Par Yves Mahot de la Quérantonnais et Pierre-Alain Guilbert, notaires. 14 Pyramides Notaires
Traduction française du trust, la fiducie a dès l’origine été privée de toute possibilité de véhiculer une intention libérale. Cette cause de nullité absolue a conduit la plupart des professionnels de la gestion de patrimoine à ne pas s’y intéresser avec conviction. Ce contrat présente pourtant de nombreux attraits en la matière que le développement annoncé des fiduciaires devrait révéler.

De retour dans notre droit depuis 2007, après quelques siècles d’absence, la fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires. Inspirée du trust anglo-saxon, et d’abord exclusivement envisagée comme une sûreté, la fiducie présente de nombreuses utilités en matière de gestion et de transmission de patrimoine.

Un outil de gestion du patrimoine
Alternative au mandat de protection future, la fiducie peut permettre à une personne soucieuse de son éventuelle future vulnérabilité de confier la gestion d’éléments de son patrimoine à un ou plusieurs fiduciaires, spécialistes de la gestion de chaque type d’actif. La mission de chaque fiduciaire pourra être plus étendue que celle d’un mandataire de protection future et sera définie précisément par le constituant selon ses attentes et besoins. Chacun, du banquier, de l’assureur et de l’avocat, pourra ainsi proposer un service de fiducie dans ses domaines de compétence reconnus, alors que le mandataire de protection future ne peut être qu’une personne physique ou un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
La fiducie est également une alternative au mandat à effet posthume dont les limites sont connues (notamment sa durée et la nécessité de justifier de son intérêt sérieux et légitime). Elle permet aux parents d’enfants destinés à hériter ou recevoir des biens dont la gestion pourrait être délicate de trouver une réponse adaptée. Le pouvoir d’appréciation donné au fiduciaire par les parents pourra préserver les enfants contre tout risque d’incapacité, de mauvaise gestion ou de dilapidation jusqu’à l’issue du contrat de fiducie (au maximum 99 ans).

Un outil de transmission
La donation ou le legs du contrat de fiducie
L’article 2013 du Code civil dispose que le contrat de fiducie est nul s’il procède d’une intention libérale au profit du bénéficiaire. Toutefois, s’il ne peut être le véhicule d’une libéralité, il peut en être l’objet. Rien ne s’y oppose dans la loi, même si elle ne le prévoit pas expressément. Une donation du contrat de fiducie a notamment pour intérêt de :
- permettre au constituant, futur donateur, d’organiser la fiducie selon ses propres volontés ;
- permettre à la fiducie de ne pas être révoquée au décès du constituant originaire, celle-ci pouvant être prévue pour une durée fixe et être irrévocable ;
- ne pas porter atteinte à la réserve éventuelle des héritiers car le patrimoine du futur défunt est transmis dans son état, déjà «?grevé?» de la fiducie ;
- ne pas être fiscalement critiquable en elle-même car soumise aux droits de mutations comme les biens mis en fiducie l’auraient été s’ils avaient été directement donnés.
En revanche, un doute est permis concernant la transmission par décès de la fiducie. L’article 2028 précise en effet qu’elle est révoquée de plein droit par le décès du constituant. Il est donc délicat, en l’absence de jurisprudence, de conseiller à nos clients de léguer un contrat en cours même si de nombreux auteurs considèrent que l‘article?2028 n’est pas d’ordre public et que l’on peut y déroger contractuellement. Il existe heureusement d’autres solutions plus sûres.

La donation ou le legs à charge de constituer une fiducie
Dans une même optique de transmission, si le donateur ne veut pas constituer lui-même le contrat de fiducie, ou si l’on considère qu’il ne peut pas le transmettre à cause de mort, rien ne lui interdit de donner ou léguer un bien à charge pour le bénéficiaire de le transférer à un fiduciaire. Les principales caractéristiques du contrat à souscrire par le gratifié seront alors détaillées dans l’acte de donation ou le testament (objectifs, durée, etc.).
Si cette charge imposée au donataire ou au légataire a été stipulée dans son intérêt, il lui sera très difficile d’en demander la révision en justice. Il faudrait pour cela qu’il parvienne à démontrer que la charge (donc la fiducie) lui est sérieusement dommageable ou d’une exécution extrêmement difficile (article?900-2 du Code civil). Cela paraît compliqué si la fiducie a précisément pour finalité de lui assurer la perception de revenus et la conservation du patrimoine transmis.
La question est moins évidente si la mise en fiducie s’applique à des biens constituant la réserve héréditaire du gratifié, celle-ci devant être «?libre de charges?» en vertu de l’article 912 du Code civil. Dans ce cas, la donation entre vifs devrait être accompagnée d’une renonciation anticipée à l’action en réduction pour en assurer la bonne exécution après le décès du donateur. Le legs devrait quant à lui être limité à la quotité disponible.
Enfin, une autre manière de pallier l’éventuelle impossibilité de transmettre un contrat de fiducie par décès ou celle de grever la réserve d’une charge consiste en l’interposition d’une société. Dans cette hypothèse, le donateur (ou futur défunt) apporte ses biens à une société qui souscrit ensuite elle-même un contrat de fiducie irrévocable pour une durée déterminée qui ne dépendra pas de la vie de ses associés.
Bien que plus complexe à mettre en place que les autres outils existants, la fiducie doit désormais être systématiquement envisagée dans les situations évoquées ci-dessus. Dans bien des cas, elle offrira des solutions préférables à celles que nous maîtrisons depuis longtemps. Le conseiller en gestion de patrimoine se doit de les connaître.

Le rôle du notaire
Conseil incontournable des particuliers en droit patrimonial de la famille, le notaire a maintenant à sa disposition de nombreux outils qu’il sait adapter à chaque situation, chaque famille. Spécialiste reconnu de la rédaction d’acte, il maîtrise tous les enjeux du contrat de fiducie et garantit la sécurité juridique des
parties dans cet acte où règne la liberté contractuelle. Outre les cas où il aura un rôle de conseil efficace et précis, le notaire sera requis, à peine de nullité, si les biens, droits ou sûretés transférés dans le patrimoine fiduciaire dépendent d’une communauté existant entre des époux ou d'une indivision.
Partenaire et conseil des fiduciaires, le notaire ne peut pas endosser ce rôle réservé par la loi aux banques, compagnies d’assurance et avocats. À nos professions de collaborer sans plus attendre pour proposer des contrats efficaces et de vraies réponses aux attentes de nos clientèles en matière de gestion de patrimoine.

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