Face à la raréfaction des soignants, les directions des ressources humaines du secteur médico-social bottent en touche. Pourtant, des solutions se trouvent sous nos yeux. C’est ce qu’affirment cinq acteurs au cœur de cet enjeu, parmi lesquels Cécile Lambert, cheffe de service de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS).
Qualité de vie au travail des soignants, vers plus de valorisation
Introduite par Cécile Lambert, la nouvelle session du Cercle Santé, Pharma & Biotech abordait le sujet brûlant de la pénurie de soignants. Pour en débattre, Guy Sebbah (VP, groupe SOS Santé), Laurent Canaguier (DRH, groupe hospitalier Paris Saint-Joseph), Florian Taysse (directeur du département attractivité et pilotage RH, AP-HP) et Florent Malbranche (CEO, Brigad, plateforme de mise en relation entre indépendants et établissements médico-sociaux) ont répondu présents.
Veiller sur les talents de demain
Avant la mise en œuvre de plans d’action en faveur des soignants, peut-être faut-il reconsidérer les personnes qui aspirent au métier. Malgré le manque de personnels, "la santé demeure un des secteurs les plus demandés par les jeunes sur Parcoursup", rappelle Cécile Lambert. Une réalité vite rattrapée par les 20% d’étudiants en soins infirmiers qui quittent la formation avant la fin. "À 18 ans, ils sont peu à s’imaginer faire face à la dépendance, la mort, au lien avec les familles… des difficultés qui s’ajoutent à celles propres à tous les étudiants telles que la précarité et les problèmes de santé mentale". Pour la DGOS, il s’agit de promouvoir les professions médicales, renforcer les formations initiales et améliorer la qualité de vie au travail. Des ambitions portées au sein de son plan dédié aux ressources humaines.
"La santé demeure un des secteurs les plus demandés par les jeunes sur Parcoursup"
Stimuler pour mieux régner
Après les départs en province, la reconversion, le recours à l’exercice libéral et autres formes flexibles d’emploi, les conditions de travail difficiles liées à la volatilité du personnel complètent le tableau des causes de départ établies par le groupe hospitalier Paris Saint-Joseph. Pour "sédentariser les personnels", Laurent Canaguier allègue que l’attractivité passe notamment par une marque employeur forte et des projets de recherche et d’acquisition de compétences. "Puisque le progrès vient du terrain, nous avons lancé le Forum des organisations innovantes afin de rendre les soignants acteurs des améliorations au sein de leur structure", ajoute-t-il. En toile de fond, différentes initiatives émergent à l’image de l’aide au logement, la création de crèches et d’espaces de repos repensés, comme l’indique Guy Sebbah. Le VP du groupe SOS détaille ainsi avoir lancé "une refonte de ces salles par des collaborateurs en intégrant, entre autres, des transats pour plus de bien-être".
En nombre croissant, les professionnels libéraux incarnent des changements de modes de travail qui dépassent le secteur de la santé
L’amélioration de l’expérience de travail rime également avec des équipes au complet et des horaires plus confortables. Semaine de quatre jours, roulement des cycles de travail revu et exercice libéral… autant de pistes mal explorées. Et si le recours aux infirmières étrangères est, d’une part, réfléchi avec précaution et, d’autre part, mis de côté pour le manque qu’il pourrait représenter dans leur pays, Florent Malbranche insiste sur l’intérêt de faire cohabiter plusieurs formes de travail. En nombre croissant, les professionnels libéraux incarnent des changements de modes de travail qui dépassent le secteur de la santé en "remettant en cause la façon d’exercer ses compétences et sa conciliation avec la vie personnelle". Il indique également que "malgré le besoin de salariés fixes pour les établissements médico-sociaux, faire appel à des soignants libéraux constitue un indispensable lors d’absences liées aux congés ou aux arrêts maladie".
Ce modèle basé sur des missions ponctuelles en inspire plus d’un. À l’AP-HP, Florian Taysse évoque notamment le lancement d’une application expérimentée à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt. Répartis par pools, les soignants peuvent, à la carte, choisir leurs missions et donc leurs horaires.
Inculquer l’évolution de carrière
"Exercer un métier passion ne doit pas priver de toute nouvelle forme de travail et d’un salaire juste. Le problème de fond de ces professions repose sur le manque de montée en grade au fil des années", s’insurge Florent Malbranche. Lui, dont la mère et les tantes ont été aides-soignantes ou infirmières connait la sédentarité qui touche les postes du médico-social. Pour y répondre, Florian Taysse tient à rappeler l’ambitieux "plan de promotions professionnelles de l’AP-HP d’une enveloppe de plus de 70 millions d’euros par an au profit de l’évolution de 1800 soignants". Un engagement qui comprend aussi bien des évolutions horizontales que verticales. Le tout, en disposant d’une formation financée par l’employeur, en maintenant ses revenus.
"Le problème de fond de ces professions repose sur le manque de montée en grade au fil des années"
À l’hôpital Saint-Joseph, le système de passerelles entre métiers va au-delà des conventions collectives pour accompagner les soignants au plus près de leurs évolutions professionnelles. Au sein du groupe SOS, le partenariat avec le programme "Erasmus +" permet de financer des voyages pour faciliter les rencontres entre homologues européens. Parmi les prochains bénéficiaires, une unité de soins palliatifs a rendez-vous en Suisse afin de tirer profit des bonnes pratiques. Quant aux libéraux, qui passent par Brigad, ils affirment bénéficier, en un an, d’une montée en expertise équivalente à plusieurs années d’expérience grâce à la pluralité des missions.
Fin des vocations ?
Et si la rémunération cristallisait toutes les tensions ? Si certains n’y voient pas une pierre angulaire, Cécile Lambert appelle à la fin de ce système basé sur le don de soi. "Ce n’est pas parce que la profession constitue une vocation par son essence qu’il s’agit de ne jamais la revaloriser. Oui, le salaire compte". Mais la question reste entière, que vaut une infirmière ou une aide-soignante ? Dans ces professions très majoritairement féminines, il est important de rappeler que leur représentation altruiste n’aide pas.
Les échanges de la table ronde, disponibles en replay, font valoir l’importance de l’attractivité du métier de soignant. De la formation initiale jusqu’aux projets innovants, de la notion bien-être au travail aux évolutions de poste, l’objectif est de fidéliser au mieux. Pour qu’au fil des progrès, la revalorisation aille de pair avec les nouvelles formes d’organisation du travail.
Léa Pierre-Joseph