Le scénario tant espéré des investisseurs d’une reprise en V semble s’éloigner. Dans ce contexte encore incertain, Jean-Denis Bachot, Country Head France de Fidelity International, privilégie surtout les valeurs de qualité disposant de fondamentaux économiques solides. Il se montre également plus confiants sur les actions asiatiques que sur les actions américaines.

Décideurs. Quel est votre scénario de reprise économique ? Une reprise en V est-elle encore possible ?

Jean-Denis Bachot. Nous sommes plus pessimistes que le consensus. Notre scénario central porte sur une reprise en forme de U et nous pensons que cette prévision a 60 % de chance de se réaliser, contre 30 % pour notre scénario le plus pessimiste et 10 % pour une reprise en V. Le PIB mondial devrait ainsi se contracter de 1,7 % en 2020 avant de rebondir en 2021, avec une croissance de + 3,8 %. Des mesures de distanciation sociale seront probablement imposées jusqu’à la fin de l’année. L’approche économique doit cependant être différenciée selon les secteurs. Pour les services de base, la consommation ou l’énergie, la demande qui ne s’est pas matérialisée au cours du premier semestre est définitivement perdue, par opposition aux secteurs des télécoms, de la technologie et de la santé, où celle-ci est simplement différée. L’épidémie de Covid-19 a constitué un choc exogène. C’est donc la durée de la crise, plutôt que son ampleur, ainsi que la capacité des économies à en sortir qui reste la vraie énigme.

Au regard du rebond des principaux indices mondiaux depuis quelques semaines, les investisseurs semblent déjà projetés sur l’après crise du Covid-19. Sur le plan boursier, le pire est-il aujourd'hui derrière nous ?

Une statistique montre la violence du choc : le S&P 500 a varié de 4 % ou plus pendant huit journées consécutives au mois de mars 2020. C’est un record historique, supérieur à celui de 1929. La question est désormais de savoir si des risques extrêmes pourraient resurgir comme une crise politique ou économique au sein de l’Union européenne ou l’arrivée d’une seconde vague épidémique. Ces situations affecteraient alors certains secteurs déjà particulièrement touchés et auraient un impact très négatif sur les marchés. Si ces différents risques restent maîtrisés, nous pourrons dire que le pire est probablement derrière nous. Économiquement, nous nous attendons à une augmentation sévère du chômage et du nombre de faillites d’entreprise.

"Sur le marché des obligations high yield, les spreads compensent aujourd’hui la hausse des taux de défaut à venir" 

Dans ce contexte, les gérants et analystes privilégient sans surprise les entreprises en capacité de faire de la croissance, notamment dans le secteur de la tech. Qu’en est-il pour vous ?

Le débat entre les valeurs dites « value » ou de « croissance » nous semble dépassé. Nous privilégions surtout les valeurs de qualité disposant d’un bilan solide, de cash-flows visibles et de suffisamment de liquidités pour surmonter la crise, absorber leurs concurrents ou réinvestir. Nous préférons donc les valeurs affichant une forte visibilité sur leurs bénéfices. Si l’épidémie de Covid-19 a renforcé la suprématie de la technologie, nous regardons aussi des entreprises de secteurs considérés comme « value » ou cycliques lorsqu’elles font preuve d’une grande résilience.

Sur le marché du crédit, les obligations à haut rendement se négocient avec des rendements en forte hausse depuis le début de la crise. Malgré le risque qui pèse sur ce segment, certaines obligations peuvent-elles constituer des opportunités d’investissement ? Le soutien de la Fed peut-elle renforcer cet intérêt ?

Nous avons assisté en début de crise à une dislocation extraordinaire sur le marché de crédit. Des mouvements violents ont eu lieu sur les segments du high yield et de la dette émergente. La recovery fut tout aussi impressionnante. Ce retour à meilleure fortune a été soutenue par l’action de la Fed qui a réalisé ses premiers rachats sur la dette à haut rendement américaine. Cette classe d’actifs a surperformé le S&P 500, et devrait continuer à le faire. Les meilleures affaires se font toujours après les plus grands risques de marchés. Les spreads compensent aujourd’hui la hausse des taux de défaut à venir. Pour performer, il faudra néanmoins réussir son bond picking, bien analyser les fondamentaux des entreprises. La chasse au rendement va continuer dans un environnement de taux durablement bas.

"Les enjeux ESG pouvaient être considérés comme un luxe dans un marché haussier. Ils sont devenus une nécessité dans un marché baissier"

Quelles sont vos convictions d'investissement pour les prochains mois sur les marchés actions ?

Nous investissons dans ce que l’on pourrait appeler le nouvel ordre économique. Certaines valeurs ou secteurs bénéficient de mouvements démographiques et sociétaux puissants. Dans cet environnement nous privilégions des entreprises de qualité, ayant la capacité de continuer à distribuer des dividendes, au travers de nos fonds FF - Global Dividend Fund, investi dans les actions internationales, FF - Global Multi-Asset Income, sur les actifs diversifiés. La prédominance de l’Asie dans le monde, et en particulier de la Chine, devrait continuer à s’affirmer. Nous sommes à ce titre plus confiants sur les actions asiatiques que sur les actions américaines. La consommation en Chine notamment est portée par des leviers de croissance puissants qui ne vont pas se tarir, comme en attestent nos fonds FF - Asia Focus Fund et FF - China Consumer Fund. Par ailleurs, nous apprécions les investissements mettant en avant un capitalisme plus durable avec des thématiques, comme par exemple celle portant sur la gestion de l’eau et des déchets proposée dans notre fonds FF - Sustainable Water & Waste Fund. 

Les titres des entreprises les mieux notées sur le plan environnemental, social et de gouvernance ont mieux résisté à la chute des marchés. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Est-il seulement conjoncturel ou plus durable ?

Les enjeux ESG pouvaient être considérés comme un luxe dans un marché haussier. Ils sont devenus une nécessité dans un marché baissier. Entre le 26 février et le 19 mars, les indices ont perdu 26,7 %. Les valeurs les mieux notées (A et B), selon l’outil propriétaire de notation extra-financière de Fidelity, ont bien mieux résisté, atténuant de 50 % la baisse. A contrario, les titres les moins bien notés, entre C et E, ont chuté bien plus que le benchmark. Les bons élèves bénéficient en effet de business models plus pérennes, avec une meilleure prise en compte du bien-être de leurs salariés, de leur impact environnemental et des questions de gouvernance. Ces entreprises sont en avance sur leur temps. L’approche ESG est visible sur tous les continents. Même en Chine, le sujet s’invite dans les conseils d’administration. L’épidémie de Covid-19 a apporté une preuve grandeur nature de leur pertinence.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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