La forte remontée des marchés actions interroge. La bourse est-elle aujourd'hui déconnectée de l’économie ? Ou est-elle tout simplement prête à payer certaines valeurs de croissance plus chères ? Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des Gestions chez OFI AM, penche très largement pour la seconde hypothèse.

Décideurs. La récente remontée des marchés financiers est-elle justifiée ?

Jean-Marie Mercadal. Oui, dans une certaine mesure. Les marchés considèrent que le trou d’air lié au Covid-19 est terminé. Les grands États ne prendront plus de mesures globales de confinement. Les hôpitaux et les populations, aujourd’hui équipés en masques, sont mieux préparés à faire face à cette maladie. Les marchés anticipent donc la fin de la récession, l’une des plus violentes de l’histoire. Dans sa dernière communication, le FMI s’attend à une baisse du PIB 2020 de 12 % en France et de 7 % en Europe. Aux États-Unis, l’institution table sur une contraction proche de 6 %. Malgré tout, les indices boursiers sont stables ou en légère baisse depuis le début de l’année. Ce parcours se justifie en partie par un environnement de taux extrêmement bas, rendu possible par l’action des banques centrales.

Le découplage entre la bourse et l’économie réelle peut-il durer ?

Cette situation pose la question de la valorisation. Les repères historiques sont aujourd’hui compléments faussés. En temps normal, le marché US se paye entre 16 et 17 fois les bénéfices futurs. Aujourd’hui, ce chiffre est proche de 20. La bourse ne se déconnecte pas vraiment de l’économie, elle est juste prête à payer certaines valeurs de croissance plus chères.

"Il faut être investi sur les actions, mais pas à l’excès"

Faut-il, dès à présent, jouer la carte de la rotation sectorielle, revenir sur des sociétés dont l’activité a été fortement dégradée par les mesures de confinement ? 

Je pense qu’il peut y avoir des rattrapages ponctuels. Le creux de la récession est passé. Il est donc possible qu’au cours des prochains mois certaines industries cycliques voient leurs cours remonter significativement. Mais dans un monde de croissance structurellement faible, marqué par des taux proches de zéro, la structure d’un portefeuille boursier doit être composée de valeurs de croissance. Certains secteurs dits « value » seront également fortement impactés par des changements structurels. C’est par exemple le cas du secteur automobile. Des investissements colossaux devront être réalisés pour aborder en position de force le virage environnemental, et ce dans un cadre très concurrentiel. Il en est de même pour les banques qui devront composer durablement avec des taux d’intérêt très bas.

Le risque pesant sur les obligations high yield vous paraît-il aujourd’hui assez bien rémunéré ? Les risques de faillites ou d’incidents de paiement sont-ils bien évalués ?

Le marché est allé très vite. Alors que les rendements étaient de 9 % il y a à peine trois mois, ils s’approchent aujourd’hui de 4,5 %. En relatif, le risque est encore bien payé. Le taux implicite de défaut sur le high yield se situe entre 25 % et 30 %. Ce chiffre est historiquement très important. Nous pensons donc que le moment est opportun pour revenir massivement sur le crédit, à la fois sur le segment de l’Investment Grade et du high yield.

Est-ce le moment de se positionner sur des obligations convertibles ?

Les obligations convertibles se sont montrées très résilientes depuis le début de la crise. Elles ont tiré avantage de leur profil asymétrique. Le momentum est particulièrement intéressant dans la mesure où l’on est revenu au point optimal de leur convexité.

"Le moment est opportun pour revenir massivement sur le crédit"

Quelles sont les convictions d'investissement des équipes d'OFI AM ? Où placez-vous le curseur sur l’échelle du risque ?

Nous sommes neutres. Nous considérons qu’il faut être investi sur les actions, mais pas à l’excès. Les marchés sont aujourd’hui bien valorisés. Cette année les bénéfices vont baisser. Nous aurons une vision plus claire des effets du confinement à la fin du mois de juillet, lorsque les entreprises auront publié leurs résultats du second trimestre. Si les résultats seront probablement catastrophiques, le marché est en réalité déjà focalisé sur les bénéfices de l’année prochaine. Nous anticipons encore de fortes périodes de volatilité. Nous profiterons alors de nouvelles baisses ou d’un moment de panique pour nous repositionner plus fortement sur les marchés actions.

L’investissement ESG a montré sa résilience depuis le début de la crise. Mais cette stratégie reste-t-elle l’une des priorités des entreprises ? Sera-t-elle mise entre parenthèse le temps de laisser passer la crise ?

Au contraire, il va y avoir une demande accrue pour un investissement plus vertueux. Les clients ou consommateurs vont exiger des entreprises plus de transparence, un soin plus grand apporté aux aspects environnementaux, sociétaux et de gouvernance. Il serait très mal perçu que les plus grandes entreprises adoptent de mauvais comportements. Les valeurs cotées ne peuvent pas faire fi d’un mouvement aussi puissant. Pour les PME la donne pourrait être différente, certaines d’entre elles devant en priorité assurer la survie de leur activité.

Outre les conséquences de l’épidémie de Covid-19, quel sera le principal facteur de risque sur les marchés au cours de la deuxième partie de l’année ?

Les élections américaines seront à suivre de près. Il pourrait notamment y résulter des surenchères médiatiques de la part Donald Trump remettant en cause les relations commerciales entre les USA et la Chine. Joe Biden, de son côté, propose de remonter l’impôt sur la société. Une telle décision ne serait probablement pas appréciée par les marchés.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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