Basées à Paris, les équipes d’Eiffel Investment Groupe financent des entreprises et leurs projets. Sur leurs 2,3 milliards d’euros d’encours, 800 millions d’euros sont investis sur le segment de la dette privée d’entreprises. Fabrice Dumonteil, président d’Eiffel Investment Group, nous parle de cette classe d’actifs qui séduit de nombreux investisseurs.

Décideurs. Quelles entreprises financez-vous ?

Fabrice Dumonteil. Nous finançons trois typologies d’entreprise.

Des TPE dont le chiffre d’affaires est en moyenne d’un million d’euros par le biais de plateformes de prêt digitales (crowdlending).

Nous soutenons aussi des PME réalisant plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires par l’intermédiaire de notre programme Eiffel Croissance Directe.

Enfin, notre fonds Eiffel Impact Debt apporte un soutien aux ETI, c’est-à-dire des sociétés faisant plus de 10 millions d’euros d’Ebitda. Notre stratégie vise ainsi à couvrir toutes les tailles d’entreprises. Aujourd’hui, nous proposons de la dette senior pour financer des projets de croissance (M&A, recrutements…). Nous participons aussi, mais plus rarement, à des opérations de transmission ou de LBO.

Notre positionnement a du sens et est complémentaire aux banques, pour qui financer des projets de croissance longs peut être plus difficile en raison de leurs contraintes réglementaires. Nous avons la capacité d’aller chercher plus de risque en échange d’une meilleure rémunération. La plupart du temps, cela prend la forme d’un prêt à taux fixe d’une durée de cinq ans à sept ans. Nous restons prudents et limitons le leverage.

En 2018 et 2019, le marché de la dette privée a connu une activité soutenue, avec de nombreuses opérations de financement réalisées. Qu’en est-il au cours de six derniers mois ? Anticipez-vous un prochain ralentissement ?

Sur le segment de la dette senior à destination des PME, le marché pourrait être impacté par un éventuel ralentissement économique. Mais ce marché se caractérise par une très grande profondeur. Le tissu économique français est, en effet, composé d’un très grand nombre de PME. Aujourd’hui nous ne voyons pas de ralentissement. Au contraire, la demande est forte. Indépendamment des variations conjoncturelles, la dette privée n’en est qu’à ses débuts. Même si les dirigeants de PME s’habituent à ces sources de financement alternatif, encore très peu d’entreprises les utilisent. La classe d’actifs dispose donc d’un potentiel de croissance important. Une situation qui impose à mon sens aux sociétés de gestion d’être très disciplinées. Depuis 2008, certains ont eu tendance à oublier que les marchés pouvaient être en récession. Nos fonds sont gérés prudemment et très diversifiés. Nous aurons entre 50 et 100 prêts dans Eiffel Croissance Directe par exemple.

"Depuis 2008, certains ont eu tendance à oublier que les marchés pouvaient être en récession"

Cette dynamique a créé un rapport de force plus favorable aux emprunteurs. Certains notent d’ailleurs une détérioration de la protection des prêteurs. Cette situation vous a-t-elle amené à modifier votre stratégie d’investissement ?

Effectivement. La cible des grandes ETI est la plus touchée, avec quelques défauts emblématiques. Cette catégorie d’opérations attire de nombreux prêteurs alternatifs. Tout le monde se bat sur les mêmes cibles. Il y a d’ailleurs eu quelques incidents de crédits retentissants sur les derniers trimestres, comme celui de William Saurin. Nous essayons de nous tenir à distance de cette typologie de société. C’est pour cette raison que nous avons d’abord ciblé les PME. C’est un segment par nature plus difficile à approcher, et donc moins concurrentiel. On n’est pas dans des processus compétitifs, nous obligeant à renoncer à des sûretés pour remporter un dossier. On préfère travailler sur une cible de niche. Sur le segment des ETI, nous avons fait le choix de nous positionner avec une démarche à impact. Cela fait office de point de différenciation et permet de déplacer le débat avec les emprunteurs.

Comment sélectionnez-vous vos dossiers ?

Nous sommes très sélectifs. Entre les dossiers éligibles et les financements qui sont effectivement réalisés, nous avons un rapport de 1 pour 20. Il faut donc faire un important travail de sourcing, de prospection sur le terrain, notamment en province. Nous avons aussi des échanges réguliers avec les banques de réseaux. Nos équipes suivent une méthodologie d’analyse exigeante. Nos études portent entre autres sur le business plan de la société, le management et le marché cible.

Quel est le profil des émetteurs, dans quel cas ont-ils recours à la dette privée ?

Nous visons des entreprises qui ont besoin de financer leur croissance. Nous venons de financer le groupe de restauration Bertrand dans le cadre de l’acquisition de Léon de Bruxelles. Soutenir des projets de croissance à l’exportation fait également partie de nos attributions.

"L’illiquidité doit apporter un supplément de rémunération"

Et à quel prix ?

Sur le segment de la dette senior, nous prêtons avec des leviers faibles, entre une et 3,5 fois. Nos taux sont évidemment plus élevés que pour de la dette bancaire amortissable, mais inférieurs à ceux de l’unitranche. Ils se situent typiquement entre 3 % et 8 %. Nous sommes capables de faire du sur-mesure. Nos équipes peuvent accompagner la société à structurer son financement ou à réorganiser ses dettes dans un rôle proche de celui de conseil financier.

Le véritable danger de cette classe d’actifs repose-t-il sur les questions de liquidités ?

L’illiquidité doit apporter un supplément de rémunération. Elle impose aussi de faire un travail d’analyse crédit très poussé. Lorsque vous prêtez à une société sur une durée de cinq à sept ans, il faut avoir une conviction très forte. On ne peut pas suivre la démarche d’un prêteur classique. Il faut raisonner comme un investisseur de private equity. Et nous devons ensuite rester très proches de l’entreprise. Nous avons d’ailleurs créé pour ça une plateforme digitale de reporting. Grâce à ces reporting mensuels, nous pouvons très vite détecter un éventuel problème ou incident. Le maître mot est d’anticiper au maximum les difficultés.

Vous avez annoncé le premier closing d’Eiffel Impact Debt, un fonds de dette privée qui place le risque d’impact au même niveau que le risque financier. Quels sont les objectifs de ce fonds (montants levés, investissements) ? Quel est le contenu des covenants extra-financiers, ou « covenants d’impact » que vous mettez en place ?

Une dizaine d’investisseurs institutionnels européens se sont déjà engagés à hauteur de 300 millions d’euros, la taille cible du fonds étant de 500 millions d’euros de fonds levés. Ce véhicule a pour objectif d’octroyer des financements en dette senior à des entreprises de taille intermédiaire. Nous souhaitions intervenir sur ce segment avec un angle différent. Nous avons donc ajouté cette dimension d’impact. Les financements du fonds sont assortis, aux côtés des classiques covenants financiers, de covenants extra-financiers, ou « covenants d’impact » (création d’emplois, réduction du bilan carbone, éducation et formation, etc.). Cela a un écho très positif auprès des entreprises. Ces covenants mettent en valeur leurs efforts sur ces enjeux. Et les entreprises bénéficient bien-sûr d’incitations financières à atteindre leurs objectifs et à bien se comporter, comme le groupe Bertrand qui s’est engagé à embaucher 3 500 personnes à 95% en CDI. S’il tient ses objectifs, le taux du prêt que leur a fait Eiffel Impact Debt baissera. En tant qu’investisseur, notre rôle est d’encourager les entreprises à contribuer à un monde plus durable et inclusif.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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