nouvelles technologies de santé numérique. Nous assistons aussi bien les équipes de soins dans le choix des meilleures options technologiques, que les porteurs de projets novateurs dans le déploiement stratégique de leurs solutions. Tant à l’échelle de notre pays qu’à l’international, il est nécessaire pour les professionnels comme pour les patients d’optimiser, de faciliter, d’améliorer l’accès aux innovations les plus prometteuses.
La digitalisation des hôpitaux n’est pas une fin en soi, mais un bénéfice à apporter aux patients, médecins ainsi qu’à leurs équipes. Nous œuvrons auprès d’une cinquantaine de sociétés, de la start-up à la firme multinationale en mettant à leur service des équipes pluridisciplinaires, de médecins, méthodologistes, juristes, et autres experts du market access et du secteur médico-économique.
De quel constat est née la structure ?
Force est de constater qu’en santé, les innovations foisonnent, alors que les entrepreneurs ne sont pas tous au courant des codes, enjeux, ni même, encore, de la valorisation scientifique qui favoriseraient l’adoption de leur solution. Pendant la crise sanitaire, 80 % des dispositifs médicaux à l’hôpital étaient d’origine étrangère. Ce n’est un optimum ni sanitairement ni d’un point de vue souverain.
"Pendant la crise sanitaire, 80 % des dispositifs médicaux à l’hôpital étaient d’origine étrangère"
Aujourd'hui, énormément de choses sont réalisées par le biais de la recherche fondamentale. Nos chercheurs trouvent sans cesse de nouvelles applications et dispositifs médicaux novateurs. De multiples brevets sont déposés, encore faut-il que leurs innovations passent le stade de la mise sur le marché et s’y intègrent de manière pertinente. Or nombreux sont les obstacles et les jalons que l’innovation doit franchir. Au moindre faux pas, elle peut retourner sur l’étagère et y rester. Demain, si nous souhaitons avoir un système de santé dynamique, il faut que les entreprises bénéficient de ce pilotage à 360°, notamment sur les plans éthique, économique, médical, réglementaire et scientifique.
Concrètement, comment s’effectue votre accompagnement ?
Nous accompagnons les porteurs de projets dans le choix de cas d’usage pertinents avec des professionnels de terrain, afin de les intégrer au mieux dans les missions de soins. Nous réfléchissons au positionnement d’une brique technologique au sein de l'hôpital et aussi et surtout à la problématique qu’elle peut régler. Ce que cela va apporter aux soignants, aux patients ainsi qu’aux autorités de régulation ou encore au payeur ?
Pour chaque innovation, nous élaborons une stratégie qui répond à ces interrogations. Puis, nous allons accompagner le projet d’exécution de développement clinique : de la rédaction du protocole de recherche clinique au recrutement des investigateurs, à la supervision de l’étude, ainsi que les publications, et ce, jusqu’aux phases post market. En somme, nous nous occupons d’une grande partie des étapes nécessaires à la mise sur le marché d’un produit de santé numérique, dans le strict respect des lois et de la déontologie.
Dans quelle mesure l’intelligence collective, et sa captation, peuvent-elles être mises au service de la santé de demain ?
En plus de la finesse technique et des prouesses technologiques, nous avons besoin d’une intelligence économique et stratégique de plus en plus affinée. Dans cet effort collectif, nous gagnons à adopter une logique de hub pluridisciplinaire. Charge à nous de créer des points de convergence scientifique, physique, où les initiatives sont nourries par les engagements des structures et des humains. C’est une des dimensions de MedInTechs, du Digital Medical Hub mais aussi d’une implication universitaire, hospitalière, industrielle et j’en passe. En témoigne la création d’un diplôme universitaire en lien avec Sorbonne Université, où nous donnons des clés de formation aux jeunes. Ce DU, dirigé par le professeur Isnard-Bagnis, aide à la compréhension des enjeux de la santé numérique de demain.
"Les fleurons de l’écosystème doivent prendre le temps de contribuer à cette intelligence collective"
Outre ce diplôme universitaire, nous disposons d’un deuxième levier : il s’agit de notre programme HIIT, pour "Health Innovation Intensive Training" , dont Clara Chappaz, directrice générale de la mission French Tech, est la marraine. Lors de cette semaine intense de formation, nous distinguons deux moments forts. D’une part, les start-up vont identifier les principaux domaines dans lesquels elles rencontreront des jalons et des défis. D’autre part, les structures sont sensibilisées aux écueils récurrents lors du déploiement d’une solution. Et surtout, qu’on soit dans le DU ou dans le programme HIIT, les conditions optimales pour le partage de questions et les retours d’expérience sont mises en place.
J’aime dire qu’il faut que les bonnes fées se penchent sur le berceau des jeunes pousses. Les fleurons de l’écosystème doivent prendre le temps de contribuer à cette intelligence collective. HIIT a été conçu dans ce même état d’esprit de transmission. Lorsqu’une structure entre dans la proposition de formation, elle s’engage à revenir l’année d’après pour parler à la prochaine promotion. Parrainer la génération suivante n’est pas encore devenu un réflexe pour tout le monde. Pourtant, c’est là précisément que cette intelligence collective se mue en compétitivité nationale.
Propos recueillis par Alexandra Bui