En quelques décennies, le street art a opéré une mue spectaculaire, passant du statut d’art contestataire et antisystème à celui de coqueluche du marché de l’art. Encore très jeune sur le marché secondaire, il offre de vraies opportunités. À condition de ne pas se focaliser sur les stars internationales devenues inabordables.

C’est une Marianne un peu particulière que découvraient les téléspectateurs des traditionnels vœux du président de la République, prononcés par Emmanuel Macron le 31 décembre 2017. Signée du célébrissime street artiste américain Obey, l’œuvre était en fait une reproduction miniature de la version originale monumentale peinte sur une façade d’un immeuble du XIIIe arrondissement de Paris, en signe d’empathie avec le peuple français au lendemain des attentats de novembre 2015. Ce passage du monde de la rue dont il est issu aux cimaises de l’Élysée résume parfaitement la trajectoire opérée par le street art ces dernières années : son institutionnalisation. 

Les quatre fantastiques 

Un phénomène quasi contre-nature pour un courant né dans l’espace public, propriété de tous et de personne et contestataire par essence. Issu de la rencontre de deux mouvements nés dans les années 1960, l’art urbain et le writing, le street art brille par l’éclectisme de ses formes, de ses supports et des matériaux utilisés. Bien souvent revendicatif, il ne manque pas d’égratigner plus ou moins subtilement les dérives de notre société. Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Kaws et Banksy sont communément admis en être les premiers représentants. D’ailleurs, le cote sur le marché de l’art n’est plus à faire. En 2019 par exemple, Jean-Michel Basquiat rapportait 93,8 millions de dollars en ventes aux enchères, alors que Kaws, lui, ne totalisait "que" 90,3 millions de dollars. Une anomalie pour un courant qui entend dénoncer les dérives du système, capitalisme en tête. Mais, comme en convient sobrement Ophélie Guillerot, experte au sein de la maison de ventes Aguttes, en street art comme ailleurs, "les artistes ont besoin de vivre de leur art". 

Banksy, le porte-étendard… 

Qualifié de simple mode il y a encore quelques années, l’engouement pour le street art ne se dément pas, bien au contraire. Le succès de ces grands noms, ou d’artistes moins connus, témoigne de la volonté des amateurs et collectionneurs de se diversifier. Quitte à dévoyer quelque peu le projet artistique même du street art : contester et être accessible à tous gratuitement. Certains artistes s’en accommodent parfaitement, assumant de tirer les bénéfices de leur travail. D’autres s’offusquent des proportions incroyables que certaines ventes aux enchères peuvent prendre. Ou, à tout le moins, font mine de s’en offusquer. C’est notamment le cas de Banksy. Pour dénoncer les sommes astronomiques déboursées par les collectionneurs pour s’offrir l’une de ses œuvres, l’artiste a décidé d’orchestrer en direct la destruction de son œuvre quelques secondes après son adjudication chez Sotheby’s en 2018. Ironie de l’histoire, ce coup d’éclat n’a fait, selon les experts, que de faire grimper la valorisation de l’œuvre.  

… et arbre qui cache la forêt 

Si le plus célèbre des anonymes du monde du street art est désormais un habitué des records de vente, d’autres n’ont pas toujours cette chance. Du pain bénit pour les collectionneurs qui ne disposent pas de millions à investir. Les galeries, les réseaux sociaux et même les salles de ventes fourmillent d’artistes encore méconnus et dont la cote demeure accessible au commun des mortels. Le meilleur conseil, avant de se lancer, est de "fonctionner au coup de cœur", selon Ophélie Aguttes. Si le marché du street art s’est réellement structuré ces dernières années, il est loin d’être tout à fait consolidé. Il faudra sûrement attendre que les expositions dans des musées d’envergure se multiplient. D’ici là, de très bonnes affaires attendent les collectionneurs.  

Sybille Vié

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