Impact des changements financiers sur les sociétés de gestion, évolution du label ISR, transition écologique, importance de l'éducation financière… Philippe Setbon dresse le bilan et les perspectives de l’AFG, dont il est président depuis juin 2022.
Décideurs. Le contexte financier a beaucoup changé au cours des derniers mois, quel est l’impact de ce changement d’environnement pour les sociétés de gestion ?

 

Philippe Setbon. La hausse récente des taux d'intérêt a transformé la gestion d'actifs, inversant des années de liquidité abondantes et affectant les portefeuilles à court terme. Pourtant, cette évolution introduit un environnement plus favorable à long terme pour les investisseurs et les épargnants. Les taux plus élevés engendrent une différentiation accrue entre les projets économiques selon leur rentabilité, soutenant un développement économique équilibré et la transition vers des modèles durables. Je suis convaincu que cette hausse des taux est, en fin de compte, positive à terme pour nos clients, les sociétés de gestion et les investisseurs en actions.

 

Il semble cependant que les taux aient déjà atteint leur pic aux États-Unis et certains évoquent déjà une baisse à venir…

 

Je ne pense pas que nous reviendrons à une inflation aussi basse qu'avant, en raison des facteurs démographiques, de la pandémie, des perturbations des chaînes d'approvisionnement et de la guerre en Ukraine. Les taux d'intérêt à long terme devraient rester plus élevés qu'auparavant. Leur augmentation exige une sélection accrue dans le financement de l'économie et les investissements.

 

Où en est la réforme du label ISR ? Que pensez de la multiplication des labels ?

 

Les labels sont essentiels pour guider les épargnants dans le domaine en évolution de la finance durable. Cependant, il faut du temps pour qu'un label s'établisse et se répande. De plus, la surréglementation peut être contreproductive en rendant le processus trop complexe ou en limitant drastiquement les possibilités d'investissement. Nous avons participé à la révision du label ISR. Nous avons exprimé notre soutien mais aussi nos réserves. Veillons à ce que l’accumulation de contraintes nécessaires ne conduise pas à marginaliser pas un Label qui commençait à s’installer dans le paysage.

 

Quid d’un éventuel label européen ?

 

La progression d'un label européen pour l'investissement durable est freinée par les différentes approches nationales, dues à la diversité des sensibilités et contextes énergétiques. Bien qu'un cadre commun européen soit en place, l'harmonisation est difficile. Idéalement, un label européen unique remplacerait les labels nationaux, facilitant ainsi la commercialisation des produits dans toute l'Europe, au bénéfice des épargnants.

 

Quel est votre regard sur la multiplication des fonds verts ? Est-ce une nécessité commerciale ?

 

Toute société de gestion, en 2023, considère les enjeux environnementaux, comme le changement climatique et l'empreinte carbone, dans ses stratégies d’investissement. Investisseurs et épargnants l'exigent, et ne pas le faire équivaudrait à se marginaliser. Alors que toutes s'engagent dans la transition écologique, il est vital de tenir des objectifs clairs et ambitieux, avec comme intention principale d'accélérer et réussir cette transition.

 

"Il est vital de tenir des objectifs clairs et ambitieux, avec comme intention principale d'accélérer et réussir cette transition"

Nous défendons activement plusieurs idées fortes pour progresser plus vite dans cette voie ; ainsi, définir précisément le concept de transition nous semble un passage obligé tout comme l’établissement d’un référentiel commun d’analyse. Les sociétés de gestion jouent déjà un rôle actif dans son financement via divers fonds : climatiques et de transition, ainsi que les fonds thématiques.

 

Il ne faut donc exclure aucun secteur ?

 

Il existe bien sûr un socle d'exclusion, comme l'accord de Paris sur le charbon. Nous finançons des industries vertes, mais devons aussi aider les entreprises à passer d'un état non écologique à un état vert par le financement. Il nous faut soutenir cette transformation écologique en finançant des projets rentables, car la non-participation pourrait laisser des secteurs entiers sans financement, créant des problèmes sociaux.

 

"Nous avons besoin d’actions fortes et convergentes pour financer la transition écologique"

Nous avons besoin d’actions fortes et convergentes pour financer la transition écologique : la définition, le financement et la temporalité de la transition constituent des enjeux déterminants.

 

Quel regard portez-vous sur l’éducation financière ? Comment comptez-vous développer une de vos priorités, à savoir le développement de l’épargne en actions ?

 

Renforcer l'éducation financière en France est crucial. Celle-ci permet aux citoyens de prendre des décisions d'épargne et d'investissement éclairées, notamment dans un contexte de transformation technologique. Tous les produits d'épargne ne conviennent pas à tous les projets. Enfin, une connaissance économique et financière solide favorise un financement stable et à long terme, essentiel à notre économie.

 

Plusieurs initiatives sont déjà en cours, notamment celles menées par le Comité stratégique d'éducation économique, budgétaire et financière, dont la mise en œuvre est pilotée par la Banque des France. L'objectif n'est pas de faire de tous des experts en finance, mais de les équiper pour prendre des décisions, comme choisir une voiture sans être un expert en mécanique.

 

L'éducation financière nécessite une formation continue pour les épargnants et les réseaux de distribution. Nous avons créé des guides et des ressources à jour pour aider dans ce processus. Concernant la gouvernance de l’AFG, des responsabilités spécifiques sont affectées pour chaque sujet clé dont la finance durable, l’international, la distribution, la compétitivité et l'éducation financière. Cette approche collaborative assure une attention constante à ces sujets.

 

Comment mesurez-vous la portée de vos actions ?

 

La Banque de France évalue l'impact des initiatives d'éducation financière, auxquelles l'AFG contribue. Il nous faut par exemple donner les clés de lecture quant à la hiérarchie des rendements. En effet, le seul taux d'intérêt nominal peut être trompeur. Il est important de diffuser l’idée que différents investissements conviennent à différentes étapes de la vie et à différents types de projets.

 

Quels sont les travaux prioritaires pour l’AFG et les enjeux de long terme ?

 

Nos priorités sont la transition énergétique et écologique, la compétitivité de l'industrie de gestion d'actifs et donc le cadre règlementaire. Nous visons un cadre qui optimise le bénéfice pour tous les acteurs : épargnants, émetteurs et sociétés de gestion.

 

Pour être compétitive, l’industrie française doit disposer du même cadre législatif que ses homologues en Europe et vis-à-vis des grands pays tiers. Dans cet objectif et pour continuer d'évoluer dans un environnement favorable au développement de notre activité, nous devons travailler très en amont des sujets réglementaires avec les pouvoirs publics. Ainsi travaillons-nous notamment à aligner le cadre réglementaire national sur le cadre européen sans introduire de distorsions lors de la transposition ; renforcer la souveraineté européenne sur les infrastructures de marché ; accompagner le développement des innovations technologiques.

 

De la même façon, pour maintenir et développer le leadreship de la France en matière de finance durable, nous devons disposer d’une information financière et extra-financière de qualité, de façon efficace et à un coût raisonnable. Il est essentiel de reprendre le contrôle sur ces informations dans l’Union européenne pour exercer nos métiers et orienter l’épargne vers des projets économiques vertueux.

 

"Le développement de l'épargne en actions est essentiel pour assurer la stabilité des financements longs. Son développement chez les jeunes participe pleinement à la diffusion de l’éducation financière"

Notre industrie de premier plan est un atout pour la France et son économie.  Nos priorités immédiates s’inscrivent dans nos enjeux de moyen-long termes. Citons par exemple celui du développement de l'épargne en actions, essentiel pour assurer la stabilité des financements longs. Son développement chez les jeunes participe pleinement à la diffusion de l’éducation financière. Celui de la compétitivité et par association la protection de l’épargne, exige quant à lui une nécessaire stabilité fiscale, en effet, un pays avec une instabilité fiscale n'attire pas les investisseurs. Dans ce domaine, la stabilité est une garantie pour un développement pérenne et participe en premier lieu au financement de l’économie, des transitions, du monde en devenir.

 

Propos recueillis par Marc Munier

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