La CJCE a rendu, le 29 octobre 2009, une décision ciselée, relative à la déduction de la TVA d’amont supportée par le cédant sur les frais afférents à une cession de titres1. Cette décision, dont les principes devraient s’appliquer en cas de cession d’immeuble, remet en cause la position de l’administration fiscale française.

Lorsqu’elle cède une participation dans une filiale, une entreprise engage souvent des honoraires (expertise, assistance dans la négociation, entremise, conseils juridiques,…), au titre desquels elle supporte la TVA. La cession des titres n’étant pas soumise à TVA, la déductibilité de la TVA d’amont ne coule pas de source.
Les débats autour de cette question ont fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années, et sont largement sortis du cadre théorique avec la multiplication, au cours des derniers mois, des rectifications opérées par l’administration fiscale à l’encontre des entreprises qui ont entendu déduire cette TVA d’amont.
La décision du 29 octobre 2009 aura probablement le mérite de limiter les prétentions de l’administration fiscale française en ce domaine, même si elle laisse en suspens certaines questions théoriques.

Un débat qui vient de loin.

Le droit à déduction de la TVA ayant grevé des biens ou des services implique, en principe, que ceux-ci soient utilisés pour la réalisation d’une « opération économique », qui entre dans le champ d’application de la TVA.
à s’en tenir là, un assujetti pourrait se voir refuser la déduction de la TVA d’amont dans nombre d’hypothèses. En effet, même lorsqu’il n’exerce habituellement que des « activités économiques » ouvrant droit à déduction, il arrive qu’un assujetti réalise une opération placée hors du champ d’application de la TVA et engage des frais à cette fin. Il en est ainsi, par exemple, de la plupart des opérations financières que peut réaliser l’assujetti, des opérations de restructuration (fusion, scission, apport partiel d’actif), des acquisitions ou des cessions de titres (autres que les titres des filiales dans la gestion desquelles s’immisce le redevable), de certaines acquisitions ou cessions d’immeubles : le lien direct et immédiat de la dépense avec une opération ouvrant droit à déduction fait ici défaut.

Afin de soulager l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de l’ensemble de ses activités économiques, la CJCE a estimé que, dans ces circonstances, le droit à déduction de la TVA afférente aux dépenses ayant grevé l’opération ponctuelle en cause pouvait cependant être reconnu si ces dépenses font partie des « frais généraux » de l’entreprise, lesquels sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des produits d’une entreprise et entretiennent ainsi, en principe, un lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti2.

Une fois ce principe posé, émergent deux questions :
(i)    le rattachement aux « frais généraux » de l’entreprise peut-il être présumé, ou doit-il être recherché au cas par cas ? ; et
(ii)    ce principe de rattachement aux « frais généraux », énoncé par la CJCE pour les opérations placées hors du champ d’application de la TVA, trouve-t-il également à s’appliquer dans le cas d’opérations placées dans le champ de la TVA, mais exonérées ?

La première question a fait l’objet d’une inflexion de la jurisprudence : après avoir, un temps, consacré le rattachement « de principe »3 des dépenses engagées au titre d’une opération n’ouvrant pas droit à déduction aux « frais généraux » de l’entreprise, la CJCE a ensuite cherché à caractériser un lien de rattachement entre ces dépenses et l’activité économique du contribuable. Ceci l’a par exemple conduit, dans un cas (frais engagés pour l’évaluation d’une créance née d’une cession de titres), à refuser tout droit à déduction, faute de lien avec l’activité économique d’ensemble de l’assujetti4 et, dans un autre cas (frais d’émission de titres destinés à financer des activités placées dans et hors du champ de la TVA), à n’autoriser qu’une déduction partielle de la TVA, pour la fraction des dépenses engagées en vue de réaliser des opérations placées dans le champ de la taxe5.

Quant au champ d’application de la notion de rattachement aux « frais généraux » de l’entreprise, il était jusqu’ici limité aux frais relatifs aux opérations n’ouvrant pas droit à déduction. Les frais engagés au titre d’opérations entrant dans le champ de la TVA, mais exonérées de la taxe, se voyaient appliquer le principe de l’affectation, conduisant à une absence de déductibilité.

L’administration fiscale, probablement sensible à l’évolution récente de la CJCE, a saisi l’occasion d’un récent jugement du tribunal administratif de Paris relatif aux dépenses engagées dans le cadre d’une cession d’immeuble placée hors du champ d’application de la TVA (considérées comme déductibles par le tribunal) pour indiquer qu’elle refusait de se rallier à la position des juges et qu’elle entendait « défendre devant les juridictions l’ensemble des affaires pour lesquelles il aura été fait application de la notion de « frais généraux » alors qu’il existe un lien direct entre la dépense grevée de TVA et une opération hors champ ou exonérée n’ouvrant pas droit à déduction »6.

Allant au-delà de la position plus nuancée de la CJCE, l’administration fiscale semble ainsi s’opposer à tout rattachement d’une dépense liée à une opération placée hors du champ de la TVA (ou exonérée) à l’ensemble de « l’activité économique » de l’entreprise, en tant que « frais généraux », pour ne plus examiner désormais que la stricte affectation d’une telle dépense à une opération donnée.

La décision AB SKF.

Saisie de quatre questions préjudicielles par le Regesringsrätten suédois, la Cour :
(i)    rappelle que la simple vente d’actions ne constitue pas, en tant que telle, une « activité économique », mais qu’il en va différemment lorsque la participation financière est accompagnée d’une immixtion dans la gestion ;
(ii)    rappelle également que, lorsqu’elle entre dans le champ d’application de la TVA, une telle cession est exonérée
de TVA ;
(iii)    précise que, sous certaines conditions, la cession des titres d’une filiale peut être assimilable à une transmission d’une universalité de biens (placée hors du champ de la TVA), dès lors qu’une telle cession a pour conséquence la cession de tous les actifs de la filiale (les conditions d’une telle assimilation devront probablement être précisées à l’occasion de futures décisions, tant celle-ci paraît étonnante d’un point de vue juridique) ;
(iv)    affirme, pour la première fois à notre connaissance, que sa jurisprudence relative au rattachement de certaines dépenses aux « frais généraux » ne s’applique pas exclusivement aux dépenses relatives aux opérations placées hors du champ de la TVA, mais également aux opérations placées dans le champ mais exonérées de la taxe (telles que la cession d’une participation dans une filiale dans la gestion de laquelle le cédant s’immisce), au motif qu’une distinction entre ces deux cas « aboutirait à un traitement fiscal différent d’opérations objectivement similaires, en violation du principe de neutralité fiscale » ; et
(v)    affine la mise en œuvre de sa jurisprudence relative au lien direct et immédiat et au rattachement aux « frais généraux », en considérant que, pour que des dépenses d’amont soient considérées comme présentant ou non un lien direct et immédiat avec une opération de cession en aval n’ouvrant pas droit à déduction (ou ouvrant droit à déduction, mais exonérée), « il importe de savoir si les dépenses encourues sont susceptibles d’être incorporées dans le prix des actions [cédées] ou si elles font partie des seuls éléments constitutifs du prix des produits » objet du négoce habituel de l’entreprise. Ainsi, la déduction de la TVA d’amont relative à la cession des titres d’une filiale dans la gestion de laquelle s’immisce le cédant ne pourra être refusée que « si un lien direct et immédiat est établi entre les services acquis en amont et la cession d’actions exonérée en aval. Si, en revanche, un tel lien fait défaut et que le coût des opérations en amont est incorporé dans le prix de produits (…), la déductibilité de la TVA ayant grevé les services en amont devrait être admise ».
La Cour innove ainsi sur deux points majeurs : (a) elle élargit, aux dépenses relatives aux opérations d’amont placées dans le champ de la taxe mais exonérées, la notion de rattachement aux « frais généraux » et (b) dans la lignée des décisions précédemment rendues sur la nécessaire recherche d’un lien direct de la dépense avec telle ou telle activité de l’entreprise, elle précise que, s’agissant de la cession d’une participation (mais ce point devrait également s’appliquer à la cession d’immeuble placée hors du champ de la TVA), les dépenses d’amont ne pourront être considérées comme présentant un lien direct et immédiat avec la cession en cause que si elles s’incorporent au prix de vente.

Ainsi, dans la plupart des cas, le refus par l’administration fiscale de tout droit à déduction de la TVA afférente à une dépense, lorsque cette dernière présente un lien avec une opération placée hors du champ d’application de la TVA (cession d’un immeuble) ou dans le champ mais exonérée de taxe (cession d’une participation avec immixtion dans la gestion) ne devrait pas prospérer devant le juge de l’impôt.

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