Bruno Crastes (H2O AM) : « Il est trop tard pour intégrer le risque politique européen à une allocation d’actifs »
Décideurs. Tenant d’une approche top-down, l’analyse macroéconomique recèle une importance capitale dans la définition de votre stratégie d’investissement.
Quel regard portez-vous sur l’environnement actuel ?
Bruno Crastes. La clé numéro 1 de l’environnement macroéconomique est l’évolution de l’inflation sous-jacente. Va-t-elle croître ? Si oui, dans quelle mesure ? Pour notre part, nous avons la conviction que l’inflation va se renforcer. Ce que les investisseurs ont encore très peu anticipé. Il y a une théorie en finance comportementale qui s’appelle « le trou d’empathie ». En suivant cette logique, lorsqu’un événement n’a pas eu lieu depuis longtemps, les investisseurs ont beaucoup de difficultés à l’anticiper. En termes de risque/rendement, On peut estimer que le moment est propice à se positionner en faveur d’une accélération de l’inflation.
Comment pensez-vous tirer profit de l’environnement « reflationniste » que vous décrivez ?
Prendre des positions que des investisseurs n’ont pas encore jouées vous procure une satisfaction marginale assez élevée. Autrement dit, si le scénario de la remontée de l’inflation se concrétise, il est fort probable que nous réalisions une très bonne performance. A contrario, les investisseurs qui tableraient sur un regain de forme de la croissance aux États-Unis, n’en tireraient pas un bénéfice maximal. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que les bons résultats de la croissance américaine ont d’ores et déjà été joués par de nombreux investisseurs. Notre volonté est d’anticiper le plus en amont possible les grandes tendances. Dans cette logique, ceux qui ont su voir, avant tout le monde, l’éclatement de la bulle technologique au début des années 2 000 ou la crise des subprimes ont réalisé de très belles performances.
le moment est propice à se positionner en faveur d’une accélération de l’inflation
Quelle en serait la principale conséquence sur les marchés financiers ?
La zone américaine est la plus exposée. On peut en effet légitimement penser qu’une remontée de l’inflation viendrait des États-Unis. En conséquence, les actifs américains auront tendances à sous-performer.
Le risque politique est évoqué par de nombreux gérants d’actifs mais demeure très difficile à évaluer sur le plan macroéconomique. Comment intégrez-vous le facteur politique dans vos choix d’investissement ?
Je pense que c’est avant tout une question de séquence temporelle. Aujourd’hui, il est à mon sens trop tard pour l’intégrer. Si l’on excepte les questions autour des choix de Donald Trump, le risque politique pèse essentiellement sur l’Europe. Or, nous ne sommes qu’à deux mois de l’élection française. Les investisseurs ont déjà pris leur position. Ce risque est donc intégré dans le prix des actifs. En cas de mauvaise nouvelle, les marchés devraient connaître une ou deux journées de forte volatilité. Mais comme les investisseurs se sont couverts par rapport à cet événement, nous pourrions envisager un scénario proche du Brexit, avec un réajustement assez fort les semaines suivantes.
Le risque d’une guerre commerciale entre la chine et les États-Unis pourrait être au centre des inquiétudes
Doit-on craindre une prochaine guerre commerciale entre la Chine et les État-Unis ?
Je pense que c’est un vrai sujet. Pour l’instant, personne n’en parle car tout le monde est concentré sur les élections européennes. Après ces échéances électorales, le thème pourrait resurgir. Nous avons commencé à en tirer les conséquences, essentiellement en réduisant nos positions sur les marchés émergents. Les investisseurs ont toujours du mal à intégrer deux risques en même temps. Ils sont concentrés sur l’Europe aujourd’hui. On peut imaginer qu’après les élections françaises, les investisseurs vont chercher des éléments négatifs. Le risque d’une guerre commerciale entre la chine et les États-Unis pourrait être au centre des inquiétudes. Comme vous le savez, le marché aime à se faire peur.
Ces derniers mois ont été favorables à certains secteurs « value » (banques et assurance, automobile…) qui avaient jusqu’ici été dépréciés par les marchés. Est-il l’heure pour les investisseurs de prendre en partie leurs bénéfices sur ces valeurs ?
Cette rotation sectorielle n’est pas un épiphénomène. Nous pensons que c’est un mouvement de plus long terme, lié au retour de l’inflation. En conséquence, nous continuons à privilégier les actifs à cash-flow variable. Dans l’univers des actions, les titres qui nous plaisent sont ceux avec un peu moins de visibilité, dont les perceptions de cash flows sont volatiles et incertaines comme c’est le cas pour les valeurs du secteur des banques et assurances, des technologies ou de l’automobile.
Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurelien)