Parmi les évolutions fiscales entreprises en ce début de quinquennat, l'IFI fait parler de lui, mais il convient de ne pas occulter le vieux serpent de mer du prélèvement à la source. Retour sur le futur dispositif avec Jérôme Barré, avocat associé chez Franklin.

Décideurs. Le principal argument du gouvernement concernant le prélèvement à la source est le critère de simplicité. Néanmoins, de nombreux acteurs voient une immense complexification dans cette mesure. Qu’en est-il en réalité ?  

Jérôme Barré. Je pense effectivement que l’on a compliqué le sujet. La question a d’abord été abordée avec l’affirmation que c’était un progrès, non pas fiscal, mais social. Ce mécanisme serait un progrès puisqu’il correspondrait à la modernisation de nos impôts. En sous-jacent, c’est l’idée d’une contemporanéité qui existerait entre la situation fiscale des contribuables et l’impôt prélevé… La raison pour laquelle le prélèvement à la source a été mis en place dans d’autres pays, et ce depuis longtemps, est assez simple. Dans le contexte d’après-guerre, ces pays ne parvenaient pas à récupérer l’impôt. Dès lors, ils obtenaient des taux de recouvrement de l’ordre de 75 %. En France, en 2014, notre taux de recouvrement atteignait quasiment 99 %, ce qui traduit un réel consentement à l’impôt. Ensuite, si les redevables souhaitent changer leur mode de contribution, ils ont le choix entre deux modalités que sont le paiement mensuel et le paiement par tiers, sachant que ces solutions peuvent être combinées. Cette modalité pratique a pour intérêt de pouvoir librement ajuster la trésorerie avec la réalité de l’impôt demandé. Ainsi, le contribuable peut effectuer ses demandes de changement de régime en quelques minutes sur internet. Le prélèvement à la source va peser sur la flexibilité de ces solutions et donc sur la trésorerie disponible des contribuables.

Concrètement, quelles seront les modalités de cette nouvelle forme d’imposition ?  

Le redevable a la possibilité de choisir quatre taux (trois taux en pratique). D’abord le taux de droit commun, le taux personnalisé, qui est un taux d’imposition unique par foyer fiscal. Sont considérés séparément les revenus du foyer, auxquels on applique le même taux. Son effet peut avoir des conséquences très sensibles en cas de disparités de revenus entre les époux. Le second taux est un taux individualisé pour les membres du foyer fiscal. Le montant collecté demeure identique, mais une répartition de l’imposition s’opère entre les époux. Il y a deux exceptions, un taux nul, sans versement, et un taux non personnalisé, qui implique de payer un complément chaque mois. En outre, si le foyer a des revenus communs, comme par exemple les revenus fonciers, il conviendra de faire des déclarations ou des paiements spécifiques tous les mois pour ces revenus. Cela placera probablement les ménages dans un état de stress. En cas d’imprévu, le foyer ne plus utiliser la part de trésorerie dont il disposait auparavant. Enfin, les contribuables pourront opter pour le taux neutre, s’ils ne souhaitent pas que leur employeur ait connaissance de leur taux d’imposition personnalisé, ce qui peut conduire à un versement complémentaire également, le taux étant calculé uniquement sur la base des revenus versés par l’entreprise.

Le prélèvement à la source ne risque-t-il pas d’induire des problématiques liées à la confidentialité ?

Tout changement tenant à la situation fiscale du contribuable salarié sera communiqué à son employeur par l’Administration, auprès de laquelle le salarié aura indiqué ces changements au préalable. Le temps de traitement des dossiers pourrait bien se voir significativement allongé (trois ou quatre mois, au lieu de quatre minutes sur le site personnel du contribuable). Cela pourrait bien poser un réel problème de rupture de confidentialité et d’égalité de traitement car si le contribuable choisit le taux neutre, on peut en déduire que c’est parce que le taux global du ménage doit être supérieur.

Cette nouvelle formule d’imposition ouvrirait-elle la porte à un mouvement d’expatriation de masse ?

Le premier sujet qui a frappé les esprits était la suppression de l’ISF, et l’arrivée d’une taxation des objets de luxe. De même, se pose la question de l’imposition en fonction de la nationalité. On ne peut affirmer que cette méthode de taxation entraînera des départs en masse. Il est sûr qu’elle énervera les employeurs / payeurs, elle diminuera la souplesse de trésorerie des ménages, ce qui demandera aux banques d’être (encore) plus compréhensives. Elle risque également par ce manque de souplesse de créer un écart de confort entre les petits contribuables et les très riches. Tout ceci risque d’être mal vécu de part et d’autre.

Par ailleurs, la création de l’IFI, la PLF de 30%, la diminution à terme de l’impôt sur les sociétés sont des messages forts, mais un système administratif très complexe et kafkaïen, des droits de donation et succession jusqu’à 45% ainsi qu’une plus-value immobilière à laquelle on ne peut pratiquement pas échapper, rendent des pays comme le Portugal, l’Italie, l’Allemagne ou encore l’Autriche très attractifs.

Propos recueillis par Yacine Kadri

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