Si la suppression de l’ISF a rassuré les collectionneurs quant à l’exonération de leurs œuvres d’art, Jean-Jacques Neuer, avocat expert du marché de l’art, appelle à la prudence. Alors que la stabilité fiscale n’est pas le fort du pays, il livre ses conseils pour anticiper au mieux la transmission d’une collection lors d’une succession.

Décideurs. La création de l’IFI éloigne-t-elle définitivement le spectre d’une taxation de la détention des œuvres d’art ?

Le débat sur l’intégration des oeuvres dans l’assiette de l’impôt sur la fortune est un véritable serpent de mer. Plus qu’une opposition classique entre droite et gauche, il s’agit d’une fracture entre populistes et élitistes. La mise en place de l’IFI répond à la politique actuelle menée par l’exécutif mais rien ne garantit que cette mesure ne sera pas remise en cause lors de la prochaine mandature. Le France a un ADN révolutionnaire, c’est un pays dans lequel la fiscalité résulte davantage de rapports de force et de tensions sociales exprimés à l’instant T que d’une réelle préoccupation budgétaire. L’énorme charge émotionnelle attachée à l’impôt est très française. Le débat fiscal en est érotisé, au sens psychanalytique du terme. Dans ce contexte, il n’est pas impossible qu’un jour les oeuvres d’art soient taxées.

Si le traitement fiscal de la détention d’œuvres est favorable aux collectionneurs, qu’en est-il en cas de succession ?

S’il ne s’agit pas d’un objet d’ameublement inclus dans le forfait mobilier de 5 %, la transmission d’une oeuvre relève des droits de succession. C’est une situation très lourde pour les héritiers. Pour leur éviter ce poids, il est possible de préparer en amont sa succession grâce à différents mécanismes juridiques comme la donation-partage, le démembrement de propriété, la donation ou l’évaluation des successions. C’est une matière complexe qui requiert une approche technique, fiscale et artistico-juridique. Sans oublier la dimension financière qui est fondamentale puisqu’il s’agit de définir une solution pour que les ayants droit puissent régler leurs droits sans être obligés de brader la collection dont ils héritent.

« En France, la charge émotionnelle attachée à l’impôt a érotisé le débat fiscal »

Quelles précautions prendre pour anticiper ces difficultés ?

Passé un certain niveau de patrimoine, je ne crois pas qu’il soit possible de faire l’économie de conseils. À défaut, les problèmes, pas uniquement fiscaux, risquent de se multiplier. Des difficultés civiles peuvent par exemple survenir dans le cas d’une succession
entre enfants de différents lits. Les conflits peuvent très rapidement s’envenimer et les contentieux s’éterniser. Il faut également réfléchir à la postérité que l’on souhaite donner à son oeuvre pour un artiste ou à sa collection pour un amateur. Dans ce cas, des dations ou des donations sont envisageables. La meilleure solution est donc de prévoir sa succession le plus en amont possible.

La tradition du legs d’une collection à l’État est très ancrée aux États-Unis. Peut-on imaginer que le phénomène se développe en France ?

La mentalité et le rapport au monde des Anglo-Saxons sont très différents de celui des peuples latins. Chez les premiers,
la notion de liberté individuelle est primordiale. Leurs règles, leur législation sont l’expression de cette philosophie libérale. Tous ceux qui ont fait fortune dans l’industrie ou la finance ont bénéficié de cette liberté pour réussir, ils n’ont pas été entravés par des réglementations trop contraignantes. À un certain moment de leur vie, ils sont pris d’un vertige métaphysique et s’interrogent sur ce qu’ils veulent laisser à la postérité. C’est dans ce contexte que certains ont choisi de tout donner à des institutions philanthropiques. Bien sûr, il y a une forme de narcissisme à créer une fondation à son nom mais ce n’est pas le principal moteur de ces grandes fortunes. Pensez à Warren Buffett qui a prévu de léguer la plus grande partie de sa fortune à la fondation Bill Gates ! La France est un pays plus colbertiste, plus défiant envers l’individu par opposition à l’État qui incarne l’intérêt public. Il est difficile de savoir si, porté par la globalisation et l’ouverture au monde, le pays peut s’ouvrir à des pratiques très répandues ailleurs. Des initiatives récentes, comme la création de la Fondation LVMH, autorisent l’optimisme. Mais attention aux mouvements identitaires et à l’isolationnisme qui gagnent en puissance en ce moment et qui pourraient décourager ces élans.

Propos recueillis par Sybille Vié

 

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