« La logique poursuivie par le gouvernement constitue un formidable mépris et déni démocratique des
L'interview de Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d'Île-de-France (PS)
Décideurs. Pour vous, idéalement, dans vingt ans, l’Île-de-France c’est quoi ?
Jean-Paul Huchon. À l’aune des grandes crises que nous traversons, il faut prendre un réel tournant pour conjuguer justice sociale, impératif écologique et ambition économique. À cet égard, je lancerai dès cet automne des États généraux de la conversion écologique et sociale dont l’ambition sera de répondre au cumul des inégalités sociales, territoriales et environnementales.
Le schéma directeur adopté par la Région en 2008, actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État, définit le projet d’aménagement de l’Île-de-France pour les vingt ans à venir. La région doit être une métropole durable, solidaire et humaine. Le développement de la région et les infrastructures qu’il faut créer ne doivent pas profiter uniquement à quelques-uns ou à quelques territoires, mais répondre aux besoins quotidiens de tous les Franciliens et à un développement équilibré de toutes les zones, du coeur de l’Île-de- France jusqu’aux limites régionales. Le projet de la Région est donc un projet transversal porteur d’un développement global. Il n’a qu’un seul but : l’amélioration de la qualité et du cadre de vie des Franciliens. Cela passe nécessairement par les transports.
Décideurs. Le métro en rocade de 155 km promu par Christian Blanc est critiqué de toutes parts. Où en est-on aujourd’hui des deux projets concomitants de transport, dont le vôtre, en Île-de-France ?
J.-P. H. Deux logiques s’affrontent. Celle du gouvernement qui, avec son métro Grand 8, vise uniquement à relier une dizaine de pôles de compétitivité économique entre eux, donc à maximiser le développement seulement autour de quelques territoires. Celle de la Région et du Stif (syndicat des transports d’Île-de-France) qui, avec le Plan de mobilisation pour les transports, vise à répondre à tous les besoins de desserte, à toutes les échelles et à toutes les vitesses : de la rocade en métro rapide Arc Express, qui constitue l’infrastructure majeure, pour les déplacements de banlieue à banlieue, jusqu’aux tramways, qui permettront le désenclavement des quartiers et communes isolés, en passant par l’amélioration des RER, les tangentielles ferrées, etc. Il s’agit là de développer un réel réseau interconnecté. Les débats publics qui se tiendront dans toute la région du 1er octobre au 1er février devront trancher entre ces deux logiques.
Au-delà, Arc Express et le Plan de mobilisation constituent le « squelette » d’un projet d’aménagement territorial pour la région qui vise à rendre la métropole plus compacte, moins consommatrice d’espaces naturels et agricoles, ressources fondamentales de l’Île-de-France. Cette compacité vise aussi à favoriser le développement local, notamment autour des gares : plus de commerces de proximité, plus de locaux d’activités et d’équipements publics, avec moins de déplacements. Elle permet de répondre au défi de la construction des 60 000 à 70 000 logements nécessaires aux Franciliens chaque année. Elle permet également de mieux valoriser les espaces naturels et agricoles : développement de filières écologiques type filières bois, développement de l’agriculture biologique et des circuits courts, etc.
Décideurs. Un Grand Paris (GP), tel que prévu dans le texte, c'est-à-dire très centralisateur, ne nuirait-il pas in fine à l’efficacité et à la pertinence des politiques de proximité par le transfert des compétences sociales des départements supprimés ? Outre un tracé de ses voies de communication jugé élitiste, quels reproches lui adressez-vous principalement ?
J.-P. H. Je constate depuis quelques années une très forte volonté de recentralisation, avec des méthodes très brutales, et dans les mêmes temps des désengagements de l’État sur les collectivités locales qui ne sont pas justement compensés. Est-ce une parenthèse dans l’histoire tumultueuse de la décentralisation ? Je l’espère et l’avenir nous le dira. La logique poursuivie par le gouvernement constitue un formidable mépris et déni démocratique des collectivités locales, qui ont su, notamment au sein du Stif ou encore avec l’exemple actuel de Paris Métropole, s’organiser et travailler entre elles. Au-delà, vous avez raison, elle ne peut que nuire à la mise en oeuvre des politiques de proximité instaurées par les collectivités. A fortiori, s’il était décidé la création d’un mastodonte administratif qui fusionnerait les départements du coeur de l’agglomération.
Le métro Grand 8 vise uniquement à relier une dizaine de pôles de compétitivité économique entre eux et les connecter aux aéroports, afin de leur donner une visibilité et une accessibilité internationales plus grandes. En soi, ce n’est pas choquant. Le problème est qu’il ne répond pas aux besoins de déplacements actuels des Franciliens. Sa mise en service est prévue autour de 2025. Répondons d’abord aux urgences et engageons ensuite ce chantier. Au-delà, à la différence du Plan de mobilisation, ce métro n’est porteur d’aucun projet d’aménagement : en traversant des territoires peu peuplés il ne fera qu’aggraver l’étalement urbain, donc in fine les déplacements automobiles pour se rendre dans les gares, et en étant souterrain comme annoncé, il ne permettra pas la redynamisation urbaine « en surface ». Souvenons-nous de la formidable requalification urbaine permise par le tramway T1 et ne répétons pas les erreurs du passé où la construction d’une seule infrastructure mobilisait toutes les finances disponibles au détriment des autres projets de transport.
Décideurs. Le projet du GP ne risque-t-il pas d’être contrarié par la politique économique de maîtrise des dépenses publiques et l’échéance électorale de 2012 ? Faut-il, comme le préconise Gilles Carrez*, reporter par exemple la branche de Saclay à « après 2025 » ?
J.-P. H. Clairement, le projet du Grand 8 n’est pas finançable. L’État mise sur la taxation de plus-values foncières qui sont très largement surévaluées. Les préconisations de Gilles Carrez relèvent du bon sens, tant pour les phases de la réalisation du Grand 8 que pour la définition de nouvelles sources de financements pour les transports, celles-là même que la Région demande à l’État. Pour répondre finement aux besoins locaux, il faut d’abord répondre aux besoins les plus importants, tout en améliorant la desserte de tous les territoires. Pour cela nous pouvons jouer sur la complémentarité de tous les modes de transport (du RER au bus à haut niveau de services), et renvoyer à une phase ultérieure les investissements que l’on ne peut assumer aujourd’hui.
Décideurs. La gauche a boycotté l’élection d’André Santini à la présidence du conseil de surveillance. Comment percevez-vous l’arrivée de cet homme qui revendique écoute et recherche du consensus ?
J.-P. H. Ce n’est pas une question de personne. C’est un problème de méthode et d’autoritarisme, là encore. La loi Grand Paris, votée malgré tout démocratiquement, prévoyait une limite d’âge pour accéder à la présidence de la Société du Grand Paris (SGP), et un simple décret pris un mois plus tard permet d’y déroger. Quel mépris des parlementaires ! L’organisation de la première réunion de la SGP n’augure en rien d’une réelle volonté de partenariat pourtant affichée par l’État. Les collectivités locales ont été quasiment convoquées du jour au lendemain au coeur de l’été ! Et le président a été élu par des fonctionnaires de l’État, contre la candidature de Christian Favier, représentant des collectivités locales. Où est le devoir de réserve ? Ni Bertrand Delanoë ni moi-même n’avons souhaité participer à cette mascarade. Il est clair qu’à l’avenir le président de la SGP devra donner de sérieux gages aux collectivités locales s’il souhaite que nous avancions ensemble.
Décideurs. Voyez-vous toujours en la SGP une assemblée de « technocrates de l'Élysée qui dessineront des projets sans aucun rapport avec la réalité » ? Sous quelle forme imaginez- vous le nouveau mode de gouvernance urbaine dans le cadre du GP ?
J.-P. H. C’est en effet un risque majeur et la participation des fonctionnaires de l’État lors du vote pour l’élection du président de la SGP renforce ce sentiment. Le développement de la métropole ne peut se résumer à une unique infrastructure de transport. Nous ne sommes plus au temps de Delouvrier [grand commis de l'État sous les IVe et Ve Républiques, NDLR], où les ingénieurs des Ponts et Chaussées dessinaient l’Île-de-France sur une page blanche. Le développement de la métropole doit être le fruit d’un projet partagé et porté par les élus désignés par les Franciliens. Il ne s’agit pas de créer un nouveau mode de gouvernance urbaine en Île-de-France : les collectivités locales font toutes preuve, depuis des siècles pour certaines, de leur légitimité et de leur identité. L’intercommunalité connaît un nouvel essor, notamment dans le coeur d’agglomération, et je m’en félicite. L’enjeu réside de mon point de vue dans la définition de partenariats contractuels multilatéraux et de lieux de définition et de partage des projets portés par chacun.
Paris Métropole, dont la Région est membre fondateur avec d’autres collectivités, constitue un bon exemple de ces instances d’échange, qui va connaître un nouveau développement. La Région a toute sa place dans ces partenariats, de par son échelle, la transversalité de son action, sa capacité d’investissement et ses compétences en matière de politiques territoriales.
*Rapporteur du budget à l'Assemblée nationale