« 2013 ne sera pas l’année du sauvetage des banques ou des États, mais de l’économie réelle »
Entretien avec Jean-François Bay, directeur général France, Morningstar

Décideurs. Quel bilan dressez-vous de l’année 2012 ?

Jean-François Bay. 2012 a été une année en deux temps. La première moitié a été dominée par les scénarios catastrophistes, avant que la tendance ne s’inverse totalement à partir du mois de juillet et de la nouvelle orientation de politique monétaire insufflée par Mario Draghi. Depuis, l’appétit pour le risque va crescendo. De façon générale, la collecte a été positive en Europe : les encours totaux s’élèvent aujourd’hui à environ 5 700 milliards d’euros contre 5 000 milliards fin 2011, ce qui représente 15 % d’augmentation. Et si 10 % sont imputables à l’effet marché, l’industrie de la gestion d’actifs a enregistré une collecte nette de 200 milliards d’euros. Autre fait marquant : ce fut une année placée sous le signe de l’obligataire, avec en première ligne les compartiments investment grade, high yield, convertibles et dettes émergentes.

Décideurs. Quelles sont vos prévisions pour l’année qui s’ouvre ?

J.-F. B. Le mouvement de retour de balancier que nous avons commencé à déceler en fin d’année devrait se poursuivre. Le dernier trimestre 2012 a vu une collecte positive sur les actions. Ce mouvement continue à l’heure actuelle. La détente au niveau du risque systémique favorise les classes d’actifs risquées au détriment des valeurs considérées comme refuges, telles que l’obligataire souverain ou l’or. Nous constatons que la gestion diversifiée continue d’avoir le vent en poupe. Globalement, le fait que toutes les grandes banques centrales œuvrent dans le même sens en pilotant à la baisse les taux courts comme les taux longs est une première dans l’histoire. Cela tend à figer les marchés obligataires : les entreprises, les banques et les ménages tiennent une occasion de se resolvabiliser, et les investisseurs sont de leur côté incités à faire du portage. Mais si les principaux obstacles politiques ont été franchis, l’horizon économique est loin d’être dégagé de ce côté-ci de l’Atlantique : 2012 a été l’année du sauvetage des banques et des États, 2013 devra être l’année de l’économie réelle. L’Europe est dans la position d’un coureur de fond : les sucres rapides ne suffisent pas, il faut y ajouter des sucres lents !

Décideurs. Peut-on parler de rotation des obligations vers les actions ?

J.-F. B. En partie, mais il s’agit essentiellement pour le moment d’un effet technique des mesures prises par la BCE. Il faut distinguer trois dimensions dans l’univers des actions : les grandes entreprises, qui profitent de la croissance mondiale, dont les cours sont au plus haut et plutôt corrélés aux indices américains que français. L’action l’Oréal, pour n’en citer qu’une, s’est appréciée de 100 % depuis 2009. En second rang se trouvent les valeurs domestiques : banques, financières, grande consommation, utilities, etc. À ce jour, ce compartiment perd encore environ 60 % de sa valeur depuis le point haut de 2007, voire 85 % pour des valeurs comme Veolia ou EDF. Un véritable massacre. Enfin, on trouve les small & mid-cap, les entreprises qui occupent des niches très spécifiques et sont donc relativement décorrélées des indices boursiers européens. Pour l’instant, les investisseurs institutionnels et les actionnaires individuels se concentrent surtout sur les belles valeurs qui génèrent un dividende régulier. Ils ne reviendront massivement sur les deux derniers compartiments que lorsque les taux de chômage baisseront et que l’investissement productif repartira à la hausse. Pourtant, il pourrait être intéressant de jouer cette tendance avant qu’elle ne devienne un thème d’investissement à la mode : une entreprise comme EDF est actuellement valorisée l’équivalent de six fois son bénéfice. Le titre est clairement sous-valorisé. On peut s’attendre à voir le même mouvement de balancier qu’aux États-Unis en 2012 : les banques américaines, notamment, ont affiché d’excellents résultats.

Décideurs. Qu’en est-il du monde de l’assurance ?

J.-F. B. En France, les assureurs détenaient historiquement entre 20 % et 25 % de leur portefeuille investi en actions. Aujourd’hui, la proportion est tombée autour de 5 %. Tout le monde en convient : il faudra renverser cette tendance. Pour qu’ils reviennent sur les marchés actions, il faudra jouer simultanément sur les leviers réglementaires, en assouplissant les critères de Solvency II, et fiscaux, afin de générer une incitation à investir dans les entreprises.

Décideurs. Quelles sont vos recommandations concernant les actions émergentes ?

J.-F. B. C’est une classe intéressante : la Chine et le Brésil relancent leur économie, et l’Inde se porte mieux. Le creux de la vague est derrière nous. Mais les risques ne doivent pas être sous-estimés : la concurrence qui s’esquisse entre la Chine et le Japon pourrait handicaper les petits pays de la région. Mieux vaut jouer le global emerging market, et laisser aux gérants expérimentés le soin de diversifier l’exposition.


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