Technique de transmission d’entreprise au sein d’une même famille, le family buy out regorge d’avantages tant pour les cédants que pour les repreneurs. Jérôme Commerçon, avocat associé chez Scotto Partners, explique les rouages de ce dispositif. 

 

DÉCIDEURS. Pouvez-vous revenir sur le dispositif du family buy out ?
Jérôme Commerçon. L’opération de family buy out (FBO) est un mécanisme permettant la transmission d’une entreprise familiale d’une génération d’associés en place et détenant le capital de la société, à la génération suivante qui sera regroupée au sein d’une nouvelle holding. Ce dispositif combine des problématiques liées au droit des successions, au régime fiscal de faveur du pacte Dutreil transmission, ainsi qu’au mécanisme de levier bancaire bien connu dans les opérations de leverage buy out (LBO). Il est d’ailleurs possible de cumuler un FBO avec une ouverture du capital à un fonds d’investissement, généralement minoritaire dans ce cas, et ainsi permettre de bénéficier de financements complémentaires pour permettre aux membres de la famille repreneurs de prendre le contrôle de l’entreprise et/ou financer sa croissance.

 

Concrètement, comment se déroule un FBO ?
Tout d’abord, le chef d’entreprise doit identifier le ou les repreneurs parmi ses enfants, qui auront par principe vocation à recevoir la majorité des titres de la société. Dans certains cas, un membre de la famille peut intégrer l’entreprise en amont de l’opération, lui permettant ainsi de travailler avec le chef d’entreprise pour qu’au moment du FBO il soit déjà prêt à prendre la relève. Du point de vue juridique, un FBO nécessite la conclusion d’un pacte Dutreil sur les titres de la société à transmettre et la réalisation d’une donation au profit du ou des enfants du chef d’entreprise. Dans l’hypothèse où le dirigeant décide d’avantager l’héritier repreneur en lui attribuant un lot d’actions plus important qu’aux autres héritiers présomptifs, le droit civil permet de garantir le respect de l’équilibre successoral en constituant des soultes à la charge du donataire repreneur avantagé. Par la suite, les donataires apportent les titres reçus à la holding de reprise nouvellement créée. Aussi, la réalisation d’un FBO nécessite bien souvent le recours à une dette bancaire contractée par la holding de reprise, permettant ainsi le paiement par celle-ci des soultes le cas échéant, et le paiement du prix des actions que le chef d’entreprise aura décidé de céder. Enfin, il est nécessaire d’instaurer un nouveau groupe d’intégration fiscale avec la holding de reprise en tête de groupe.
 
Pourquoi avoir recours à un FBO ?
Il convient d’être à l’écoute du chef d’entreprise pour assurer la transmission de sa société. Bien qu’il souhaite faire perdurer son entreprise dans le cercle familial, il arrive que tous les enfants n’aient pas vocation à travailler au sein de la société. Dans ce cas, le FBO permet la transmission de l’entreprise à la nouvelle génération en respectant les règles successorales de répartition propres au droit civil tout en évitant un endettement personnel des repreneurs et en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse au moment de la transmission (notamment par la conclusion d’un Pacte Dutreil transmission).

 

"Le family buy-out est un moyen efficace pour le chef d’entreprise de répartir son patrimoine tout en se constituant un capital financier"

Par ailleurs, les intérêts versés par la holding de reprise au titre de l’emprunt bancaire contracté peuvent, dans une certaine mesure, être déductibles du résultat imposable du groupe (il convient cependant d’être vigilant à l’application du dispositif anti-abus dit de "l’amendement Charasse" qui peut limiter cette déduction de charges financières). En définitive, le FBO est un moyen efficace pour le chef d’entreprise de répartir son patrimoine entre ses héritiers en respectant les équilibres envisagés, tout en se constituant un capital financier pour la retraite par la cession d’une partie de ses actions à la holding de reprise. C’est un aspect psychologique important pour l’entrepreneur qui peut ainsi partir à la retraite sereinement.

 

Avez-vous un exemple en tête ?
L’illustration type, encore rencontrée très récemment, est le cas d’une famille où les enfants seuls n’avaient pas la capacité de racheter l’ensemble des parts sans nécessiter le recours à un endettement de la holding de reprise trop important. Pour faire face à cette situation, les parents ont dans un premier temps co-investi dans la holding de reprise, pour faciliter le rachat de leurs parts dans un second temps. Cela permet une transmission progressive de l’entreprise tout en limitant les risques et les coûts financiers trop importants. Ce réinvestissement partiel de la génération sortante dans la holding de reprise permet aussi de faciliter l’entrée éventuelle au capital de nouveaux talents familiaux souhaitant rejoindre la gestion de l’entreprise en disposant d’une sorte de réserve de titres à leur transmettre.
 
Quel est le timing idéal ?
Il n’y a pas de timing idéal mais il est important d’anticiper ces sujets suffisamment en amont pour identifier le ou les enfants repreneurs, et leur donner les moyens d’être suffisamment préparés à reprendre l’entreprise au moment de la mise en place du FBO. Nous recommandons au chef d’entreprise qui transmet sa société de rester, si cela s’avère nécessaire, pendant une période de deux à cinq ans maximum (passé ce délai, des incohérences de gestion et des tensions au sein de la famille pourraient apparaître). En pratique, entre l’initiation de la réflexion, la détermination des bons équilibres et de la structure juridique précise de l’opération, ainsi que la détermination de la valeur du groupe, l’opération s’étale fréquemment sur une durée de six à douze mois. Pour complètement transmettre les rênes de l’entreprise, la durée peut évidemment s’étaler sur plusieurs années en fonction du degré de maturité du chef d’entreprise sur le sujet.
 
Comment travaillez-vous sur ces dossiers ?
Ces dossiers nécessitent l’intervention des membres des équipes fiscales et juridiques du cabinet, qui doivent travailler de concert et en architecture ouverte avec les notaires, experts-comptables, valorisateurs et parfois les gestionnaires de fortune de la famille dans la mesure où le dispositif de FBO combine des problématiques financières, juridiques et fiscales qui peuvent, selon les opérations, être particulièrement complexes. Par ailleurs, les conseils intervenant sur ces dossiers doivent faire preuve de psychologie et comprendre le contexte familial dans lequel ils interviennent. Au-delà de la mise en place des opérations, nous avons bien souvent un véritable rôle de médiateur familial.
 
Quels sont les risques ?
L’un des risques les plus importants est celui de ne pas correctement ajuster l’endettement de la holding de reprise. Aussi, certains blocages liés à la répartition des droits financiers et à la gouvernance peuvent apparaître.

 

"La tentation est grande pour un entrepreneur qui transmet à ses enfants de sous-valoriser l’entreprise pour les favoriser"

Par ailleurs, la conclusion d’un pacte Dutreil nécessite une analyse approfondie qui doit être réalisée par des professionnels s’assurant de l’éligibilité et du respect des conditions propres à ce régime. Enfin, la tentation est grande pour le chef d’entreprise qui souhaite transmettre sa société à ses enfants de sous-valoriser la valeur retenue dans le cadre des donations et il est important de recourir à un conseil fiscal maîtrisant les méthodes de valorisation d’entreprise et les pratiques de l’administration fiscale lors des contrôles.

 
Est-il possible d’avoir recours à un FBO si l’entreprise possède une filiale à l’étranger par exemple ?
Oui tout à fait ! En revanche, il est nécessaire de ne pas négliger la complexité que cela introduit puisque certaines problématiques liées au contexte international de l’opération pourront apparaître. À titre d’exemple, dans le cas où une partie de l’activité serait située dans une zone géographique différente du siège social qui se trouve en France, nous devons nous demander où localiser la holding de reprise. Selon les législations et les schémas implémentés, les intérêts sur la dette ne seront pas forcément déductibles de la même façon. De plus, les repreneurs peuvent ne pas être résidents dans le même pays que la société. Les questions à se poser porteront alors sur l’exit tax, le traitement fiscal du dirigeant entrant et le régime de droit de donation et les règles de succession dans un cadre international. 
 
Propos recueillis par Marine Fleury

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