Très rare dans les médias, le nouveau responsable de la banque privée pour la France, la Belgique et le Luxembourg de Credit Suisse se confie. Son arrivée, ses choix, ses ambitions pour la banque helvétique et l’avenir de la profession, il n’élude aucune question.

Décideurs. Pourquoi avoir fait le pari de rejoindre Credit Suisse trois ans après être devenu président pour l’Europe continentale chez Julius Baer ?

Gilles Dard. Mon expérience chez Merrill Lynch, racheté ensuite par Bank of America puis Julius Baer, m’a donné l’occasion d’évoluer au sein des trois principaux modèles mis en œuvre dans l’univers du Wealth management. Celui d’une banque d’affaires ayant développé une partie de son activité en banque privée, d’une banque privée au sein d’une banque universelle et enfin celui d’un pure player de la gestion privée. Si ces modèles ont tous leurs avantages, certains d’entre eux sont cependant mieux adaptés à certains profils de clients ou de collaborateurs. Pour ma part, j’ai fait le choix de rejoindre une banque privée qui allie les forces d’un pure player et d’une grande banque d’affaires. La passerelle importante entre ces deux services a été l’un des éléments essentiels de ma venue chez Credit Suisse : elle permet aux clients privés de profiter des technologies et des avancées les plus pointues que le monde de la finance peut mettre à la disposition des institutionnels. Une expertise dont peuvent notamment bénéficier les entrepreneurs entrant dans une logique de private equity.

 

Décideurs. Votre arrivée s’inscrit également dans le cadre de la nouvelle dynamique insufflée par Tidjane Thiam. Quelle place tient la banque privée dans le projet de développement de Credit Suisse ?

G. D. La banque privée est au centre de ses préoccupations et l’un des moteurs de développement du groupe. Il a réorganisé la banque en mettant en place une division européenne dédiée, nommée « International wealth management », et dirigée par Claudio de Sanctis. C’est un message fort. Depuis une dizaine d’années, les cartes ont été rebattues. Sous le double effet de la complexification du métier et des problèmes inhérents aux économies d’échelle, les banques se sont retrouvées face à un dilemme : investir pour apporter une réelle valeur ajoutée ou quitter le métier de la banque privée. Ce tournant, je l’ai vécu avec Bank of America qui a pris la décision de se retirer à l’international. Credit Suisse, par l’intermédiaire de son directeur général a pris la décision de croître.

 

Décideurs. Quelles sont vos priorités d’actions ?

G. D. Ayant pris mes fonctions en février 2016, je suis encore en train d’affiner ma réflexion. Aujourd’hui, mon raisonnement épouse complètement la nouvelle organisation. Je vais m’efforcer d’élargir notre business model.

La gestion de fortune, la préservation du capital et la mise en œuvre d’une stratégie juridique et fiscale efficiente demeure, comme pour toutes les banques privées classiques, notre cœur de métier. Les éléments différenciants de Credit Suisse reposent à ce titre sur la qualité des synergies développées avec les équipes de la banque d’affaires. Sur cette ligne de métier, nous allons continuer à recruter et à muscler notre offre.

En parallèle, nous comptons renforcer significativement une autre ligne déjà existante : l’accompagnement de l’outil économique des entrepreneurs. Les opérations de haut de bilan et la stratégie de financement sont parmi nos principales valeurs ajoutées. Il me paraît essentiel que les clients sachent que la banque privée peut aussi les accompagner sur des opérations qui représentent une grande partie de leurs préoccupations. Les passerelles existantes entre les services de la banque privée et de la banque d’affaires seront accentuées.

Dans ma volonté d’élargir le business model l’industrie en B to B est également en ligne de mire. Nous disposons d’une profondeur de l’offre encore sous-exploitée dans la distribution. Je pense notamment à notre ligne de métier « external asset management » (EAM). Celle-ci s’adresse aux sociétés de gestion indépendantes ayant une clientèle privée et qui ne disposent pas des infrastructures suffisantes pour se développer. Une deuxième offre conduite par nos équipes « funds services » propose aux grands acteurs français de l’asset management indépendants une solution clé en main (dépositaire, agrément) pour s’internationaliser. Enfin, nous souhaitons accélérer le développement de Credit Suisse AM.

 

Décideurs. Un certain nombre de banques privées ont relevé leur seuil d’entrée. C’est le cas de Credit Suisse qui a fait le choix de le porter à trois millions d’euros. Cela a provoqué le mécontentement de certains clients qui se sont retrouvés de facto écartés des services de la banque privée. Regrettez-vous ce choix ?

G. D. C’est une décision qui en fait répond aux besoins de nos clients. L’offre que nous proposons désormais, combinant une palette plus large de services y compris de notre banque d’investissement, convient à un certain type de clientèle. Les clients de Credit Suisse, qui ont un portefeuille inférieur à 3 millions d’euros, n’auraient pas pu bénéficier de cette offre, qui est adaptée à des clients dont la taille du portefeuille est beaucoup plus large. Certaines banques ont mis en place des process qui fonctionnent bien pour ce segment de clientèle. Nous avons fait preuve d’une transparence assez honorable en soulignant à ces clients qu’ils trouveraient un service mieux adapté à leurs problématiques dans une autre maison.

 

Décideurs. Comment appréhendez-vous le virage du digital et quelles dispositions avez-vous prises dans ce sens ?

G. D. Cela fait maintenant un an que la plateforme digitale pour la banque privée de Credit Suisse a été lancée à Singapour, pour permettre aux clients d’accéder 24/24 h à l’ensemble des informations sur leurs comptes, à des études de marché personnalisées en fonction de leur portefeuille, ainsi qu’à des outils de trading leur permettant d’ajuster au plus vite leurs positions dans des marchés très fluctuants. Durant les 12 derniers mois, Credit Suisse a développé cette plateforme sur différents supports, comme sur iPhone et autres navigateurs web, en plus de la version originale sur iPad, en y ajoutant de nouvelles caractéristiques comme l’analyse des risques, les alertes, les capacités de trading et la biométrie : une fonctionnalité de sécurité « user friendly » pour les utilisateurs d’iPhones où les clients peuvent se connecter via un système de reconnaissance digitale (TouchID), leur permettant d’avoir un accès rapide à des informations sur les données ou nouvelles des marchés, leurs portefeuilles ou leur liste d’actions à surveiller. Cette plateforme s’est progressivement développée et cela sera le cas pour l’Europe prochainement.

Nos enfants consommeront la banque d’une façon différente de celles de nos parents. Les banques privées n’ont, en réalité, pas d’autres choix que de prendre le pas de la digitalisation. Il va cependant falloir que l’industrie bancaire trouve son business model. Quelle est la bonne voie à suivre ? Difficile pour le moment d’y répondre. Chaque maison sera tenue de faire une analyse stratégique pertinente pour définir ce qui a le plus de sens pour elle. Faut-il passer par une croissance externe ? Doit-on privilégier une croissance organique ? Une chose est sûre, rien ne remplacera la relation directe entre le client et le banquier privé.

 

Décideurs. L’environnement bancaire suisse a été secoué par un grand nombre d’affaires. Être une banque suisse, est-ce aujourd’hui un avantage ou un inconvénient ?

G. D. Cela reste un avantage car les banques suisses disposent d’une longue culture de gestion et une capacité à agir et à investir à l’international. Elles se sont créées des opportunités en Asie, en Europe ou encore en Amérique latine et savent décoder l’environnement mondial. Ce sont par ailleurs des professionnels qui raisonnent naturellement en performance absolue, une dimension propre à la gestion de patrimoine alors que le monde institutionnel a un raisonnement davantage « benchmarké ». Ces deux philosophies sont toutefois en train de se rapprocher. Désormais, un grand nombre d’institutionnels réfléchissent en performance absolue. Ces affaires auxquelles vous faites allusion montrent la fin d’un monde, celui des années 1970 à 1980. Ce sont des choses que l’on ne devrait plus voir dans le futur.

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

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