« L’expérience de la pratique judiciaire nourrit celle du conseil »
Entretien avec Alain Abergel et Jean-Noël Munoz
Décideurs. Comment en êtes-vous arrivés à l’activité de litigation support ?
Alain Abergel. C’est le fruit d’opportunités et de coïncidences. Jean-Noël Munoz et moi-même avons suivi une formation juridique, nous avons donc une certaine sensibilité dans ce domaine. C’est d’ailleurs le cas depuis la création du cabinet, en 1981. Nous avons démarré notre activité comme experts comptables et commissaires aux comptes sur des missions classiques. La première rencontre avec le monde judiciaire s’est faite en tant que conseil de partie, lorsqu’un client nous a sollicités pour l’accompagner sur une expertise dans un contentieux. Des compétences très différentes sont alors mises à contribution : la technique comptable mais aussi la matière juridique, qu’il est essentiel de comprendre. La comptabilité est une traduction en chiffres de données juridiques.
Décideurs. Quelle influence le contentieux a-t-il sur votre méthode de travail ?
A. A. Les expertises requièrent une grande part de psychologie, chaque partie étant convaincue d’avoir raison. Les intervenants sont d’ailleurs de bonne foi la plupart du temps, mais la bonne foi n’est pas un gage de compétence… Le rapport de l’expert doit donc être compris avant d’être communiqué. Plutôt que de travailler seul en cabinet pour livrer un produit fini, l’expert doit partager ses travaux et ses réflexions avec les parties. Cela demande un peu de psychologie et beaucoup de pédagogie.
Jean-Noël Munoz. Ces méthodes de travail s’appliquent également lorsque nous intervenons en qualité d’expert de partie. L’expérience de la pratique judiciaire nourrit celle du conseil et inversement. La culture d’entreprise et du conseil a développé chez nous un goût certain pour la négociation. Même si ce n’est pas notre mission première, nous maintenons cet état d’esprit dans nos travaux. C’est le meilleur moyen pour assurer un équilibre général entre les parties et c’est un levier efficace en qualité de conseil pour défendre les intérêts de nos clients.
Décideurs. Peut-on être à la fois expert judiciaire et expert de partie ?
A. A. Nous mettons notre expérience d’experts judiciaires au service des expertises de parties, que nous développons de plus en plus. Notre action de longue date auprès des tribunaux est un atout certain pour nos clients d’aujourd’hui. En étudiant leur réclamation, nous servons de filtre. Si nous ne comprenons pas le sens d’une réclamation, le juge ne le comprendra pas non plus. Nous ne soutiendrons pas une demande qui ne nous paraît pas claire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque nous intervenons en qualité d’expert désigné par le tribunal, nous encourageons les parties d’un contentieux à recourir aux services de leur propre expert.
Même dans les sociétés du CAC40, qui sont pourtant bien structurées, chacun reste dans son métier. Les directions financières ou juridiques ne sont pas des professionnels de l’évaluation de préjudice. Nous avons cette double technicité, l’expertise financière et la connaissance des règles de procédure. Lorsque nous considérons qu’une demande n’est pas adaptée au contexte et aux enjeux du contentieux, nous la calibrons à la hausse ou à la baisse. Cela permet souvent d’obtenir un résultat supérieur à ce qu’escomptait la partie que nous défendons.
J.-N. M. Avec l’expérience, nous maîtrisons également les limites de l’exercice. Nous savons ce que l’expert judiciaire acceptera ou n’acceptera pas et ce qu’une décision judiciaire est à même d’entériner ou pas. La confiance acquise de longue date auprès des juridictions en qualité d’experts ne saurait être écornée par une pratique du conseil en matière de contentieux qui pourrait être critiquable. Le témoignage de la confiance acquise auprès des juges sur la durée est la recommandation de notre nom auprès de leurs successeurs lorsqu’ils quittent leur poste.
Décideurs. Quelle est la méthode la plus adaptée pour fonder une réclamation ?
A. A. Nous considérons qu’une bonne réclamation est une réclamation argumentée et optimisée de façon raisonnable, c'est-à-dire suffisamment importante tout en restant cohérente. Il s’agit de procéder à une évaluation juste et équilibrée qui repose sur le quantum, le chiffrage de la demande, mais qui doit surtout comprendre un inventaire exhaustif de l’ensemble des chefs de préjudice. Cet inventaire représente le cœur de la réclamation et exige une véritable connaissance de l’entreprise pour pouvoir être menée à bien. En analysant l’ensemble des hypothèses et en explorant toutes les pistes envisageables, il permet de mettre en lumière des pans entiers de la réclamation qui sont trop souvent négligés, voire oubliés.
Décideurs. Confirmez-vous votre axe de développement dans les litiges bancaires et financiers ?
A. A. Nous développons une approche industrielle du contentieux, qui nous permet d’accompagner des grands groupes mais aussi des PME, quel que soit le secteur. Cela étant dit, nous avons nos domaines de prédilection. Les domaines de la banque et de la finance évoluent et se développent à grande vitesse. Ils génèrent des contentieux pour lesquels nous sommes très souvent sollicités. Nous assistons beaucoup les fonds dans leurs litiges, notamment en cas d’échec de LBO comme cela se vérifie depuis trois ou quatre ans. Nous accompagnons aussi les banques, dans leurs contentieux en concurrence déloyale par exemple. Nous sommes aidés pour cela par l’un de nos experts, Romain Lobstein, arrivé en 2012 et qui est spécialiste des marchés financiers et des produits dérivés.
J.-N. M. Nous intervenons également dans les litiges d’actionnaires, pour des sociétés du CAC40 comme pour des PME, qu’elles soient cédantes ou cessionnaires. Nous accompagnons régulièrement des entreprises de construction dans leurs contentieux liés à des problèmes de retard de livraisons ou de malfaçons, comme nous pouvons intervenir aux cotés des victimes de préjudices financiers liés à ces mêmes retards ou malfaçons. L’évaluation des préjudices peut être très importante dans l’industrie, en cas d’accidents ou de sinistres (incendies, inondations, synonymes de ralentissement de l’activité). En matière d’évaluation de préjudice, l’hôtellerie et la restauration est un secteur d’activité que nous connaissons particulièrement bien, pour des raisons historiques.
Décideurs. Diriez-vous qu’il y a des secteurs plus propices au contentieux que d’autres ?
A. A. Absolument, les sciences modernes sont par exemple un secteur très mouvementé, fait de batailles et de concurrence, dans lequel on se marie et on divorce très vite. Les problématiques sont similaires dans la grande distribution, où la concurrence est d’autant plus forte que la consommation régresse. Il y a également beaucoup de contentieux dans les grands réseaux de distribution, car il est très aisé pour un franchisé de quitter son réseau.
Décideurs. Tous les conseils ont un fait d’armes. Quel est le vôtre ?
A. A. Nous sommes intervenus récemment dans un conflit opposant deux sociétés du CAC40, sur des questions relatives au sort réservé à une participation dans une entreprise commerciale très convoitée. Le litige portait sur plusieurs milliards d’euros. Pour appuyer sa demande, l’une des deux sociétés a fait appel à nos services, et nous avons émis un rapport sur l’appréciation du dommage. Ce rapport a contribué, entre autres, à résoudre ce contentieux, ce dont nous sommes assez fiers.
J.-N. M. Nous avons également participé à d’importantes opérations de restructuration bancaire, dans le cadre de désignations judiciaires, parmi les grandes banques françaises. Nous intervenons également régulièrement dans les procédures collectives, dans le cadre de redressements ou de liquidations. En recherche de responsabilité comme en chiffrage de préjudice, les enjeux peuvent se compter en centaines de millions d’euros.
Décideurs. Comment voyez-vous la suite pour votre cabinet, ou pour l’expertise ?
A. A. Je dirais qu’il y a un potentiel de développement considérable dans le domaine de la prévention. Les mandataires ad hoc sont demandeurs d’assistance, de même que les parties prenantes à une conciliation font de plus en plus appel à des experts. De façon générale, les systèmes d’alerte se développent et nos clients sont en demande d’expertise très en amont des contentieux, afin de les désamorcer de façon rapide et efficace.
Alain Abergel. C’est le fruit d’opportunités et de coïncidences. Jean-Noël Munoz et moi-même avons suivi une formation juridique, nous avons donc une certaine sensibilité dans ce domaine. C’est d’ailleurs le cas depuis la création du cabinet, en 1981. Nous avons démarré notre activité comme experts comptables et commissaires aux comptes sur des missions classiques. La première rencontre avec le monde judiciaire s’est faite en tant que conseil de partie, lorsqu’un client nous a sollicités pour l’accompagner sur une expertise dans un contentieux. Des compétences très différentes sont alors mises à contribution : la technique comptable mais aussi la matière juridique, qu’il est essentiel de comprendre. La comptabilité est une traduction en chiffres de données juridiques.
Décideurs. Quelle influence le contentieux a-t-il sur votre méthode de travail ?
A. A. Les expertises requièrent une grande part de psychologie, chaque partie étant convaincue d’avoir raison. Les intervenants sont d’ailleurs de bonne foi la plupart du temps, mais la bonne foi n’est pas un gage de compétence… Le rapport de l’expert doit donc être compris avant d’être communiqué. Plutôt que de travailler seul en cabinet pour livrer un produit fini, l’expert doit partager ses travaux et ses réflexions avec les parties. Cela demande un peu de psychologie et beaucoup de pédagogie.
Jean-Noël Munoz. Ces méthodes de travail s’appliquent également lorsque nous intervenons en qualité d’expert de partie. L’expérience de la pratique judiciaire nourrit celle du conseil et inversement. La culture d’entreprise et du conseil a développé chez nous un goût certain pour la négociation. Même si ce n’est pas notre mission première, nous maintenons cet état d’esprit dans nos travaux. C’est le meilleur moyen pour assurer un équilibre général entre les parties et c’est un levier efficace en qualité de conseil pour défendre les intérêts de nos clients.
Décideurs. Peut-on être à la fois expert judiciaire et expert de partie ?
A. A. Nous mettons notre expérience d’experts judiciaires au service des expertises de parties, que nous développons de plus en plus. Notre action de longue date auprès des tribunaux est un atout certain pour nos clients d’aujourd’hui. En étudiant leur réclamation, nous servons de filtre. Si nous ne comprenons pas le sens d’une réclamation, le juge ne le comprendra pas non plus. Nous ne soutiendrons pas une demande qui ne nous paraît pas claire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque nous intervenons en qualité d’expert désigné par le tribunal, nous encourageons les parties d’un contentieux à recourir aux services de leur propre expert.
Même dans les sociétés du CAC40, qui sont pourtant bien structurées, chacun reste dans son métier. Les directions financières ou juridiques ne sont pas des professionnels de l’évaluation de préjudice. Nous avons cette double technicité, l’expertise financière et la connaissance des règles de procédure. Lorsque nous considérons qu’une demande n’est pas adaptée au contexte et aux enjeux du contentieux, nous la calibrons à la hausse ou à la baisse. Cela permet souvent d’obtenir un résultat supérieur à ce qu’escomptait la partie que nous défendons.
J.-N. M. Avec l’expérience, nous maîtrisons également les limites de l’exercice. Nous savons ce que l’expert judiciaire acceptera ou n’acceptera pas et ce qu’une décision judiciaire est à même d’entériner ou pas. La confiance acquise de longue date auprès des juridictions en qualité d’experts ne saurait être écornée par une pratique du conseil en matière de contentieux qui pourrait être critiquable. Le témoignage de la confiance acquise auprès des juges sur la durée est la recommandation de notre nom auprès de leurs successeurs lorsqu’ils quittent leur poste.
Décideurs. Quelle est la méthode la plus adaptée pour fonder une réclamation ?
A. A. Nous considérons qu’une bonne réclamation est une réclamation argumentée et optimisée de façon raisonnable, c'est-à-dire suffisamment importante tout en restant cohérente. Il s’agit de procéder à une évaluation juste et équilibrée qui repose sur le quantum, le chiffrage de la demande, mais qui doit surtout comprendre un inventaire exhaustif de l’ensemble des chefs de préjudice. Cet inventaire représente le cœur de la réclamation et exige une véritable connaissance de l’entreprise pour pouvoir être menée à bien. En analysant l’ensemble des hypothèses et en explorant toutes les pistes envisageables, il permet de mettre en lumière des pans entiers de la réclamation qui sont trop souvent négligés, voire oubliés.
Décideurs. Confirmez-vous votre axe de développement dans les litiges bancaires et financiers ?
A. A. Nous développons une approche industrielle du contentieux, qui nous permet d’accompagner des grands groupes mais aussi des PME, quel que soit le secteur. Cela étant dit, nous avons nos domaines de prédilection. Les domaines de la banque et de la finance évoluent et se développent à grande vitesse. Ils génèrent des contentieux pour lesquels nous sommes très souvent sollicités. Nous assistons beaucoup les fonds dans leurs litiges, notamment en cas d’échec de LBO comme cela se vérifie depuis trois ou quatre ans. Nous accompagnons aussi les banques, dans leurs contentieux en concurrence déloyale par exemple. Nous sommes aidés pour cela par l’un de nos experts, Romain Lobstein, arrivé en 2012 et qui est spécialiste des marchés financiers et des produits dérivés.
J.-N. M. Nous intervenons également dans les litiges d’actionnaires, pour des sociétés du CAC40 comme pour des PME, qu’elles soient cédantes ou cessionnaires. Nous accompagnons régulièrement des entreprises de construction dans leurs contentieux liés à des problèmes de retard de livraisons ou de malfaçons, comme nous pouvons intervenir aux cotés des victimes de préjudices financiers liés à ces mêmes retards ou malfaçons. L’évaluation des préjudices peut être très importante dans l’industrie, en cas d’accidents ou de sinistres (incendies, inondations, synonymes de ralentissement de l’activité). En matière d’évaluation de préjudice, l’hôtellerie et la restauration est un secteur d’activité que nous connaissons particulièrement bien, pour des raisons historiques.
Décideurs. Diriez-vous qu’il y a des secteurs plus propices au contentieux que d’autres ?
A. A. Absolument, les sciences modernes sont par exemple un secteur très mouvementé, fait de batailles et de concurrence, dans lequel on se marie et on divorce très vite. Les problématiques sont similaires dans la grande distribution, où la concurrence est d’autant plus forte que la consommation régresse. Il y a également beaucoup de contentieux dans les grands réseaux de distribution, car il est très aisé pour un franchisé de quitter son réseau.
Décideurs. Tous les conseils ont un fait d’armes. Quel est le vôtre ?
A. A. Nous sommes intervenus récemment dans un conflit opposant deux sociétés du CAC40, sur des questions relatives au sort réservé à une participation dans une entreprise commerciale très convoitée. Le litige portait sur plusieurs milliards d’euros. Pour appuyer sa demande, l’une des deux sociétés a fait appel à nos services, et nous avons émis un rapport sur l’appréciation du dommage. Ce rapport a contribué, entre autres, à résoudre ce contentieux, ce dont nous sommes assez fiers.
J.-N. M. Nous avons également participé à d’importantes opérations de restructuration bancaire, dans le cadre de désignations judiciaires, parmi les grandes banques françaises. Nous intervenons également régulièrement dans les procédures collectives, dans le cadre de redressements ou de liquidations. En recherche de responsabilité comme en chiffrage de préjudice, les enjeux peuvent se compter en centaines de millions d’euros.
Décideurs. Comment voyez-vous la suite pour votre cabinet, ou pour l’expertise ?
A. A. Je dirais qu’il y a un potentiel de développement considérable dans le domaine de la prévention. Les mandataires ad hoc sont demandeurs d’assistance, de même que les parties prenantes à une conciliation font de plus en plus appel à des experts. De façon générale, les systèmes d’alerte se développent et nos clients sont en demande d’expertise très en amont des contentieux, afin de les désamorcer de façon rapide et efficace.