L’authenticité au secours du fonds de dotation
Par Samuel Auger, notaire. Victoires notaires associés
La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, dite « loi LME »1 définit le fonds de dotation comme une personne morale de droit privé à but non lucratif dont l’objet est de réaliser ou de financer une œuvre d’intérêt général.
La liberté d’organisation et la possibilité offerte aux créateurs du fonds de dotation d’en garder le contrôle étroit, en font une institution originale.
Il est moins prestigieux dans l’appellation qu’une fondation, mais beaucoup plus facile à mettre en place. Il ne requiert ni groupe de fondateurs, ni fixation d’une durée de vie, ni même une autorisation administrative.
La seule publication de sa déclaration en préfecture au Journal officiel suffit à lui conférer la personnalité morale.
Cependant, sous des dehors de simplicité, le fonds de dotation peut être source d’une grande complexité. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner l’acte d’apport qui permet sa constitution.
À l’origine, un fonds de dotation pouvait être créé sans dotation initiale
Cependant, afin d’éviter les créations sans lendemain, le législateur a imposé une dotation initiale en numéraire d’un montant minimum de 15 000 € pour tous les fonds créés à compter du 22 janvier 2015.
« Le notaire :
un partenaire
incontournable
dans la création
des fonds
de dotation »
La lettre de l’article 2 bis modifié du décret n° 2009-158 du 11 février 2009 est limpide : « Le montant de la dotation initiale… doit être versé en numéraire… »
Cela n’empêche pas d’apporter d’autres biens (immeubles, titres, œuvres d’art…) au fonds de dotation, mais ils ne pourront pas former la dotation initiale obligatoire.
Qualification de la dotation initiale du fonds
Le législateur qualifie tout apport au fonds de dotation de « gratuit et irrévocable ». Ces deux termes renvoient à la notion de libéralité. Pour autant, les apports sont-ils réellement des donations ?
Une donation suppose un appauvrissement sans contrepartie et une intention libérale.
En apportant au fonds de dotation, le mécène s’appauvrit sans l’ombre d’un doute. Mais le fait-il sans contrepartie ?
Le mécénat offre un effet de levier important. Il est devenu lui-même un business : il fait aujourd’hui partie intégrante de la stratégie de communication des entreprises. L’artiste qui apporte ses œuvres à son fonds de dotation n’espère-t-il pas valoriser sa renommée et son travail, et par là même indirectement la cote des œuvres qu’il produira par la suite ? À l’inverse, celui qui donne à un fonds de dotation destiné à la lutte contre le cancer le fait sans contrepartie économique.
Par ailleurs, l’intention libérale existe-t-elle au profit du fonds ou de l’activité d’intérêt général dont le fonds doit poursuivre la réalisation ?
L’acte d’apport ne serait-il pas un acte sui generis ?
Il n’existe pas à notre connaissance de jurisprudence sur la qualification des apports à un fonds de dotation.
Cependant, le comité de suivi des fonds de dotation et le ministère de l’Économie et des Finances retiennent la qualification de libéralité : ils préconisent le recours à l’acte notarié au visa de l’article 931 du Code civil ayant trait aux donations.
Conséquences de la qualification retenue
La qualification de donation entraîne deux conséquences en ce qui concerne la dotation initiale :
- nécessité d’un acte notarié pour les statuts du fonds de dotation ;
- une acceptation de la donation différée mais nécessaire, également reçue par un notaire.
En pratique, la dotation initiale consentie par les fondateurs dans les statuts ne peut être acceptée concomitamment par le fonds puisque celui-ci ne jouira de la personnalité morale qu’à compter de sa publication au Journal officiel. La loi n’admet la rétroactivité de la naissance du fonds de dotation que s’il est créé post mortem, au jour de l’ouverture de la succession du fondateur. L’acceptation de la dotation sera donc nécessairement différée par rapport aux statuts 2.
Selon une jurisprudence ancienne, réaffirmée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt récent du 5 mai 2017 3, toute promesse de donation doit être faite par acte notarié. À défaut, l’engagement souscrit est entaché de nullité absolue 4.
Par suite, en imposant une dotation initiale obligatoire, le législateur par effet de ricochet, a imposé consciemment ou non, que les statuts des fonds de dotation soient désormais établis en la forme notariée.
En outre, un second acte notarié sera nécessaire pour acter de l’acceptation par le fonds de sa dotation statutaire (C. civ., art. 932).
En effet, tant que l’engagement unilatéral irrévocable de donner n’a pas été accepté, il n’y a pas donation, même s’il y a eu tradition du bien donné 5.
L’acceptation par le fonds de dotation est donc incontournable.
Les statuts pourront opportunément stipuler que l’acceptation de la donation ne pourra être passée qu’après la publication au Journal officiel et
prévoir que tout pouvoir est donné au dirigeant du fonds afin d’accepter ladite donation.
1 L. n° 2008-776, 4 août 2008, art. 140.
2 C. civ., art. 906: « Pour être capable de recevoir entre vifs, il suffit d’être conçu au moment de la donation. ».
3 Cass. req., 23 mars 1870: DP 1870, 1, p. 327 ; Cass. I’ civ., 22 févr. 2017, n° 16-14.351 : JurisData n° 2017-002799 ; JCP N 2017, n° 10, act. 324.
4 V. Dr. famille 2017, comm.104, n° 5, obs. M. Nicod.
5 CA Bourges, 24 janv. 1821 : Dalloz, jurisp. Gén., V Donation, n° 1438.
Sur l'auteur :
L’Office notarial de Paris, 3 place des Victoires intervient dans les domaines du droit de la famille, du droit international privé, de la transmission d’entreprise, du droit de la propriété littéraire et artistique, de l’investissement immobilier, du financement et du droit des affaires.
Samuel Auger intervient au sein du pôle patrimonial de l’Office. Il accompagne les particuliers, les chefs d’entreprise et les artistes dans l’organisation et la transmission de leur patrimoine