Chute de Credit Suisse, transparence fiscale ou encore blockchain et actifs numériques, des sujets au cœur de l’actualité et des réflexions de l’Association de banques privées suisses. Son président, Grégoire Bordier, nous en dit plus.

Décideurs. Quel est le rôle de l'ABPS, quelles sont ses missions ?

Grégoire Bordier. L’Association a pour mission principale de défendre les conditions-cadres de gestion de la fortune en Suisse, qui se jouent au niveau fédéral, avec le concours de notre association faîtière, l’ASB. Elle regroupe des membres tant en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Il s’agit de banques de tailles différentes, mais qui sont toutes aux mains de familles et principalement axées vers la gestion de fortune au sens large : privée, institutionnelle et gestion d’actifs.
 
Comment percevez-vous la récente faillite de Credit Suisse, reprise par UBS ?
 
Faisons deux pas en arrière afin de bien comprendre. En 2008, Credit Suisse n’a pas eu besoin d’être secourue, tout en ayant conscience qu’il s’en est fallu de peu. Pendant les années suivantes, il y a eu vraisemblablement une prise de risques démesurée, avec des investissements peu judicieux comme dans Archegos et Greensill, deux situations ayant démontré le début du problème. D’autres sources de conflit avec des clients, ainsi que des poursuites judiciaires n’ont par ailleurs pas aidé, et ont alimenté une série de déboires. Au début d’année 2023, il y avait déjà en sous-jacent de la méfiance et des collaborateurs qui quittaient l’entreprise. Au même moment, la FINMA était sur place pour rendre la structure moins agressive, plus conservatrice, et réduire considérablement la taille de la banque d’investissement.

 

"La Suisse a, dans son ADN, une aversion à la nationalisation"

Credit Suisse a subi une crise de confiance, venue des États-Unis avec la Silicon Valley Bank. La panique se propageant, Credit Suisse fait alors l’objet de grosses sorties de fonds qui mettent à mal les opérations d’une telle banque universelle. Elle se tourne alors vers l’État. C’est une nouvelle donne après ce qui avait été mis en place post-2008. La Suisse a, dans son ADN, une aversion à la nationalisation, qui était une des options pour résoudre la situation.

 

Nous avons également sous-estimé l’impact des réseaux sociaux et de l’accélération de l’information, celle-ci passant de mains à mains entre individus. Vous n’êtes alors plus seul face aux médias, vous réagissez aussi à ce que les autres font, en l’occurrence, retirer leur argent de Credit Suisse.
 
Est-ce une opportunité pour les banques privées suisses ?
 

Au niveau de la population c’est un choc : disparition d’un des fleurons de l’économie suisse, emplois à risque, interrogations sur la vigilance des autorités, mesures préventives non prises… Dans le fond, néanmoins, il y a eu très peu d’impact si ce n’est qu’un certain nombre de clients se sont tournés vers des banques comme les nôtres. Une nouvelle répartition des actifs s’est effectuée.

Pouvez-vous expliquer comment l'ABPS travaille pour maintenir la réputation de la Suisse comme l'un des principaux centres financiers du monde ?

Les conditions-cadres reflètent la réputation et la solidité de la place financière suisse. Il ne faut pas oublier que 240 banques vont très bien… Une banque a été touchée mais cela n’a pas pour autant ébranlé le système. Cela dit, nous menons des actions de réflexion et de communication sur ces sujets.
En particulier, les banques de gestion ont un modèle d’affaire différent des banques universelles, particulièrement solide et sûr, sans problématique de bilan actif-passif. Nous sommes des intermédiaires entre les clients et les marchés financiers.
 
Où en est la transparence fiscale en Suisse ?
 
Le processus d’information marche très bien. Depuis l’arrivée de l’échange automatique d’informations (EAI), les systèmes sont en place, le nombre de pays couverts par l’EAI - 108 actuellement - ne cesse de croître, la couverture est mondiale. À aucun moment et pour aucun pays, la Suisse ne refuse d’entrer en discussion. Une modification a eu lieu, cependant : la Suisse, comme la plupart des pays de l’OCDE, n’échange plus avec la Russie, qui a aussi cessé ses échanges.
 
Que pensent les clients de ces échanges d’informations ?
 

La transparence est devenue une norme, les clients acceptent le système. Ils ne viennent pas ouvrir un compte en Suisse dans l’objectif de cacher leurs avoirs aux impôts, mais pour la stabilité et la solidité de la place financière. Le monde est en polycrise, avec une insécurité grandissante et des tensions palpables entre différents blocs tels que la Chine, les États-Unis et le Moyen-Orient. Cette évolution mondiale - sur les plans économique, militaire, environnemental - est inquiétante pour les clients. La dernière fois que nous avons vu ce type de morcellement, c’était avant la Deuxième Guerre mondiale. Nous observons en Suisse une forte augmentation de l’intérêt de nos clients de placer leurs avoirs en Suisse pour ces raisons.

Quel est le problème avec les États-Unis et leur système FATCA, s'il y en a un ?

C’est difficilement compréhensible. Il existait au départ une velléité d’établir au niveau mondial un système unique d’échange d’informations fondé sur FATCA. Seulement les États-Unis ont finalement décidé de garder leur propre système, FATCA, qui n’est pas un échange automatique d’informations complet, ce qui représente un avantage compétitif pour certains clients. Nous attendons toujours que les USA passent au CRS (Common Reporting Standard de l’OCDE). Cette exception américaine complique l’uniformisation internationale de la transparence.

 

Quel rôle voyez-vous pour les technologies de la blockchain et des cryptomonnaies dans l'avenir de la banque privée en Suisse ?
 
La place de bourse suisse, SIX, possédée par les établissements bancaires suisses, a constitué SDX (pour SIX Digital Exchange), une structure qui se spécialise sur les problématiques de tokenisation et de blockchain, et leur utilisation dans le cadre des outils et des instruments financiers. Deux émissions d’obligations tokenisées ont déjà été réalisées, souscrites par des banques pilotes. SDX travaille également à la création d’un stablecoin en franc suisse, conjointement avec la Banque nationale suisse (BNS), ainsi que sur d’autres projets de tokenisation. Il y aura une évolution considérable, à travers la blockchain, de la manière dont on traite une action, une obligation ou un produit financier quelconque, et de leur conservation.

 

"SDX travaille sur la création d’un stablecoin en franc suisse"

Par rapport à la crypto, quelques banques en ont fait un modèle d’affaires, typiquement Sygnum et Seba. D’autres proposent et facilitent les transactions sur leur plateforme. L’évolution plus profonde que nous pouvons constater par exemple aux États-Unis, avec une activité sous-jacente variée, des prêts en crypto, le staking…, je ne l’ai pas encore vue en Suisse, où la position est plus prudente.
 
En revanche, de nombreuses sociétés de ce domaine ont été créées récemment dans plusieurs cantons suisses. Le grand marché d’avenir concerne toutes les sociétés non cotées. Il existe très peu de sociétés cotées par rapport à l’ensemble. Si nous arrivons à donner accès aux investisseurs au capital d’entreprises non cotées, grâce à la blockchain, ce sera un marché énorme.
 
Si je vous dis intelligence artificielle, ChatGPT…
 
Cela ne fait aucun doute que l’impact est et sera important. Le cœur du métier de nos établissements repose en grande partie sur la technologie, quel que soit le métier. Passer à l’échelle requiert ces innovations. L’intelligence artificielle sera un moyen de rendre nos activités plus efficaces et performantes. C’est un outil qui nous simplifie la vie. Innover constamment est essentiel pour évoluer dans notre métier.
 
Quid de la finance durable ?
 
Les problématiques autour de l’investissement durable, bien que mises en veille à cause de la guerre en Ukraine, ne vont pas disparaître. Nos établissements effectuent des investissements importants sur ce sujet, pour pouvoir l’intégrer dans nos activités. Néanmoins, il existe encore des limitations quant aux données récoltées par les agences de notation et fournies par les entreprises notées. En bout de chaîne, le client doit pouvoir disposer des bons outils afin de réaliser les investissements qu’il considère justes. C’est une nouvelle dynamique à laquelle tous les acteurs de la chaîne doivent participer.
 
Propos recueillis par Marc Munier

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