La macroéconomie et la géopolitique drivent les marchés financiers. Les derniers mois ont vu encore un cygne noir arriver avec la remontée brutale des taux d’intérêt qui a généré le retour des fonds euro attractifs et le réveil de la gestion de trésorerie. Dans ce contexte d’incertitude, le Luxembourg reste le pilier européen rassurant de la gestion de patrimoine. Décryptage avec Laurent Gayet, deputy CEO chez AXA Wealth Europe. 
Décideurs. L’inflation durable engendre- t-elle une inflexion de tendance ?
Laurent Gayet. Oui, mais pas seulement. La guerre en Ukraine, les tensions entre la Chine et les États-Unis, la fin d’une politique monétaire généreuse ont modifié les paradigmes de gestion et 2022 fut une année marquée par la convergence d’éléments imprévisibles qui deviennent désormais la norme et aucune classe d’actifs et de zone géographique ne fut épargnée. Les clients et leurs conseils se mettent aujourd’hui en position d’attente avec le choix du sans risque bien rémunéré : la réponse réside alors dans les fonds euro boostés par des bonus et les dépôts à terme tout en y adjoignant un zeste de produits structurés à capital garanti et une pincée d’ETF à frais réduits. Avec la fin des taux négatifs, les banquiers autrefois très pourvoyeurs d’assurance sont entrés en concurrence frontale avec les dépôts à terme obligeant les assureurs à surrémunérer les fonds garantis que l’on croyait tendre vers la mort lente. Cette surenchère court-termiste, nécessaire pour éviter des rachats massifs, nous oblige à la vigilance si le spread entre le rendement courant des actifs généraux des fonds euro et celui offert par les placements obligataires alors disponibles devenait trop important. Si on y ajoute un client inquiet avec des effets post-Covid, de psychologie anxiogène exacerbée par des guerres actuelles voire futures annoncées et des récentes faillites bancaires, l’attentisme est de mise et la procrastination de rigueur.
 
Quelles sont les conséquences d’une année telle que l’a été 2022 pour les marchés ?
Nul n’est désormais censé ignorer le cygne noir qui va advenir et l’annus horribilis que fut 2022, en effet, même si nous voyons un léger rebond depuis janvier dans une tendance néanmoins mitigée entre crainte de récession forte et ralentissement modéré de l’économie mondiale en 2023. Nous sentons toujours une certaine fébrilité notamment sur le private equity que la remontée des taux ne favorise pas. D’ailleurs ces crédits chers impactent fortement nos deux principaux moteurs d’alimentation business que sont les ventes immobilières et les opérations de fusions-acquisition.

 

"Un seul mot résume le succès du Luxembourg : la confiance qui reste la mère des vertus patrimoniales"

Car à défaut de fourmi prêteuse la cigale est alors en mal de placements. Ces dix dernières années, plus vous preniez des risques et plus vous gagniez de l’argent : la période est révolue mais de nouvelles opportunités vont se présenter et la bonne tenue des marchés financiers européens et émergents illustre cette capacité de rebond.
 
Pourquoi placer son patrimoine chez un assureur luxembourgeois ?
Au Luxembourg, nous sommes un marché d’unités de compte et la diversification qui reste un élément majeur de protection des portefeuilles est notre totem. L’État est très peu endetté et il est rassurant pour les personnes fortunées de placer leur épargne au sein d’un pays qui sait gérer ses finances publiques. Les familles sont de plus en plus mobiles et la capacité à disposer de conseils au niveau international est un atout qui fait de plus en plus sens aujourd’hui. Étonnamment au dernier salon de l’expatriation 60 % des visiteurs étaient de jeunes retraités qui envisageaient de jouer les anachorètes. Or, l’enveloppe assurantielle est le réceptacle qui voyage le mieux. Elle est par ailleurs, sauf exception, à l'abri des dispositifs anti-abus puisque la plupart des pays européens la favorisent légalement, ce qui est un gage de sérénité pour les clients. Un seul mot résume le succès du Luxembourg : la confiance qui reste la mère des vertus patrimoniales.
 
Le numérique vous soutient-il en ce sens ?
Lorsque quasi 100 % du business est hors frontières luxembourgeoises, le digital est un must have mais avec son pendant, la cyber sécurité, qui est une constante stratégique chez AXA. Notre capacité à protéger les données dans un pays qui connaît le secret des assurances est en effet un enjeu majeur. L’idée est de conserver une approche très humaine et de proximité tout en optimisant les outils pour des clients augmentés et très zappeurs, surtout les jeunes générations pour lesquelles un simple clic doit permettre de répondre à 80 % de leurs besoins. Heureusement il reste les 20 % d’expertise haut de gamme qui doivent faire la différence. Car en Wealth le 100 % numérique est illusoire et tant mieux ; et l’intelligence artificielle n’a pas la plasticité de notre cerveau indispensable dans un métier où la part d’émotionnel est essentielle.
 
Comment percevez-vous l’avenir de la gestion de patrimoine ?
Le marché de la gestion de patrimoine reste un marché en croissance qui sait toujours faire preuve de résilience. Dans le contexte actuel avec des personnes de plus en plus âgées et en bonne santé, nous héritons aujourd’hui à l’âge où nous mourions hier. L’aspect anticipation des transmissions qui ont fait le succès des donations des apports semble donc moins prégnant aujourd’hui avec des clients plus focalisés sur les taux de rémunération de leur épargne, ce qui entraîne une guerre des taux et des frais dont on peut regretter qu’elle soit parfois le seul prisme de décision finale, un tableur Excel de comparatif de prix comme seul support. Il est vrai que les clients fortunés sont habitués à ce que notre valeur ajoutée patrimoniale internationale ne soit pas facturée mais les évolutions réglementaires et fiscales complexifient l’environnement et obligent alors à repenser les business models pour préserver les marges salutaires des différents acteurs (courtiers, banques, assureurs, agents, …). Le numérique aidera mais chacun des maillons de la chaîne de valeur, y compris le client, doit toujours avoir à l’esprit qu’un bon conseil a un coût mais n’a pas de prix et que la fidélité s’inscrit dans la durée si l’accompagnement incarne une qualité de service mesurable.
 
Propos recueillis par Marine Fleury

Personnes citées

Laurent Gayet

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