Virginie Chapron-du Jeu est la directrice des Finances du Groupe Caisse des dépôts et la Présidente de Novethic. Très impliquée sur les enjeux autour de la transition écologique, elle estime que la crise sanitaire agit comme un révélateur encore plus fort des enjeux sociétaux, et accélérera sans nul doute la transformation de notre société.

Décideurs. Le plan de relance européen de 750 milliards d’euros a notamment pour ambition d'accélérer la transition écologique. Quelle place les acteurs de la finance peuvent-ils tenir dans cette transformation ?

Virginie Chapron-du Jeu. Les annonces politiques récentes en France et en Europe convergent vers une relance économique jouant le rôle d’accélérateur de la transition écologique. C’est une occasion unique qui se présente à nous pour construire une économie plus résiliente. Les acteurs de la finance ont un rôle essentiel à jouer dans ce schéma à double titre : au travers la promotion des modèles économiques bas carbone et de leur financement, d’une part, et au travers de la réduction des investissements néfastes pour le climat et la biodiversité, d’autre part. L’enjeu est donc de pousser les entreprises à transformer leurs modèles de production tout en préservant leur rentabilité.

À la Caisse des dépôts, qui est un investisseur au service des citoyens et des territoires sur le long terme, nous avons la conviction, que la transition écologique doit être un axe prioritaire de la relance. Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en France implique des investissements supplémentaires estimés à 60 milliards d’euros par an. Ces sommes, colossales, sont cependant essentielles à la préservation de la qualité de vie des générations futures.

Le Groupe Caisse des Dépôts prendra sa part dans cet effort.

Quels sont les impacts de cette décision sur vos investissements ?

Nos financements verts, en forte augmentation, seront orientés vers les secteurs peu émetteurs de gaz à effet de serre et des projets favorables à l’environnement et à la biodiversité, et, dans le même temps, créateurs d’emplois. Nous y consacrerons plusieurs dizaines de milliards d’euros sur la période 2020-2024 sur l’ensemble du territoire national, à travers la Banque des Territoires et Bpifrance pour les entreprises en concentrant nos efforts sur les trois secteurs prioritaires de la lutte contre dérèglement climatique : le logement, le transport et l’énergie.

Par ailleurs, nous voulons que tous nos portefeuilles soient neutres en carbone d’ici 2050. En tant qu’investisseur institutionnel de premier plan, notre démarche est de renforcer le dialogue actionnarial avec les entreprises afin qu’elles réduisent leur empreinte carbone, et de donner des outils d’accompagnement à destination des entreprises et des collectivités locales pour les aider dans leurs projets de transition écologique.

Pour pouvoir peser encore davantage dans le processus décisionnel de ces entreprises, nous nous sommes engagés dans un collectif international d’investisseurs institutionnels appelé Net Zero Asset Owner Alliance. Cette coalition totalise 4 000 milliards d’euros d’encours sous gestion et chacun de ses membres a pris l'engagement d'assurer la transition de leur portefeuille d'investissements vers une neutralité carbone d'ici 2050.

"Nous poussons les entreprises à transformer leurs modèles de production tout en préservant leur rentabilité"

La crise sanitaire pourrait avoir des conséquences importantes sur le marché de l'immobilier professionnel et même résidentiel. Quels changements anticipez-vous ?

Nous observons une résilience de l’immobilier résidentiel depuis le début de l’année, même si nous devons rester prudents. Si on observe les crises passées, le marché résidentiel réagit historiquement de manière décalée par rapport à l’activité économique et aux marchés financiers. Même si le chômage amène un choc de demande, les conditions monétaires vont rester accommodantes et la pierre garde une certaine aura. Cet environnement devrait permettre de détendre la tension si elle arrive sur le marché immobilier.

Le sujet est plus sensible pour l’immobilier professionnel, traditionnellement plus exposé aux variations du cycle économique. Je pense notamment aux secteurs du tourisme et du commerce.

Concernant les bureaux, nous avons vu que la crise sanitaire a modifié les usages à travers le télétravail. Post crise, ce segment pourrait connaître une accélération structurelle, cependant du point de vue de l’investisseur dans l’environnement de taux très bas, ces actifs continuent à offrir un rendement relatif attractif

Qu'en est-il de la prise en compte des critères de developpement durable dans le secteur de l'immobilier ?

Nous anticipons également la prise en compte toujours plus importante des critères énergétiques. La rénovation énergétique des bâtiments est un enjeu clé puisque plus de 19 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des logements. Il faut mettre un terme aux 5 à 7 millions de « passoires thermiques », et rénover près de 20 millions de foyers. Concentrer nos efforts sur ce secteur, comme nous avons décidé de le faire, sera extrêmement bénéfique puisque, soulignons-le, il s’agit de l’un des secteurs les plus créateurs d’emplois en France. On estime d’ailleurs qu’il pourrait créer 160 000 emplois d’ici 2030.

"La crise sanitaire agit comme un révélateur encore plus fort des enjeux sociétaux"

Quel sera le rôle des métiers de la finance dans la conduite des changements sociétaux ?

Leur rôle sera très important. Nous voyons déjà l’impact des investissements socialement responsables, choisis selon des critères dépassant le simple cadre de la rentabilité économique. Ces choix ont permis de changer la donne sur de nombreux sujets : santé publique, droits de l’homme, gouvernance, lutte contre le dérèglement climatique... Aujourd’hui, la crise sanitaire me semble agir comme un révélateur encore plus fort des enjeux sociétaux. Et il y en a beaucoup : justice sociale, cohésion des territoires, égalité femmes-hommes, bien-être au travail… Il faut faire attention à appréhender ces sujets dans leur globalité et pouvoir piloter les financements des investisseurs institutionnels dans la bonne direction. C’est pourquoi, à l’échelle du Groupe Caisse des Dépôts, nous avons choisi sept Objectifs du Développement Durable prioritaires parmi les 17 définis par les Nations Unies avec des indicateurs clés : climat et transition énergétique, réduction des inégalités, éducation, croissance économique et emplois décents, ville durable, infrastructures et innovation.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien) et Emilie Zana

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