« L’affichage des patrimoines des politiques risque de participer à notre société du spectacle. »
Entretien avec Roland Gori, psychanalyste et auteur de La Fabrique des imposteurs
Roland Gori est psychanalyste et professeur de psychologie et de psychopathologie cliniques. Il est également l'auteur de La Fabrique des imposteurs (éditions Les liens qui libèrent, 320 pages, 21,50 €).
Décideurs. Jérôme Cahuzac représente-t-il un imposteur, selon l’acception que vous en faîtes dans votre ouvrage ? Est-il d’ailleurs davantage imposteur ou menteur ?
Roland Gori. Jérôme Cahuzac, de son propre aveu, a menti. Il a menti en affirmant au Président de la République, à ses collègues du gouvernement, à l’Assemblée nationale et devant l’opinion publique qu’il n’avait jamais possédé de compte en Suisse. Ce mensonge relève de l’imposture parce qu’il s’agit d’un ministre du Budget chargé de traquer la fraude fiscale et qu’il la pratique lui-même, cherchant à en imposer par de fausses apparences, à abuser de la confiance d’autrui, prenant la posture du ministre irréprochable injustement calomnié. Dans cette situation il a pratiqué la technique du camouflage, opté pour la stratégie du caméléon et choisi la solution de l’imposture pour se tirer d’un piège dans lequel il s’était lui-même placé.
Décideurs. L’éclosion d’un Jérôme Cahuzac est-elle favorisée par ce que vous appelez un « gouvernement par la norme », favorisant l’apparence et la forme au fond ?
R. G. Mon travail analyse la part de l’environnement dans la fabrique des impostures, des mensonges et des fraudes. L’imposture a de tout temps existé. Elle se nourrit des valeurs et des codes en usage dans une société donnée et à une époque donnée. Aujourd’hui l’imposteur ne prend pas les apparences du Tartuffe de Molière et n’usurpe pas un titre de noblesse, mais emprunte les habits de la religion du marché et du spectacle.
Chaque société a les imposteurs qu’elle mérite. La nôtre avec ses exigences normatives incite à la mascarade des chiffres, aux trucages formels pour répondre aux contraintes des procédures et des stratégies absurdes qui font prévaloir la forme sur le fond, la quantité sur la qualité et la conformité sur le goût ou la valeur. L’inflation des normes et des procédures conduit aujourd’hui à un conformisme généralisé qui est le frère siamois de l’imposture. Lorsque la marque d’une revue scientifique, où est publiée une recherche, compte plus pour la carrière du chercheur que le contenu et la qualité de ses travaux, lorsque la tarification du soin compte plus que le soin lui-même, lorsque le nombre de spectateurs ou d’auditeurs prévaut sur la qualité d’une émission, lorsque les expertises de l’industrie de santé sont prises dans des conflits d’intérêts, l’imposture est bien au cœur de l’organisation sociale.
Décideurs. Vous déclarez que « le lien avec le mensonge ou la dissimulation n’a jamais été aussi évident, puisque dans une société qui prône comme valeur la transparence, on procède par le camouflage et la dissimulation ». Cela signifie-t-il que le déballage actuel des patrimoines des politiques n’évitera pas les mensonges et dissimulations d’un – autre – Jérôme Cahuzac ?
R. G. L’affichage des patrimoines des politiques risque de participer à notre société du spectacle, à ses effets d’annonce et à son avidité consumériste, si parallèlement ne sont pas menées des réflexions et des actions sur les notions de valeur, de justice et de démocratie. Installer des radars sur les routes de la moralité publique pour lutter contre la délinquance n’est pas en soi inutile. De même, rétablir un enseignement de morale et d’instruction civique dans les établissements scolaires a au moins le mérite d’une prise de conscience des problèmes moraux aujourd’hui du vivre-ensemble. Mais tout dépend de la manière et de l’importance accordée à ce problème vital pour une démocratie. Se contenter d’un traitement du symptôme sans prendre le mal à la racine et prescrire de nouvelles normes de comportement sans se soucier de l’adhésion pleine et entière aux valeurs et aux responsabilités citoyennes conduiraient à poser un plâtre sur une jambe de bois ! Cela n’empêcherait ni l’opportunisme, ni le cynisme, ni l’hypocrisie. Bien au contraire, ce seraient les plus affairistes, les plus entrepreneurs d’opinion et d’apparence qui réussiraient le mieux les tests d’évaluation… Dire ou pratiquer « comme il faut », sans conviction et engagement, l’imposteur y excelle !
Décideurs. Par son imposture, le cas Cahuzac est-il le produit ou la composante de l’avènement d’une politique devenue société de la marchandise et du spectacle, dénoncée par Guy Debord ?
R. G. L’analyse de Guy Debord de « la société du spectacle et de la marchandise » permet de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. Quand Debord nous dit que dans une société « où le monde réel se change en simples images, les images deviennent des êtres réels », alors « le vrai est un moment du faux ».
Je pense que la morale purement utilitaire reste prisonnière des résultats à court terme, des scores et des procédures, et qu’à force d’ignorer la valeur de la parole donnée, du récit collectif et de l’expérience partagée, elle tend à fabriquer un citoyen amnésique captif du spectacle de sondages successifs orphelins d’une histoire collective. Et pourtant… jamais peut être autant qu’aujourd’hui on a assisté à un tel désir de politique, une telle impatience à chercher ces valeurs qui permettront que naisse un nouveau monde et qu’enfin meure l’ancien, celui de la vitesse, du score et du scoop.
Décideurs. Jérôme Cahuzac représente-t-il un imposteur, selon l’acception que vous en faîtes dans votre ouvrage ? Est-il d’ailleurs davantage imposteur ou menteur ?
Roland Gori. Jérôme Cahuzac, de son propre aveu, a menti. Il a menti en affirmant au Président de la République, à ses collègues du gouvernement, à l’Assemblée nationale et devant l’opinion publique qu’il n’avait jamais possédé de compte en Suisse. Ce mensonge relève de l’imposture parce qu’il s’agit d’un ministre du Budget chargé de traquer la fraude fiscale et qu’il la pratique lui-même, cherchant à en imposer par de fausses apparences, à abuser de la confiance d’autrui, prenant la posture du ministre irréprochable injustement calomnié. Dans cette situation il a pratiqué la technique du camouflage, opté pour la stratégie du caméléon et choisi la solution de l’imposture pour se tirer d’un piège dans lequel il s’était lui-même placé.
Décideurs. L’éclosion d’un Jérôme Cahuzac est-elle favorisée par ce que vous appelez un « gouvernement par la norme », favorisant l’apparence et la forme au fond ?
R. G. Mon travail analyse la part de l’environnement dans la fabrique des impostures, des mensonges et des fraudes. L’imposture a de tout temps existé. Elle se nourrit des valeurs et des codes en usage dans une société donnée et à une époque donnée. Aujourd’hui l’imposteur ne prend pas les apparences du Tartuffe de Molière et n’usurpe pas un titre de noblesse, mais emprunte les habits de la religion du marché et du spectacle.
Chaque société a les imposteurs qu’elle mérite. La nôtre avec ses exigences normatives incite à la mascarade des chiffres, aux trucages formels pour répondre aux contraintes des procédures et des stratégies absurdes qui font prévaloir la forme sur le fond, la quantité sur la qualité et la conformité sur le goût ou la valeur. L’inflation des normes et des procédures conduit aujourd’hui à un conformisme généralisé qui est le frère siamois de l’imposture. Lorsque la marque d’une revue scientifique, où est publiée une recherche, compte plus pour la carrière du chercheur que le contenu et la qualité de ses travaux, lorsque la tarification du soin compte plus que le soin lui-même, lorsque le nombre de spectateurs ou d’auditeurs prévaut sur la qualité d’une émission, lorsque les expertises de l’industrie de santé sont prises dans des conflits d’intérêts, l’imposture est bien au cœur de l’organisation sociale.
Décideurs. Vous déclarez que « le lien avec le mensonge ou la dissimulation n’a jamais été aussi évident, puisque dans une société qui prône comme valeur la transparence, on procède par le camouflage et la dissimulation ». Cela signifie-t-il que le déballage actuel des patrimoines des politiques n’évitera pas les mensonges et dissimulations d’un – autre – Jérôme Cahuzac ?
R. G. L’affichage des patrimoines des politiques risque de participer à notre société du spectacle, à ses effets d’annonce et à son avidité consumériste, si parallèlement ne sont pas menées des réflexions et des actions sur les notions de valeur, de justice et de démocratie. Installer des radars sur les routes de la moralité publique pour lutter contre la délinquance n’est pas en soi inutile. De même, rétablir un enseignement de morale et d’instruction civique dans les établissements scolaires a au moins le mérite d’une prise de conscience des problèmes moraux aujourd’hui du vivre-ensemble. Mais tout dépend de la manière et de l’importance accordée à ce problème vital pour une démocratie. Se contenter d’un traitement du symptôme sans prendre le mal à la racine et prescrire de nouvelles normes de comportement sans se soucier de l’adhésion pleine et entière aux valeurs et aux responsabilités citoyennes conduiraient à poser un plâtre sur une jambe de bois ! Cela n’empêcherait ni l’opportunisme, ni le cynisme, ni l’hypocrisie. Bien au contraire, ce seraient les plus affairistes, les plus entrepreneurs d’opinion et d’apparence qui réussiraient le mieux les tests d’évaluation… Dire ou pratiquer « comme il faut », sans conviction et engagement, l’imposteur y excelle !
Décideurs. Par son imposture, le cas Cahuzac est-il le produit ou la composante de l’avènement d’une politique devenue société de la marchandise et du spectacle, dénoncée par Guy Debord ?
R. G. L’analyse de Guy Debord de « la société du spectacle et de la marchandise » permet de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. Quand Debord nous dit que dans une société « où le monde réel se change en simples images, les images deviennent des êtres réels », alors « le vrai est un moment du faux ».
Je pense que la morale purement utilitaire reste prisonnière des résultats à court terme, des scores et des procédures, et qu’à force d’ignorer la valeur de la parole donnée, du récit collectif et de l’expérience partagée, elle tend à fabriquer un citoyen amnésique captif du spectacle de sondages successifs orphelins d’une histoire collective. Et pourtant… jamais peut être autant qu’aujourd’hui on a assisté à un tel désir de politique, une telle impatience à chercher ces valeurs qui permettront que naisse un nouveau monde et qu’enfin meure l’ancien, celui de la vitesse, du score et du scoop.