Les innovations de santé électronique et en particulier les digital therapeutics et les produits de santé numériques connaissent un essor fulgurant porté par l’IA, l’open data et la convergence des technologies.
Produits de santé numériques : la protection par le brevet, épreuve ou vérité ?
La propriété intellectuelle appréhende difficilement la protection de certains éléments clés tels que les procédés, les données d’entraînement de l’IA, des paramètres, ou encore des algorithmes pour ces produits particuliers qui de surcroît suivent des cycles de vie courts, "cibles mouvantes" pour la propriété intellectuelle.
Si le droit d’auteur mais aussi le droit sui generis des bases de données présentent l’avantage d’être obtenus sans dépôt dès lors que les conditions sont réunies, ces protections présentent cependant des limites importantes: dans le premier cas, la condition d’originalité est difficile à caractériser – le droit d’auteur ne protège pas par exemple les algorithmes, le format de fichiers de données ou les méthodes – ; dans le deuxième cas, la protection par le droit d’auteur des données elles-mêmes, qui sont au cœur de la valorisation des entreprises de e-santé, est tout sauf évidente.
Une décision récente de la CJUE a drastiquement réduit la portée du droit sui generis en ajoutant une nouvelle condition à la protection : les extractions et réutilisations du contenu d’une base de données ne sont interdites que si elles ont pour effet de priver le titulaire de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de l’investissement pour l’obtention, la vérification et la présentation du contenu de la base de données.
Les exclusions de la brevetabilité ne sont pas un obstacle insurmontable à la brevetabilité des innovations de e-santé
Le brevet reste la protection qui fait rêver les investisseurs et qui au fond apparaît comme la plus "noble" pour reconnaître la puissance des inventeurs ! Le premier dépôt des start-up de e-santé est souvent une demande de marque portant sur le nom de l’entreprise, du produit ou du service. Le dépôt d’un brevet doit également être envisagé : il rassure les investisseurs en conférant une valeur quantifiable à la technologie et représente un obstacle pour les concurrents, qui ne peuvent utiliser la même invention, même développée de manière indépendante. Contrairement à certaines idées reçues, les exclusions de la brevetabilité ne sont pas un obstacle insurmontable à la brevetabilité des innovations de e-santé, même si la protection d’inventions intégrant de l’IA revêt des particularités.
Les méthodes de diagnostic
Certaines innovations de santé connectée ont pour objectif de réaliser un diagnostic. En droit européen, les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal sont exclues de la brevetabilité. L’objectif est d’éviter qu’un praticien ne puisse pas diagnostiquer un patient à raison d’un droit de brevet. Les entreprises de e-santé ne doivent pas surestimer la portée de cette exclusion.
Tout d’abord, seules sont exclues de la brevetabilité les méthodes qui présentent toutes les caractéristiques suivantes: une phase d’investigation, une comparaison de ces données avec les valeurs normales, la constatation d’un écart significatif et une phase de décision déductive. "Seules seront exclues les méthodes dont le résultat permet directement de prendre une décision au sujet du traitement médical à effectuer." Surtout, seules les revendications de méthode tombent sous le coup de l’exclusion. L’exclusion ne s’applique pas aux substances et appareils pour la mise en œuvre de ces méthodes. Dès lors, sont potentiellement brevetables les revendications portant sur des dispositifs médicaux, des programmes d’ordinateur ou des supports d’enregistrement.
Les programmes d’ordinateur et méthodes mathématiques
En droit européen, les programmes d’ordinateurs, méthodes mathématiques, plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles en tant que tels sont exclus de la brevetabilité. Pour l’Inpi comme pour l’OEB, l’intelligence artificielle est une méthode mathématique mise en œuvre par ordinateur, dans la mesure où elle se fonde sur des modèles de calculs et des algorithmes "utilisés à des fins de classification, de partitionnement, de régression et de réduction de la dimensionnalité". Toutefois, ces exclusions ne constituent pas des obstacles insurmontables à la brevetabilité des innovations de e-santé, même si celles-ci intègrent de l’IA.
Un programme d’ordinateur est protégeable dès lors qu’il produit un effet technique supplémentaire au-delà des interactions physiques normales entre le programme et l’ordinateur
En effet, les programmes d’ordinateur et méthodes mathématiques ne sont exclus de la brevetabilité que pour autant qu’ils soient revendiqués "en tant que tels". Au contraire, un programme d’ordinateur est protégeable dès lors qu’il produit un effet technique supplémentaire au-delà des interactions physiques normales entre le programme et l’ordinateur. Un logiciel contrôlant une machine de dialyse ou traitant des données physiologiques issues de capteurs peut, par exemple, être breveté. Surtout, il faut distinguer les "programmes d’ordinateur" des "méthodes mises en œuvre par ordinateur" qui font intervenir des moyens techniques (l’ordinateur) et présentent donc un effet technique.
Par exemple n’est pas brevetable un logiciel qui envoie automatiquement le diagnostic au médecin. À l’inverse, l’utilisation d’un réseau neuronal dans un appareil de surveillance cardiaque pour détecter des battements irréguliers serait brevetable.
Les spécificités des brevets portant sur des inventions intégrant de l’IA
Il est aujourd’hui établi qu’un système d’IA ne peut pas être désigné comme inventeur en Europe. Le 21 décembre 2021, la chambre de recours de l’OEB a confirmé les décisions relatives au rejet des demandes dont l’inventeur désigné était le système d’IA "Dabus". Si l’USPTO a statué dans le même sens, des décisions contraires existent, notamment en Australie et en Afrique du Sud. Pour breveter une invention intégrant de l’IA, il convient de décrire les données entrantes, les données sortantes, le type d’IA (réseau de neurones, algorithme génétique, machine à vecteurs de support, etc.), l’architecture interne et son éventuel apprentissage.
L’algorithme non entraîné pourrait ainsi de voir être divulgué, au même titre que les données d’entraînement qu’il devra utiliser. Pour exemple, a été rejetée une demande de brevet portant sur une méthode d’évaluation du débit cardiaque à partir de la pression artérielle fondée sur un réseau de neurones artificiels dont les coefficients de pondération sont déterminés par apprentissage car les données d’apprentissage n’étaient pas suffisamment décrites. Au stade de l’appréciation de l’activité inventive, l’OEB ne prend en compte que les caractéristiques qui contribuent au caractère technique de l’invention. Ainsi, une méthode d’IA présente une finalité technique lorsque l’étape algorithmique participe à la solution d’un problème technique concret. L’OEB considérera ainsi que la méthode d’IA est adaptée aux fins d’une mise en œuvre technique spécifique lorsqu’elle est spécifiquement adaptée au fonctionnement interne de l’ordinateur. Par exemple, un moniteur cardiaque contrôlé par un réseau de neurones spécialement adapté pour limiter les cas de fausses alertes a été considéré brevetable.
En conclusion, une approche de cartographie des assets digitaux composants d’un produit de santé numérique est indispensable pour prendre toutes les mesures de protection juridique le cas échéant attributives de droits ou de protection, et l’encadrement contractuel des relations impliquées éditeur/fabricant de produits de santé numérique, établissements de santé, organismes de recherche, consultants, sociétés tierces, etc.
SUR LES AUTEURS
Nathalie Beslay est associée fondatrice du cabinet Beslay + Avocats. Elle déploie une pratique de conseil et de contentieux leader en e-santé en animant une équipe dédiée à l’innovation de produits, de services, et de technologies de santé pour les entreprises du marché.
Benjamin May est associé fondateur du cabinet Aramis. Il dirige la pratique IP & digital et se spécialise notamment dans les questions liées au droit des brevets et à la propriété intellectuelle. Il conseille les entreprises du secteur de la santé dans leurs projets innovants et les litiges.