Alors que les émissions des obligations vertes marquaient un coup d’arrêt en 2018, l’année 2019 a vu le seuil des 100 milliards de dollars franchi dès le mois de juin. L’étiquette verte convainc donc de plus en plus d’émetteurs, même si le cadre réglementaire reste encore flou.

Un nouveau record a été battu en 2019. Au cours des neuf premiers mois de l’année,180 milliards de dollars ont été levés avec l’étiquette verte. Les montants récoltés dans le cadre de green bonds ont vocation à financer des projets dédiés à la transition énergétique au sens large, contrairement aux obligations classiques.

Les entreprises américaines entrent en piste

Un retour en force qui contraste avec 2018, année durant laquelle les émissions auraient chuté de 23 % au troisième trimestre avant d’enregistrer un nouveau record mensuel en novembre, et engranger 168 milliards de dollars. Un ralentissement à replacer dans un contexte général de réduction du nombre d’émissions sur le marché obligataire. La BCE (Banque centrale européenne) a pourtant soutenu les démarches pour la transition énergétique. Son programme de rachat de titres a encouragé les émissions d’obligations vertes qui représentaient 9 % des corporate bonds éligibles au quantitative easing en 2018. Signe d’un ralentissement pérenne du marché, 2019 s’annonçait aussi morne que l’année précédente. Le franchissement du seuil des 100 milliards de dollars levés en juin est venu contredire cette prévision. Au troisième trimestre, près de 63 milliards de dollars de green bonds ont été émis dans le monde, soit 87 % de plus qu’au cours de la même période il y a un an. Un redressement porté par l’entrée des États-Unis dans la course. Jusqu’alors peu enclines à se tourner vers ce produit, les entreprises américaines ont émis 30 milliardsde dollars depuis janvier, soit 60 % de plus qu’en 2018, les taux d’intérêt plus élevés outre-Atlantique ayant contribué à attirer les investisseurs institutionnels. Dans un contexte de prise de conscience écologique, ces derniers sont d’ailleurs friands de ces classes d’actifs aux critères environnementaux, qui font régulièrement l’objet de souscriptions spectaculaires.

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Des obligations pas comme les autres

La demande des investisseurs pour les obligations vertes impliquerait que ces dernières bénéficient d’un premium, et valent donc davantage que les obligations classiques. Or, seules six émissions ont fait état d’un écart de prix au cours du premier semestre 2019. Le greenium (mot-valise de green et de premium) n’apparaîtrait que sur le marché secondaire. Standard & Poor’s, l’une des trois principales sociétés de notation financière au monde, y décrypte une appréciation jusqu’à 25 points de base supplémentaires sur trente jours par rapport aux obligations classiques.

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Par ailleurs, une émission de green bonds impliquerait logiquement des coûts plus élevés pour être éligible au label, en raison, notamment, des frais de certification. Comment expliquer alors qu’une obligation verte ne soit pas émise à un prix supérieur sur le marché primaire?

Une explication, liée à l’impact des liquidités disponibles sur les marchés, s’impose. Au regard de leur lancement récent, les green bonds ne sont pas encore assez matures pour dégager des échanges financiers importants. Quant aux émetteurs, ils peuvent se révéler frileux à l’idée de demander un greenium, de peur de ne pas attirer suffisamment d’investisseurs pour être rentables.

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Du greenwashing au besoin de règlementation

Au-delà de ces caractéristiques de marché, c’est surtout l’opacité du label vert qui inquiète et qui grève les efforts de la finance pour la protection de l’environnement. Juridiquement, apposer l’adjectif green ne fait aucune différence. Il n’existe pas de réglementation concernant les projets « verts » et les prospectus d’émissions ne publient pas d’engagements. Un problème pour les investisseurs ESG qui, eux, s’engagent à répondre à un certain nombre de critères, dont le respect de l’environnement. Les fonds récoltés sous la bannière green peuvent donc être alloués à des utilisations peu respectueuses de l’environnement. Le cas échéant, l’émetteur ne subit aucune sanction. Seule sa réputation risque d’en pâtir. Ainsi, l’exclusion des statistiques, par la Climate Bonds Initiative, de 77 % des émissions étiquetées vertes au troisième trimestre illustre bien ce manque de régulation. Dans ses études, l’organisation n’inclut que les levées dont au minimum 95 % des sommes sont destinées aux actifs verts. La possibilité d’assister à des opérations de greenwashing de la part de certains émetteurs inquiète fortement. En juin 2019, le groupe d’experts techniques sur la finance durable de la Commission européenne publie un rapport préconisant la création d’un cadre normatif pour les green bonds. Ce dernier fournit des lignes directrices comprenant l’alignement des projets verts sur la taxinomie de l’Union européenne, la portée et le contenu des green bonds, mais surtout l’exigence de publier des rapports réguliers sur l’utilisation des fonds et les effets sur l’environnement, ainsi que leur vérification par des experts homologués.

En la matière, Enel fait figure de précurseur. Le producteur d’énergie italien a réalisé une levée de fonds de 1,5 milliard de dollars en septembre dernier, dont le montant est soumis à des objectifs environnementaux. Le groupe s’est engagé à porter la part des énergies renouvelables à 55 % de sa production dans les deux prochaines années. Si tel n’est pas le cas au 31 décembre 2021, le coupon augmenterait de 25 points de base à 2,875 %. Une décision saluée par les investisseurs, puisque la demande a frôlé les 4 milliards de dollars.

Anne-Gabrielle Mangeret

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