« Je pensais que Bercy avait des chiffres à peu près précis du patrimoine non actif sur le territoire national et du nombre de personnes concernées par l’exil. »
Décideurs. Le 26 juillet dernier, la commission d'enquête parlementaire que vous présidiez, relative à « l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales », a rendu son rapport. Pourtant une commission d'enquête sur l'exil fiscal, présidée par le député PS Yann Galut, aura lieu cette année. Pourquoi deux commissions d’enquête sur un même thème ?

Philippe Dominati. Les deux commissions ne sont pas de même nature. Une enquête parlementaire a des pouvoirs d’investigation, alors qu’une mission d’information, comme celle diligentée cette année, est beaucoup plus souple et consensuelle.
La commission d’enquête au Sénat que j’ai présidée a été demandée par le groupe communiste, comme son rapporteur. Elle a été commanditée dès que le Sénat est passé à gauche en septembre dernier, dans un premier temps pour critiquer la politique du gouvernement sortant. Néanmoins, au fur et à mesure des auditions, elle est sortie de son carcan polémique pour devenir technique, crédible, unanime et forte.
Aujourd’hui, on ne peut pas lancer une commission d’enquête car le Sénat en a missionné une. Et l’on ne peut redemander un rapport car le précédent a été voté à l’unanimité. On s’est de surcroît rapidement rendu compte que le sujet était trop vaste pour être traité en seulement six mois : fraude et évasion, fraude et optimisation, fraude et manque de compétitivité fiscale d’une part et d’autre part entreprises et personnes privées. Dans l’esprit des sénateurs, la suite devait attendre un peu et aurait pris la forme d’une mission d’information, probablement en ne reprenant qu’un seul volet de cette commission d’enquête et en s’appuyant sur nos travaux. Le PS a dû vouloir reprendre un peu la main sur ces sujets.


Décideurs. Que doit-on principalement retenir des cinq mois de recherches et d’auditions de cent trente personnalités ?

P. D.
Le rapport souligne plusieurs dysfonctionnements graves. La France est l’un des pays où la fiscalité est la plus forte parmi les voisins européens et les pays développés. Les entreprises françaises ont des difficultés en matière de compétitivité fiscale. L’État s’est donné les moyens de lutter contre la fraude fiscale et a même joué un rôle moteur sur la scène internationale.
Ce qui m’a principalement frappé, c’est l’absence de données sur la réalité des décideurs quittant la France à cause de la pression fiscale. Je pensais que Bercy le savait et qu’on avait des chiffres à peu près précis du patrimoine non actif sur le territoire national et du nombre de personnes concernées par le phénomène.
Comment se fait-il que nous ne soyons pas au courant des chiffres exacts ? On nous dit que ce sont à peu près les mêmes depuis trente ans et qu’il n’y a pas d’hémorragie particulière des grandes fortunes. Aucun parlementaire n’a pu vérifier cela. Ou avec beaucoup de réserve et d’étonnement, notamment en constatant à quel point Bercy, citadelle qui emploie pourtant calculettes et comptables, maintient le flou. Personne ne détient d’instrument fiable de mesure. On a demandé que pour le futur soit mis en place un outil de mesure précis de l’exil fiscal.
Les autres mesures ne sont pas techniques et sont davantage d’orientation politique.


Décideurs. Êtes-vous satisfait de l’amendement du 7 décembre dernier relatif à l’évolution des mouvements frontaliers de contribuables français qui verra le nombre de résidents fiscaux dorénavant rapporté par le gouvernement au Parlement dans un rapport présenté tous les ans ?

P. D.
Je ne crois pas à cela et ne pense pas que Bercy a besoin d’un rapport sur les mouvements. Ce qu’il faut, c’est la vérité des chiffres. Lorsqu’un contribuable français décide de quitter l’Hexagone, il régularise sa situation fiscale auprès de Bercy qui le connaît parfaitement, sauf si c’est un fraudeur.
Bercy ne veut pas calculer et donner de chiffres dans le cas d’un citoyen qui quitte le territoire national et paie des constats sur son patrimoine (plus-values, etc.) avant de délocaliser sa fortune. Avec quel patrimoine sort-il ? Combien d’emplois cela sous tend-il ?

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